George Klein n’a pas débarqué à la Pointe du Hoc

 Le vétéran de la Seconde Guerre mondiale George Klein en 2015 lors des commémorations du débarquement à la Pointe du Hoc. Photo : D-Day Overlord

21 août 2017 : George Klein n’a pas débarqué à la Pointe du Hoc
Auteur : Marc Laurenceau

L’étymologie du mot « Histoire » se réfère au terme grec « historía » et signifie une enquête sur les faits passés de l’humanité. Ce qui suit prouve que le terme d’enquête prend son tout sens en histoire.

George G. Klein a été l’une des grandes célébrités du 73e anniversaire du débarquement de Normandie en juin 2017 : à l’âge de 96 ans, ce vétéran américain a participé à de nombreuses commémorations dans le Calvados et dans la Manche, sa casquette de « Ranger » vissée sur la tête, signant des centaines d’autographes et marquant tous ceux qu’il a rencontrés par son incroyable gentillesse. Sa bonne humeur et ses sourires n’ont pas été feints : George a exprimé sa joie de retourner en Normandie pour la deuxième fois et de rencontrer les Normands en expliquant : « Je ne suis pas un héros. Les vrais héros sont ceux qui ont perdu la vie ici ». Son retour en Europe a été rendu possible grâce à un programme de financement participatif soutenu par des dizaines de donateurs et l’organisation de son voyage a été réalisée par les bénévoles de l’association D-Day Overlord.

Mais quelques semaines seulement après son retour aux États-Unis, l’extraordinaire nouvelle est rendue publique : George Klein n’est pas celui qu’il prétend être. Le 6 juin 1944, le vétéran américain ne faisait pas partie du 2e bataillon de Ranger pour attaquer les falaises de Pointe du Hoc, cette redoutable position d’artillerie allemande menaçant les plages du débarquement. Le Jour-J, il n’est pas en Normandie mais en Irlande du Nord avec la Batterie B de son régiment d’artillerie (46th Field Artillery Battalion, 5th Infantry Division). Cette découverte est le résultat du travail de plusieurs historiens, dont Marty Morgan et Gary Sterne (qui est le propriétaire du musée de la batterie de Maisy).
Pendant plus de cinq décennies, George Klein a prétendu être l’un des officiers de la F Company du 2nd Ranger Battalion. Avec une impeccable attention aux détails, il a raconté les trois jours passés à combattre les Allemands à la Pointe du Hoc, en s’appuyant sur une solide connaissance de ces événements. Son histoire avait toutes les raisons d’être plausible : avec une expérience (réelle mais temporaire) dans l’unité des Rangers, l’artilleur s’était cassé la cheville lors d’un exercice d’escalade au cours de l’année 1943 et a dû abandonner tout espoir de rester dans cette unité d’élite. De retour dans son régiment d’artillerie, il accepte avec difficulté cet échec.

Le lieutenant George Klein imagine alors la suite des événements et construit sa nouvelle histoire en conséquence: il établit une version expliquant son retour rapide au 2nd Ranger Battalion peu avant le Jour-J, ce qui justifie l’absence de George sur la liste des 225 Rangers ayant effectivement participé à l’assaut de la batterie de la Pointe du Hoc. George se met dans la peau d’un lieutenant «surnuméraire», dont la mission consiste à remplacer immédiatement un chef de section incapable de poursuivre sa mission. Il connaît l’opération dans les moindres détails pour l’avoir lu dans différents livres d’histoire. George explique avoir été blessé le 6 juin 1944 par la lame d’une baïonnette allemande et qu’il n’a été évacué en Angleterre que le 8 juin 1944, date de la fin des combats à la Pointe du Hoc.

Le temps a ensuite fait son œuvre. De retour en Normandie en 2015 pour participer aux commémorations du débarquement (un voyage organisé par la société américaine Wish of a Lifetime, spécialisée dans le financement des souhaits individuels). Son histoire est racontée par les sénateurs devant le Congrès américain, la presse américaine consacre de nombreux articles à George, et les vidéos sur les réseaux sociaux et les sites d’historiens sont légion. Son nom apparaît également dans le livre de référence consacré aux Rangers, The Battalion, qui le cite comme ayant participé à l’assaut de Pointe du Hoc.

Cependant, George Klein ne devrait pas rougir de sa véritable contribution à la libération de l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale : déployé du 26 juillet 1944 au 23 juillet 1945 avec le 46th Field Artillery Regiment, il a été gravement blessé en combat en Moselle le 17 novembre 1944. Il a été décoré des médailles Bronze Star et Purple Heart par les Américains, ainsi que la médaille Croix de Guerre 39-45 par les Français pour son engagement lors de la Seconde Guerre mondiale. La France lui a décerné la célèbre Légion d’honneur le 6 juin 2015.

Mais le prestige d’une unité comme les Rangers, ainsi que la frustration de ne pas avoir participé à une bataille majeure de la Seconde Guerre mondiale (même s’il avait risqué sa vie à de nombreuses reprises), ont probablement renforcé la tentation. En effet, les combats de libération de l’Europe ne se limitent pas à la bataille de Normandie, et pourtant, les anciens combattants de Champagne, de Lorraine ou d’Alsace sont des quasi-inconnus dans nos livres d’histoire : pour George Klein, le fait de ne pas avoir été considéré au même titre que les Rangers malgré son investissement personnel aurai causé une immense blessure dont le seul remède fut probablement de créer un tel univers imaginaire. Pris dans un mensonge qui l’a façonné aux yeux de son entourage et dont il ne pouvait plus échapper, il a finalement résolu de dire la vérité à sa famille, à ses proches et aux organisations qui l’ont soutenu pendant plusieurs années.

Cette triste histoire n’est malheureusement pas un cas isolé : elle rappelle celle des autres vétérans qui ont transformé la vérité pour profiter de la gloire d’avoir participé à l’un des combats les plus époustouflants de la bataille de Normandie : Howard Manoian et Eugene A. Cook Jr., démasqués respectivement en 2009 et en février 2017. Ils ont tous deux imaginé une carrière dans les troupes aéroportées américaines, participant également à de nombreuses cérémonies commémoratives en Normandie, portant les insignes d’unités auxquelles ils n’avaient pas appartenu.

Le lieutenant George G. Klein, officier d’artillerie, en 1945

Cet article a 4 commentaires

  1. Martine LABONDE

    Bonjour,
    J’apprends par la Presse la situation précise de Georges en juin 1944. Pour moi, il n’y a rien de grave et il n’est pas nécessaire d’en tenir grief à ce Vétéran qui a fait son job pendant la seconde guerre mondiale. Tous les Vétérans doivent être mis à l’honneur dans notre région, quel que soit l’action qu’ils aient faite. Du simple cuisinier au Général en passant par les conducteurs de chars ou de camion de ravitaillement, TOUS sont nos amis et nous leur devons une fière chandelle. Inutile de préciser que s’ils avaient 20 ans aujourd’hui, ils recommenceraient les mêmes actions de la même façon. Ce qui passe à nos yeux pour des exploits, est simplement pour eux leur boulot de militaires.
    En aucun cas il n’est question de dénigrer l’un ou l’autre pour une bricole qui pour moi n’est qu’une petite erreur sans gravité.

  2. M.LEROY

    Et alors cet homme a enjolivé son rôle. Certes mais qui ne l’a pas fait un jour ? quoiqu’il en soit c’est un héro de guerre décoré…donc un véritable héro à qui nous devons le respect parce qu’il a participé aux combats contre l’armée nazie et qu’il a participé à la Libération de la France. Etait-il nécessaire de lui enlever son rêve à son âge. Il voulait participer tellement au débarquement qu’il l’a inventé…oui mais…
    Le rôle des historiens est d’établir la vérité vraie, sans de la considération de l’humanité ni prise en compte de l’histoire de chacun… en fait une certaine déshumanisation…..en fait ce que précisément ces héros ont combattu. Qui serions pour juger ce héro et vous messieurs les historiens ???? Cet homme ne demandait rien qu’un peu de reconnaissance et a payé de ses souffrances, de ces peurs et l’aurait pu de sa vie….mais qu’importe, il fallait à tout prix rétablir la vérité….Une simple question, messieurs les historiens, derrière vos bureaux et vos ordinateurs, au calme et en dehors de la bataille, des risques de plaies ou de blessures ou même de mort, auriez vous pu faire ce qu’il a fait ? Etait-il si nécessaire de briser cet homme à son âge et de détruire ses rêves ?????

  3. foyant

    Nous lui devons le respect ,pour moi c’est le plus important ,MERCI SOLDAT

  4. M simonin

    MERCI d’avoir clarifier la vérité historique.
    Je partage l’avis que Georges KLEIN est un vétéran de la seconde guerre mondiale qui a participé à la libération de notre pays . A ce titre, il mérite la reconnaissance de la nation et sa légion d’honneur est tout à fait légitime.
    Voyons son récit et sa démarche comme un hommage qu’il rend à ses frères d’armes qui ont fait l’assaut de la pointe du hoc. il nous a tous fait frissonner en nous racontant son récit.
    Il demeure le plus légitime pour les représenter même s’il n’était pas de cette mission.

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