Habiter une péniche du débarquement de 1944

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Marc Laurenceau
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Habiter une péniche du débarquement de 1944

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Sa lignée est bretonne, beaucoup de ses aïeux étaient matelots et Max, 52 ans, habite ce bateau, amarré le long de l’Erdre nantaise (Loire-Atlantique). C’est son père qui a opéré le transfert de l’eau de mer à l’eau douce, il y a 35 ans.

« J’ai perdu ma mère de bonne heure, et mon père était officier de marine marchande. A la retraite, il s’est senti tout seul dans la grande maison familiale. Il s’emmerdait comme un poisson pourri, a déprimé, en a eu marre, et a finalement vendu la maison. C’est comme ça qu’il a acheté ce bateau-là, sur lequel nous habitons avec Nathalie. »

Le bateau en question a lui-même une vie étonnante. Il fait partie de la flotte de péniches alliées qui débarquent sur les plages normandes le 6 juin 1944. Son premier propriétaire civil l’aménage après la guerre et l’immatricule pour la mer et la rivière. Lorsque Max Senior rachète l’embarcation en 1979, il fuit l’ennui en arpentant les canaux de la région. Mais conserve toujours son anneau sur l’Erdre, pas loin de l’île de Versailles, à Nantes, où il a sa petite notoriété.

« Mon père a été un des premiers de la région à habiter en péniche. C’était une figure du quai, un peu marginale. Il décorait le quai de bric et de broc, taguait le mur, était connu de tout le monde !

En 1998, Nathalie et moi avons décidé de rentrer à Nantes après quelques années à Annecy [Haute-Savoie]. On cherchait un logement, mais devant la difficulté papa nous a proposé son bateau. Il disait que ça devenait trop lourd pour lui. Il s’en est acheté un plus petit, qu’il a amarré juste à côté. »

« En deux mois, j’ai refait le bateau »

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Des tiroirs dans les escaliers

Le legs concernait le bateau, mais pas l’emplacement. D’ailleurs, le droit fluvial est strict, prévoyant qu’on ne peut s’amarrer à n’importe quel endroit du domaine public. Il faut signer avec l’autorité gestionnaire une convention, théoriquement révisable tous les cinq ans. En l’occurrence, c’est à NGE, société gestionnaire des ports nantais, que la petite famille reverse un droit d’amarrage de 1 200 euros annuels pour les deux bateaux.

Ainsi installés à Nantes avec leur fils Jimmy, alors âgé de 6 ans, Max débute une nouvelle activité d’artisan, tandis que Nathalie s’épanouit dans la sculpture.

En juin 2004 survient un événement marquant. Une batterie implose à bord, déclenchant un incendie qui ravage tout, sans pour autant couler le bateau. Comme les assurances n’indemnisent que le renflouage, le couple ne touchera pas un sou. Max décide de refaire la péniche :

« Des artisans se sont cotisés pour moi, mon concurrent direct m’a par exemple donné de l’électroménager. En deux mois, j’ai refait le bateau, principalement avec des matériaux issus de mon entreprise. J’en ai profité pour faire ce que j’avais planifié depuis un bout de temps : élargir le bateau, l’agrandir. J’ai vraiment voulu utiliser le maximum de volume, surtout pour les pièces de vie. Sur les bords, par exemple, on est dans le vide. »

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Le salon et les chambres

Surface habitable : 60 m2

On s’en rend compte en découvrant le bateau dans ses plus petits recoins : il n’y a absolument aucun espace mort. Les lits s’élèvent à plus d’un mètre du sol, surplombant une armada de rangements fonctionnels.

Lors des travaux de 2004, Max a dressé des murs au-dessus du pont supérieur, créant ainsi deux niveaux et il a allongé sa proue d’une petite terrasse surplombant l’eau.

Les travaux, qu’il a effectué presque seul, ont permis de doubler la surface habitable. Elle est aujourd’hui d’environ 60 m², soit celle d’une petite maison.

Echaudé par le drame de 2004, Max a d’ailleurs fait expertiser l’embarcation pour qu’elle bénéficie d’une assurance similaire à celle d’une résidence terrienne.

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La douche

Compromis entre centre-ville et tranquillité

Depuis le décès du père de Max en 2011, la barge qu’il occupait reste accolée à l’habitation familiale. Le couple continue de payer le droit d’amarrage pour les deux esquifs. Nathalie détaille les projets pour cette embarcation dont ils n’ont pas vraiment besoin :

« Pour l’instant, on rénove... Avec peut-être l’idée de la vendre. »

Max complète en souriant :

« Ou alors, il y aussi l’idée d’en faire un petit studio et de le louer. Enfin, un très, très petit studio... Avec le charme, hein ! »

Le « charme de la vie à bord » fait partie des grands arguments des prosélytes de la péniche d’habitation.

« On a les bateaux qui passent, une vue qui n’est pas désagréable ! Dès qu’il fait nuit et qu’on est sur la terrasse, il y a toutes les petites poules d’eau et les canards qui viennent pour qu’on leur donne du pain. Alors oui c’est un peu confiné, il ne faut pas être claustro. Mais quand on arrive à avoir ce compromis entre le fait d’être en centre-ville et d’avoir la tranquillité... »

Nathalie évoque les joies de cette existence, qui lui font craindre la perspective d’un retour à terre.

« Les gens nous disent souvent que chez nous, c’est chaud, très intimiste. Nous, on oublie qu’on vit sur une péniche, ce sont les gens qui nous le rappellent !

Revenir en appartement ou maison, ce serait trop dur. Peut-être qu’avec l’âge on devra le faire, à la retraite, mais on n’en est pas là. »

« Quand on part en vacances, on met des alarmes »

Obtenir d’un habitant de péniche qu’il liste les inconvénients de ce style de vie n’est pas chose aisée. Nathalie avance que c’est peut-être le manque d’intimité qui a poussé Jimmy à partir tôt du nid familial. A bien y regarder, il y a les relations avec les promeneurs trop insistants, rappelle Max.

« Faut relativiser. Il y en a beaucoup qui regardent et peu qui insistent. Mais il y a effectivement des problèmes avec la viande saoule, entre autres pendant les Rendez-Vous de l’Erdre. Ils montent sur les bateaux, font des conneries et tout ça ! Du coup, quand on part en vacances, on met des alarmes, on colmate tout et mon fils passe régulièrement. »

En creusant le sujet, on se rend compte que c’est sur le plan financier que tout n’est pas rose pour les propriétaires de péniche-logement. Ainsi, il est obligatoire de procéder tous les dix ans à une expertise de la coque en cale sèche. Au grand minimum, l’opération se chiffre à 3 000 euros. Heureusement le père de Max était agréé par la marine pour cette expertise.

« On le bichonne, on se fait plaisir »

Le couple nantais paie aussi une taxe de francisation, qui dans le droit maritime et fluvial s’applique aux embarcations mobiles dotées d’un moteur. Par contre, il se pose un flou juridique sur les taxes d’habitation et foncières. Leur application semble dépendre de l’appréciation des autorités locales, comme le relève l’association de défense de l’habitat fluvial. Max et Nathalie n’en paient pas.

Mais ils dépensent beaucoup en travaux et entretien :

« Sur un bateau, il y a toujours des travaux, des choses à faire ou à refaire. On le bichonne, et on se fait plaisir ! L’idée c’est de tout le temps améliorer, individualiser.

En-dehors de ça, il y a l’entretien. Des pièces cassent. Par exemple, la pompe de compression, c’est 250 euros et on la change tous les deux ans. Sur un bateau, tout est soumis aux intempéries, beaucoup plus que sur une maison. Il faut gratter régulièrement, enlever la mousse, refaire les peintures extérieures... »


Acte de propriété :

Péniche de 1944, environ 60 m² de surface utilisable. Valeur actuelle de ce legs familial : 120 000 euros (une estimation).


Travaux et entretien :

– Réfection totale suite à l’incendie de 2004 : 15 000 euros ;

– Matériaux, peintures, mécanique, etc. : 3 500 euros par an en moyenne ;

– Vidange des cuves d’eaux usées (forfait établi avec une société locale) : 700 euros par an. Max envisage de passer à la phytoépuration.

Source
Marc Laurenceau
Webmaster du site DDay-Overlord et du forum
Auteur du livre Jour J Heure par Heure

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