La mort du capitaine Waskow, par Ernie Pyle

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Gennaker
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La mort du capitaine Waskow, par Ernie Pyle

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Sur la ligne de front, Italie, 10 janvier 1944, par Ernie Pyle...

"Dans cette guerre, j'ai connu beaucoup d'officiers aimés et respectés de leurs soldats. Mais je n'ai jamais croisé le chemin d'un homme aussi adoré que le capitaine Henry T Waskow, de Belton, Texas.
Captain Waskow était un commandant de compagnie au 36th Infantry Division. Il menait sa compagnie depuis longtemps quand il a quitté les Etats Unis. Il était très jeune, dans les 25 ans, et il portait en lui une sincérité et une gentillesse telles que les gens voulaient être dirigé par lui.

"Tout de suite après mon père, je le plaçais en terme d'importance "me dit un sergent;
"Il s'occupait toujours de nous "dit un soldat, "Il montait au créneau pour nous en permanence."
"Je ne me souviens pas l'avoir jamais vu faire quelque chose d'injuste", dit un autre,


J'était au pied de la piste de mules la nuit où ils ont ramené le corps du Captain Waskow. La lune était presque pleine ce soir là, et on pouvait voir loin sur la piste, et même en partie la vallée en dessous. Les soldats faisaient des ombres en marchant à la lumière de la lune.

Des corps avaient été rapportés de la montagne toute la soirée, harnachés sur dos des mules. Ils arrivaient attachés sur le ventre en travers des selles de bois, leur tête pendant sur le côté gauche de l'animal, leurs jambes déjà raides pointant bizarrement de l'autre côté, tressautant de bas en haut au rythme de la marche de la mule.

Les gardiens de mules italiens avaient peur de marcher près des cadavres, et ce sont des américains qui menaient les bêtes ce soir là. Même les américains répugnaient à détacher les corps arrivés en bas. C'est un officier qui devait s'en charger avec l'aide d'autres hommes.

Le premier cadavre était arrivé tôt le matin. Ils l'avaient fait glisser du dos de la mule et l'avaient maintenu à la vertical un instant, cherchant une meilleure prise. Dans le demi jour, on aurait pu penser qu'il s'agissait d'un simple malade, s'appuyant sur les autres. Puis ils l'ont étendu sur le sol à l'ombre d'un petit mur de pierres le long de la route.

Je ne sais pas qui était le premier corps. On se sent petit en présence d'un homme mort; et honteux d'être vivant ; on ne pose pas de questions bêtes.

On l'a laissé là près de la route, et on est retourné dans l'étable s'asseoir sur des jerrycans d'eau ou étalé dans la paille à attendre le prochain convoi de mules.

Quelqu'un mentionna que le cadavre avait été tué voici 4 jours, et plus personne n'en parla. On a raconté des histoires de soldats pendant une heure encore. Les morts sont restés seuls allongés près du petit mur de pierres.

Puis un soldat est entré dans l'étable et a dit qu'il y avait d'autres cadavres dehors. On est sorti sur la route. Il y avait 4 mules, dans le clair de lune, à l'endroit ou la piste de montagne rejoignait la route. Les soldats qui les menaient attendaient là. "Celui ci est le Capitaine Waskow" dit l'un d'eux doucement.

Deux hommes détachèrent son corps de la mule et le portèrent vers l'ombre du mur de pierres. D'autres hommes détachèrent et étendirent les autres corps. Il y avait en tout 5 cadavres alignés le long de la route. On ne couvre pas les corps dans une zone de combats. Ils demeurent juste étendus là jusqu'à ce que quelqu'un s'occupe d'eux.

Les mules déharnachées se rendirent dans un champs d'olivier. Les hommes au bord de la route hésitaient à partir. Ils restaient là, et petit à petit, un par un, je les ai senti se rapprocher du corps du capitaine Waskow. Pas vraiment pour le regarder, je pense, mais plutôt pour dire quelque chose de définitif, à lui et à eux même. J'étais tout près et j'ai entendu.

Un soldat s'est approché, a regardé et a dit à voix haute "God damn it!" (Nom de Dieu! ndlr) C'est tout ce qu'il a dit, et il est parti. Un autre s'approcha. Il dit : ""God damn it to hell anyway." Il a baissé les yeux un long moment, s'est détourné et est parti.

Un autre homme est venu, un officier je crois. C'est difficile de différencier les officiers des simples soldats au clair de lune, avec ces mêmes visages hirsutes et sales. L'homme contempla le visage du capitaine, et lui parla directement, comme s'il était vivant : Il dit : " Je suis vraiment désolé, vieux camarade..."

Puis un soldat vint et se tint près de l'officier, se pencha et parla à son officier, non pas dans un murmure mais avec terriblement de tendresse ; Il dit : "Je suis vraiment désolé Sir..."
Puis le premier homme s'agenouilla, tendit le bras et saisit la main du mort. Il resta assis pendant 5 minutes, tenant la main de l'officier mort, et le regardant fixement. Il ne dit pas un mot tout le temps qu'il resta ainsi.
Il déposa finalement la main du mort, et tendrement, remis en ordre le col de la chemise du capitaine, et brossa le vêtement taché de sang autour de la blessure. Puis il se leva et partit le long de la route, dans la clarté de la lune, seul...."
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