Wilhelm Keitel et Alfred Jodl

After Action Reports
Bataille de Normandie

Ce document est un questionnaire américain sur les plans allemands visant à contre-attaquer les Alliés après le débarquement de Normandie. Il a été complété le 23 juillet 1945 par le Generalfeldmarschall Wilhelm Keitel, chef de l’Oberkommando der Wehrmacht (OKW) et son adjoint, le Generaloberst Alfred Jodl, chef d’état-major de l’OKW.

Keitel et Jodl ont été jugés et  reconnus coupables de crimes de guerre au Tribunal militaire international de Nuremberg, en Allemagne. Ils sont morts par pendaison le 16 octobre 1945.

Texte traduit par M. Laurenceau.


Réponses du Generalfeldmarschall Wilhelm Keitel et du Geleraloberst Alfred Jodl aux questions des interrogateurs concernant le débarquement de Normandie de 1944

Situation : CC PWE # [masqué]

Mondorf, Luxembourg

Date : 23 Juillet 1945

Question 1 : Quels étaient les plans successifs prévus par l’OKW ?
a) Le 6 juin 1944 lorsque les Alliés ont débarqué ?
b) Après l’établissement d’une tête de pont et la jonction entre troupes britanniques et américaines ?
c) Après la chute de Cherbourg le 1er juillet 1944 ?

Réponse au 1 (a) : Le premier plan consistait à éliminer les deux têtes de pont britanniques et américaines pendant qu’elles étaient encore faiblement installées par des contre-attaques immédiates. Dans un premier temps, les Britanniques devaient être détruits ou du moins repoussés de l’autre côté de l’Orne pour ceux qui se situaient à l’est de cette rivière.

Réponse au 1 (b) : Lorsque les Américains et les Britanniques sont parvenus à effectuer leur jonction mais que Cherbourg continuait à tenir bon, nous avons estimé que nous devions percer le front américain par une attaque dans le secteur de Carentan à l’ouest pour ensuite frapper à revers les forces qui assiégeaient Cherbourg.
Ce souhait, comme l’a expliqué le commandant en chef Ouest, n’a pas pu être réalisé.

Le rassemblement de troupes d’assaut dans ce secteur éloigné à l’ouest ainsi que leur ravitaillement se sont avérés être des opérations trop difficiles à conduire et auraient pris trop de temps. Nos troupes face à l’armée britannique – qui a ce moment paraissant la plus menaçante – auraient été fragilisées à outrance.

L’ordre initial de percer les lignes britanniques par une attaque depuis le sud-ouest de Caen vers le nord-ouest en direction de la côte au nord de Bayeux, afin de battre les Britanniques isolés des Américains, est par conséquent resté le seul valable.

Réponse au 1 (c) : Nous n’avons pas changé d’intention après la chute de Cherbourg. Cependant, toutes les unités blindées devaient nécessairement être relevées de leur position sur le front par des divisions d’infanterie.

Question 2 : Des consignes ont-elles été données pendant les mois de juin et juillet visant à établir une ligne de défense secondaire en France – par exemple le long de la Seine ou de la Somme ?

Réponse 2 : L’ordre de mettre en place la ligne de long de la Somme n’a été donné qu’au début du mois d’août. Au préalable, la seule consigne était de réarmer les postes du mur de l’Atlantique. Il n’y avait aucune intention d’installer des positions supplémentaires.

Question 3 : Les combats à l’ouest ont-ils eu un impact sur les troupes, le matériel et les chefs militaires sur le front de l’est ? De quelle manière l’invasion à l’ouest a-t-elle pu handicaper la campagne à l’est contre les Russes ?

Réponse 3 : Les conséquences de ces combats majeurs à l’ouest et à l’est étaient réciproques. Chaque front s’estimait négligé par rapport à l’autre. C’est particulièrement vrai sur le front est avant le début du débarquement. A compter de ce moment précis, une pause plutôt longue dans les manœuvres s’est opérée (les Russes souhaitant visiblement attendre pour constater les effets du débarquement) ce qui nous a permis de transférer le 2ème S.S. Panzer Corps sur le front ouest.

Après le lancement des grandes attaques russes et l’effondrement du groupe d’armée « Mitte » (au centre du front est), il était hors de question de transférer d’autres unités de l’est vers l’ouest et vice versa.

Les unités fraîchement formées devaient être divisées entre deux fronts. Toutes les rigueurs de la guerre sur deux fronts se sont imposées à nous. Mais depuis l’hiver 1942 déjà, le renforcement du front est avait entraîné la situation défavorable de la répartition des unités à l’est.

De plus en plus souvent, les jeunes officiers et les jeunes recrues cessaient le combat et étaient remplacés par des hommes plus âgés, en particulier en 1943.

Le front ouest a nécessité le déploiement de 60 régiments étrangers (les troupes de l’est) ce qui a permis à 30 régiments allemands d’être déployés à l’est.

Une part importante des divisions d’infanterie stationnées le long de la côte avaient été transformées en divisions statiques qui, pour la plupart, s’étaient séparées de leurs unités de ravitaillement et de transport.

Mis à part les régiments blindés et les régiments d’artillerie d’assaut, le front ouest a beaucoup été renforcé par des troupes d’état-major (bataillons du génie, unités de franchissement, états-majors d’artillerie légère et lourde). Des améliorations sont apparues avec les créations du Volksartillerie Korps et des brigades d’appui mortier (et fumigène).

Question 4 : Quel rôle ont joué le Maquis (le réseau de résistance français), les FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) et les civils français dans les combats ?
a) Pour la réussite du débarquement du 6 juin 1944 ?
b) Pendant la bataille de Normandie ?
c) A Paris et dans le reste de la France ?

Réponse à la question 4 (a) : La coopération entre le Maquis et les FFI au moment du débarquement a été, à ma connaissance, plutôt limitée. La grande majorité des communications radio entre ces unités ont été interceptées et décodées. En envoyant de nombreux faux messages radio nous avons réussi à mettre la main sur beaucoup d’armes larguées par avion.

Réponse à la question 4 (b) : En Normandie, les unités françaises partisanes ne se sont quasiment pas manifestées, mais elles ont été bien plus présentes en Bretagne, ce qui a presque divisé nos troupes. A cet endroit, ils ont progressivement pris le contrôle de l’intérieur de la région.

Réponse à la question 4 (c) : Paris était calme à cette époque. Par ailleurs, nos forces de police et nos forces armées ont été fixées au centre de la France, entre Géronne et Isle, ainsi que dans le nord de la Provence.

Question 5 : Avant le 24 juillet 1944, est-ce-que l’OKW a anticipé la percée du front dans la péninsule normande par les Américains ?

Réponse 5 : Le point d’effort de l’attaque américaine jusqu’alors en préparation n’a pas été anticipé par le commandement suprême allemand. Nous nous attendions à une attaque entre Saint-Lô et la ligne de chemin de fer Coutances-Cherbourg, mais pas de cette importance.

Question 6 : Le 24 juillet 1944, un jour avant la percée à l’ouest de Saint-Lô, plusieurs centaines de bombardiers ont lancé un raid dans cette région avant de repousser d’une journée supplémentaire l’attaque en raison de mauvaises conditions météorologiques. L’OKW a-t-il réalisé à ce moment-là que la percée pouvait avoir lieu à l’ouest de Saint-Lô ?

Réponse 6 : L’OKW n’a pas réalisé que les bombardements de Saint-Lô étaient effectués en préparation de la percée à cet endroit.

Question 7 : Quels sont les facteurs clés ayant permis le succès de la percée américaine à l’ouest de Saint-Lô ?

Réponse 7 : Nous étions persuadés que le front face aux Britanniques représentait un plus grand danger et la plus grande partie de nos forces y étaient concentrées. De plus, il était difficile de transférer des unités supplémentaires en renfort à l’ouest. Les 243ème, 353ème et 77ème divisions d’infanterie étaient les seules restantes. Les combats de la 17ème division S.S. n’ont pas enregistré de succès.

Je doute que l’ensemble de la 2ème division Panzer était située au nord de Coutances comme les plans l’indiquaient. Je crois me souvenir que seul un bataillon de reconnaissance y étaient en action.

Question 8 : Quels sont les évènements qui vont ont conduit à mener la contre-offensive vers Avranches le 7 août 1944 ?

Réponse 8 : Il aurait été criminel de ne ne pas avoir profité de cette occasion unique de porter un coup mortel à la très audacieuse percée américaine.

L’ordre de stopper la percée par une attaque de l’est vers l’ouest a ainsi immédiatement été donné par l’OKW. Nous avons l’impression qu’elle était très mal menée et notre effort principal s’est alors porté au sud où les forces ennemies étaient les plus faibles. Aujourd’hui, nous connaissons l’issue de cette contre-attaque, mais sur le moment nous ne pouvions pas le savoir.

Question 9 : A la mi-août, les Américains atteignent Argentan et les Canadiens font route vers Falaise avant que le piège ne se referme le 22 août 1944. Combien d’Allemands sont parvenus à franchir la Seine ?

Réponse 9 : J’estime qu’environ deux tiers des unités motorisées avec peut-être 50 chars et peut-être un tiers des divisions d’infanterie ont échappé au piège vers l’est. Je pense qu’au moins 75% de ces éléments ont atteint la rive est de la Seine.

Question 10 : A quels endroits et par quels moyens la plupart des véhicules et des hommes sont parvenus à franchir la Seine ?

Réponse 10 : La plupart des soldats ont traversé à Rouen. Tous les moyens disponibles du génie et tous les bateaux sur la Seine pouvant servir à cette opération ont été réunis en grand nombre pour appuyer la traversée. Nous ne pouvions pas construire de pont.

Question 11 : Le 20 août 1944, le commandement militaire allemand de Paris a accepté une trêve avec des éléments des FFI. La trêve devait s’arrêter le 23 août 1944 à midi. Cette trêve était-elle approuvée par l’OKW ? Si oui, quels éléments ont pu favoriser cette décision ?

Réponse 11 : Les accords avec les insurgés à Paris ont été communiqués à l’OKW qui les a approuvé après qu’ils soient entrés en vigueur. De cette manière, nous évitions les conséquences des combats dans les rues, sur la ville et la population, sans que cela ne modifie les préparations pour la mise en place d’une tête de pont à l’ouest de Paris.

Question 12 : Quelle était l’autorité confiée au général Von Choltitz lors de la reddition de Paris ?

Réponse 12 : Le général Choltitz n’avait pas l’autorité de signer la reddition de Paris. Il avait l’ordre de défendre la ville.

(signé) Keitel

(signé) Jodl

General Field Marshal

Generaloberst

Note. L’interrogateur qui a préparé le questionnaire ajoute le commentaire suivant à propose des réponses de Keitel et de Jodl :

« Ces réponses sont issues à la fois du maréchal Keitel et du général Jodl, bien que j’ai le sentiment que la plupart des idées proviennent du général Jodl. Il est évident que les réponses à ces questions sont très brèves, car je leur ai demandé de me donner leurs premières impressions. »

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