Les facteurs conditionnant la réussite d’une opération amphibie

Les dossiers du débarquement de Normandie

 

L’opération amphibie

Les opérations amphibies se caractérisent par leur grande complexité et les nombreuses difficultés de mise en œuvre. Les stratèges militaires s’y intéressent depuis que la possibilité matérielle d’une telle opération existe, c’est-à-dire depuis les expéditions militaires de l’Antiquité. De nos jours, les manœuvres militaires amphibies sont toujours d’actualité, comme l’a montré l’évacuation des ressortissants français du Liban appuyée par l’intervention de forces armées au cours de l’été 2006 à Naqoura (Liban).

Et les nombreux exemples des opérations amphibies pendant la seconde guerre mondiale sont l’occasion de révéler les enseignements stratégiques. Ceci non pas simplement faire le récit de plusieurs assauts amphibies, mais bien pour mettre en valeur des vérités générales qui ont toujours existé dans ce domaine, et qui par conséquent demeurent les mêmes encore de nos jours malgré les évolutions techniques des hommes.

L’intérêt des opérations amphibies n’a pas changé car actuellement, 70% de la population mondiale est localisée à moins de 200 kilomètres de côtes. Si, de part l’évolution technologique des moyens militaires, il n’est plus possible de réaliser un nouveau débarquement aussi important que celui de Normandie, les Américains ont toutefois déployé 18 000 Marines, embarqués sur 47 bâtiments de guerre, avant la guerre du Golf en 1991, mobilisant ainsi près de 11 divisions irakiennes.

Quels sont les facteurs qui permettent la bonne exécution et la réussite d’une opération amphibie malgré l’évolution des technologies et la multiplication des difficultés ? En quoi l’exemple du débarquement de Normandie permet-il de bien établir ces facteurs ?

L’importance de la planification

Les opérations amphibies réussies sont celles qui dans l’histoire ont clairement désigné les objectifs à atteindre, et qui s’y sont tenus. Et il faut établir les objectifs à tous les niveaux, aussi bien politiques que militaires. Dans le cadre de l’opération Overlord, c’est le choix de la zone d’invasion qui pose problème : Churchill souhaitait frapper dans les Balkans, sur le même modèle que l’opération amphibie de Gallipoli pendant la Première Guerre mondiale, l’objectif étant d’atteindre l’Allemagne le plus rapidement possible.

Après une série de débats, où sont confrontées les logiques politiques et militaires (notamment les possibilités d’action liées à la géographie des côtes du nord de l’Europe), le choix se porte sur la Normandie. A partir de ce moment, une fois la zone d’engagement établie, les Alliés choisissent plus précisément leurs objectifs : l’un des plus importants sera le port en eau profonde de Cherbourg qui doit faciliter le travail de la logistique. C’est pourquoi le général Montgomery propose la création d’une cinquième plage de débarquement, directement ancrée dans le Cotentin : c’est la naissance d’Utah Beach.

Les opérations amphibies peuvent avoir différents objectifs, l’important est de bien les clarifier. Au contraire, le manque d’enjeux à atteindre peut provoquer un échec militaire (exemple du débarquement d’Anzio, Italie, en 1944). Ces objectifs se déclinent en plusieurs points : développer une attaque de grande envergure, détruire ou contrôler un site ennemi particulier, limiter la liberté d’action ennemie ou encore tromper l’ennemi sur nos intentions. Ces enjeux peuvent être additionnés les uns aux autres lors de la planification d’une opération. En Normandie, il s’agit par exemple de développer une attaque de grande envergure (qui doit mener à livrer des combats sur le territoire allemand) tout en contrôlant plusieurs sites adversaires (Cherbourg, le Havre…). Une mission d’intoxication des renseignements allemands (opération Fortitude) doit dans le même temps attirer l’attention de l’adversaire dans le Pas-de-Calais.

Préparer les outils du débarquement

Une fois les objectifs clairement établis, il faut se donner les moyens de les réaliser. Ceci signifie bien que la définition des objectifs à atteindre dépend également de nos possibilités de réalisation, notamment dans les domaines technologiques et industriels. Et chaque étude d’une opération amphibie doit s’accompagner d’une étude des besoins matériels. Car si un débarquement n’est pas la chose en soi la plus difficile à réaliser malgré les défenses ennemies, il s’agit d’agir au mieux, le plus rapidement et le plus efficacement possible.

Dans le cadre du débarquement de Normandie, ces études ont été notamment réalisées par Percy Hobart, un ingénieur militaire anglais qui met au point une série d’engins militaires blindés aux missions diverses : chars amphibies, anti-mines, lance-flammes, poseurs de ponts, etc. Ceci permet aux troupes d’assaut d’attaquer frontalement leurs adversaires, sans tentatives de contournement qui risqueraient de les ralentir voire de les stopper.
Les Américains et les Britanniques se dotent également juste avant le début de la Seconde Guerre mondiale d’engins spéciaux de débarquement, une gamme de navires de transport de tailles variées.

Mais il ne s’agit pas uniquement de préparer le matériel, il faut également préparer les hommes. Un débarquement sur une plage défendue par une multitude d’obstacles et par des soldats ayant leurs fusils braqués sur les engins de débarquement n’est pas une mission classique d’infanterie, enseignée pendant les classes des jeunes militaires. Un entrainement particulier est nécessaire. Pour ce faire, les Alliés recherchent très rapidement en Angleterre des plages identiques à celles prévues pour le débarquement en Normandie, et ils y organisent leurs entraînements.

Des unités spécialisées sont mises sur pied, notamment des troupes de sapeurs qui sont chargés d’ouvrir des axes de progression à travers les obstacles disposés en nombre sur les plages. Ces sapeurs précèdent l’assaut, des hommes-grenouilles balisent les voies d’accès pour les engins de débarquement.
Les membres d’unités spécialisées sont également soumis à de lourds entraînements, et ils travaillent en commun avec les marins à bord des navires, tout comme les autres unités d’infanterie.

La conduite des opérations

La conduite d’une opération amphibie est rendue difficile par le fait de la multiplicité des intervenants et de la multiplicité des éléments.

En effet, le passage d’une dimension à l’autre, à savoir le passage de la dimension marità la dimension terrestre, implique l’intervention de deux groupes : les marins, puis les terriens. Ils doivent nécessairement réaliser des entraînements en commun et s’accorder sur les mêmes réseaux de communications. Et de la même manière que les Alliés sont commandés par un chef suprême, chaque opération amphibie doit avoir son maître à penser, quelle que soit sa nationalité. Mais là encore, un choix doit être fait pour éviter les erreurs d’incompréhension ou les doublons.

Si le passage de la mer à la terre est difficà organiser à gérer, ce n’est pas la seule difficulté de l’opération Overlord. En effet, il s’agit aussi de passer de l’air à la terre avec les opérations aéroportées. Ceci ajoute quantité d’obstacles, d’autant que des équipages internationaux (français, belges, polonais…) arment les différents appareils alliés. Il faut unifier les multiples commandements afin de rendre possible la conduite interarmes et interarmées des opérations.

Il faut également compter avec les divergences de personnalité des chefs. En effet, les luttes d’influence internes, plus politiques que militaires, peuvent rapidement handicaper la poursuite des opérations. L’une des affaires qui a notamment touché le haut commandement allié pendant la bataille de Normandie fut celle concernant le général Montgomery.

Conclusion

La planification est ainsi l’élément clé de toute opération amphibie. La préparation en amont est essentielle car c’est à ce moment que les objectifs sont clairement établis, les moyens mis en œuvre et les personnels entraînés aux missions particulières qui les attendent.

L’intérêt d’étudier la planification et la gestion du débarquement de Normandie repose sur son envergure : près de deux ans de préparation, des opérations amphibies et aériennes, l’intervention de dizaines de pays différents sur un même front et l’engagement de multiples types d’unités qu’il a fallu faire travailler de manière cohérente. Si un débarquement d’une envergure identique à celle de l’opération Overlord ne peut avoir lieu aujourd’hui, les mêmes éléments de préparation et de conduite sont encore nécessaire aujourd’hui.

Marc Laurenceau

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