Témoignage de D. Zane Schlemmer – 1/4

D. Zane Schlemmer est né le 13 octobre 1924 à Canton dans l’Ohio (USA). Il s’est engagé quelques jours après son dix-huitième anniversaire, en 1942, dans l’Airborne : les troupes aéroportées américaines. Il a rejoint les parachutistes pour diverses raisons, mais plus particulièrement pour se prouver de quoi il était capable, pour les 50 Dollars par mois qu’il allait y gagner, parce qu’il était attiré par la paire de chaussures de sauts uniquement offerte aux parachutistes et par l’insigne des troupes aéroportées, la célèbre « Jump Wing ».
D’origine allemande, Zane Schlemmer voulait également « remettre les choses à leur place » et montrer sa loyauté envers son pays.

Après avoir effectué ses classes et ayant participé à de nombreux exercices et manoeuvres aux Etats-Unis, Zane Schlemmer est envoyé par bateau en Irlande du nord où il débarquera en janvier 1944 et il a rejoint Nottingham, Angleterre, le jour de la Saint Patrick (17 mars), où il a retrouvé une grande partie des effectifs de la 82ème division aéroportée.

« Le Jour J, j’étais un sergent de 19 ans appartenant à la Compagnie du Quartier Général, Second Bataillon du 508ème régiment d’infanterie Parachutiste, 82ème division aéroportée. J’étais un observateur avancé d’une section de mortier de 81 mm. Voici mon histoire, mon D-Day. »

Il est décédé le 21 juillet 2013.

« A Nottingham, en Angleterre, nous avons installé notre camp – qui sera utilisé comme point de départ pour l’opération Overlord en Normandie et l’opération Market-Garden en Hollande – et bien qu’il faisait froid, nous étions confortablement installés. Nous garderons toujours un agréable souvenir de Nottingham et de ses habitants.

Chez les parachutistes, nous étions tous des volontaires, aussi bien les officiers généraux que les simples soldats, et nous étions parachutés toujours ensemble, chacun ressentait la même sensation. Sur le terrain, il régnait un sentiment de camaraderie et de respect mutuel entre tous, même envers les officiers, qui pour la plupart étaient des « West Pointers » (de « West Point », nom de la très célèbre école américaine formant les officiers de l’armée de Terre).

Nous avons passé les mois précédents l’invasion en Angleterre, poursuivant nos entraînements. Il s’agissait la plupart du temps de sauts, puis d’actions de regroupement et de défense au sommet d’une colline. Pendant toute la durée des entraînements, nous nous sommes à de nombreuses reprises demandés quel serait le pays au-dessus duquel nous serions parachutés. Toutes les rumeurs donnaient des points de chute probables allant de la Norvège aux montagnes des Pyrénées. Nous étions tous impatients d’effectuer notre première mission.

Au début du mois de juin 1944, nous sommes montés à bord d’anciens bus Anglais avec tout notre équipement, et nous avons été transportés jusqu’à nos aérodromes respectifs. Notre bataillon s’est rassemblé à l’aérodrome situé à Saltby, enfermé par des fils de fer barbelés de sécurité. Nous avons été ensuite ravitaillés en munitions.
A ce moment, j’étais, et tant qu’observateur avancé d’une section de mortiers, armé d’un fusil M-1 Garand de 7,62 mm. Nous avions été informés que les troupes allemandes éliminaient en priorité les observateurs avancés. Ainsi, armé d’un fusil et portant mes jumelles dans une sacoche située à l’arrière de mon ceinturon, j’essayais d’être le plus discret possible quant à mon véritable rôle.

Nous avons également reçu des munitions pour nos mortiers ainsi que diverses pièces pour leur utilisation. En plus de deux grenades (l’une à fragmentation et l’autre incendiaire), nous avons tous reçu une grenade Gammon. La Gammon était une invention anglaise. Il s’agit d’un explosif composé de près de 1000 grammes de C-2 (plastic) entouré de coton. Le détonateur est une simple mèche à faire bruler. Ces explosifs étaient pratiques pour détruire des véhicules et nous les avons appelés « l’artillerie de main ». La grenade Gammon était également très appréciée, parce qu’une fine part de plastic C-2, une fois au contact d’une allumette, brule extrêmement rapidement, procurant une source de chaleur intense et sans fumée, et cela nous servait pour préparer le café et nos rations K au fond de nos trous de souris. Ainsi en Normandie, la taille de nos grenades Gammon se réduisait de jour en jour.
Chaque soldat avait également été doté d’une mine anti-char que nous devions transporter sur le terrain.

Ce que j’ai trouvé de très étonnant était que chaque parachutiste demandait à recevoir plus de munitions, malgré le fait que nous étions très lourdement chargés. Chacun voulait disposer d’une puissance de feu potentielle plutôt que de dépendre du ravitaillement.

Puis nous avons attendu, tuant le temps en effectuant des vérifications de nos équipements, nettoyant et renettoyant nos armes, aiguisant encore et toujours nos couteaux, vérifiant nos équipements téléphoniques ainsi que les sacs où étaient disposés nos munitions qui seront largués en même temps que nous. Nous avons ensuite accroché des petites lumières à ces sacs pour les récupérer après avoir touché terre, étant donné que le saut s’effectuerait de nuit. Puis nous avons été « briefés », assis sur des bancs. On nous a indiqué que notre objectif – une colline que nous devions capturer – était occupé depuis peu par des troupes allemandes, et que nos ordres avaient en conséquence changé. On nous a également informé que nous devions sauter sans se soucier de quoi que ce soit et qu’il était interdit de rester dans l’avion pour rentrer en Angleterre.

La première séance du briefing était accompagnée de cartes muettes, montrant simplement des champs, des routes, des rivières, des ponts et des villages. La deuxième séance du briefing était cette fois-ci accompagnée de cartes portant des noms de villages anglicisés : Evansville (qui devait dans la troisième séance de briefing devenir Etienville), Port Abbey (Pont-L’Abbé) et Pickleville (Picauville). Lors de cette troisième et dernière séance de briefing, nous avons été informé que la zone de parachutage est située en Normandie, France, et que notre objectif principal était d’empêcher les soldats allemands d’emprunter les routes qui mènent à la plage d’invasion dénommée Utah ; notre mission ressemblait à une tactique de football américain : le « field blocking ». On nous a ensuite dit que nous devions tenir nos positions jusqu’à ce que nous soyons relevés par les troupes débarquées, et que par la suite nous serions évacués de la péninsule du Cotentin.

On nous a, par la suite remis une série d’objets supplémentaires comme une mini-carte d’évasion et un minuscule compas que nous devions insérer à l’intérieur de nos vestes de saut. On nous a également donné la « monnaie d’invasion » : plusieurs billets en Francs, afin que nous puissions nous ravitailler auprès de la population française. Nous avons encore tous reçu deux tablettes de benzédrine (amphétamines), pour nous aider à rester éveillés, ainsi que deux seringues de morphine à s’administrer soi-même au cas où nous sommes blessés. Je n’avais, bien entendu, jamais entendu parler de tablettes de benzédrine ou de seringues de morphine.

On nous a également remis un petit jouet appelé « cricket« , qui servait comme identificateur et pour communiquer une fois en territoire ennemi, dans la pénombre. A un « clic » devait correspondre deux « clic ».
Nous avons ensuite revêtu nos gilets de sauvetage jaunes. Nos fusils M-1 étaient démontés et les divers éléments étaient placés dans une sacoche pour vêtements que nous appelions habituellement « boîte à violon ». Le conteneur était ensuite placé sous notre parachute de réserve, et ainsi nous ne pouvions réellement nous défendre qu’une fois notre parachute et les harnais détachés, et notre arme remontée. C’est pour cette raison que j’avais emporté un petit revolver à barillet Smith & Wesson, que je portais juste sous le parachute de réserve et sous le gilet de sauvetage jaune, au cas où j’en avais besoin au moment de l’atterrissage.

Le Jour J était dans un premier temps prévu pour le 5 juin 1944, mais les mauvaises conditions climatiques ont retardé l’invasion de 24 heures. Finalement, aux alentours de 20 heures 30, le lundi 5 juin 1944, notre stick s’est rassemblé. Mon stick comptait 18 parachutistes et nous avons traversé l’aérodrome en direction de l’avion qui devait nous transporter. Devant le Douglas C-47, nous avons vérifié pour la dernière fois nos équipements. Nous étions presque parés et il nous était impossible de se détendre, tellement nous étions chargés.

Nous avons ensuite noircis nos visages, endossés nos parachutes (principal et de réserve), puis nous avons enfilés nos gilets de sauvetage, mis nos casques sur la tête et nous avons accrochés nos jugulaires. Nous avons été ensuite poussés et hissés à l’intérieur de l’avion par les membres d’équipage, car nous étions tellement chargés qu’il nous était impossible de grimper par nous-mêmes à l’intérieur de l’appareil.

Les visages des soldats exprimaient tous quelque chose de différent : une nécessité nerveuse de discuter, de rire, un recueillement pour prier. Toutes les petites différences entres les hommes étaient oubliées et l’esprit de camaraderie primait avant tout. Je me souviens avoir mâché un paquet entier de chewing gum pendant l’embarquement et depuis ce moment je n’ai pas le moindre souvenir de ce qui est arrivé à cet amas de gomme. Ou bien je l’ai avalé, ou bien je l’ai perdu pendant le parachutage.

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Auteur : Marc Laurenceau – Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur – Contact Webmaster