Ils ont pris Carentan

Le front de l'Ouest ne se limite pas à la bataille de Normandie : discutez ici des autres grandes batailles !
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Gennaker
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Ils ont pris Carentan

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Les gliderists américains de la seconde guerre mondiale sont un peu les parents pauvres de l'US Airborne, peut être à cause, en début de conflit, de leur uniforme moins "glamour" que celui des trooper boys, ou peut-être aussi parce qu'oubliés d'une certaine Mini Série. Ils ont en tous cas prouvé à maintes reprises qu'ils savaient être décisifs sur le terrain, tant au 325th GIR de la 82nd Airborne au pont d la Fière par exemple, qu'au 327th lors de la prise de Carentan. Ce sont bien les gliderists de la 101st, arrivés, ironie du sort et faute de planeurs, par la mer, qui se voyaient confier dès le 10 juin par l'Etat Major américain (Courtney Hodge himself!), le soin de mener l'assaut décisif vers le coeur de la ville depuis les rives de la Douve. Premier régiment de la 101st à atteindre la rive sud de la Douve, les boys des 327th et 401st GIR allaient aussi avoir l'honneur d'effectuer la jonction avec la tête de pont d'Omaha Beach, établissant un front cohérent entre Omaha et Utah dès le 10 juin.

Quelque peu passé sous silence en comparaison des autres morceaux de bravoure de la prise Carentan,( la charge de Cole, Bloody Gulch, Hill 30…) l'assaut des glidermen le long du bassin à flot vaut cependant son pesant de 88 et de balles de MG42. Le jeune bazookaman de G/327th Don Rich était en pointe de l'attaque côté ouest du canal. Son récit est édifiant. Oyez osez les exploits des hommes qui ont libéré Carentan….

Dimanche 11 juin 1944, 10 heures du matin
"La plupart de la compagnie G a franchi le petit pont piétonnier (en amont du pont Bailey actuel ndlr) quand soudain, l'air est rempli du bruit des explosions dans l'eau des obus de mortiers allemands. Les tirs proviennent de Carentan, et les obus tombent autour du pont, mais suffisamment loin pour n'occasionner aucune perte. L'ennemi sait de toute évidence que nous arrivons. A 10 heures, G company s'aligne pour l'assaut sur la droite du canal ( en regardant Carentan ndlr). La compagnie A du 401st est sur la rive est (gauche), arrivant tout juste de sa position de réserve au lieu dit le Rocher. Nous sommes sous commandement du 401st. Une équipe de mortier s'installe dans le petit verger derrière la maison proche du pont. Niland nous confie qu'un char Mark III est en position dans le secteur et que l'approche de la marina de Carentan est minée. Simultanément, les deux compagnies de part et d'autre du canal commencent leur progression.

Prudemment, nous avançons, la vue obstruée par les arbres et les buissons, avec pour seul bruit le frottement de nos pas sur l'herbe et les branches que l'on casse sous nos pieds. Le capitaine Evans a de nouveau choisi de mettre mon squad en pointe. Nous dépassons l'endroit où j'ai précédemment mené ma patrouille et progressons encore d'une centaine de mètres. A notre grand étonnement, les allemands ouvrent un feu dévastateur à la mitrailleuse et au fusil, qui nous prend totalement par surprise. Les mitrailleuses fauchent nos lignes et les mortiers pilonnent nos positions. De partout, les hommes s'écroulent. Notre élan est brisé. Je m'allonge à plat ventre et cherche une cible pour mon bazooka. Mais je ne parviens pas à repérer d'où les allemands nous tirent dessus. A cause des arbres, je ne parviens pas à m'ouvrir un champs de tir.
L'intensité de la bataille rend toute action surréaliste. Rien ne ressemble à ce que j'avais imaginé. L'odeur de la poudre me pique le nez. Toujours incapable de me trouver une cible claire à cause des arbres, je retourne en arrière quérir des ordres du lieutenant Hibbard. Les balles déchirent les feuilles au dessus de ma tête et les branches me tombent sur les épaules. Alors que je m'approche du gros de la compagnie, j'entends des gars s'interpeler, malgré le bruit de la bataille :
"Pourquoi a t'il fait cela?
-Que voulais tu en faire de toutes façons?
-Mieux lui mort que de nous faire tuer en protégeant un Boche!
"Mais de quoi parlez vous?" dis je
"Blankenship a tué le prisonnier" me répond on!
-Quoi? je m'étranglai!
"Blankenship a tué le putain de Boche!"

Je vacillai. Plus personne ne dit un mot. On avait une bataille à gagner. Et les choses ne se passaient pas bien du tout. Et pourtant, de nombreux gars, y compris moi-même, furent bouleversés par cette nouvelle. Bien que je comprenais pourquoi mon camarade avait choisi de tuer notre prisonnier, j'en était malade et tout retourné. La plupart d'entre nous pensait qu'on devrait traiter les gens, y compris l'ennemi, comme on voudrait nous même être traité si on était capturé. Nous savions cependant que ce prisonnier avait été fait au beau milieu d'une opération de combat, et qu'on avait besoin de toute le monde en ligne, et pas pour garder un prisonnier. Personne ne savait vraiment que faire de lui au moment dé noter attaque, et c'est ainsi qu'un des gars de mon squad décida de le descendre….

N'ayant pas trouvé Hibbard, je repartis vers la ligne de front. Brrrrrrppppppp! L'ennemi continue de tirer furieusement dans notre direction… Son feu se fait plus précis. Derrière nous, un peu sur la droite, j'aperçois des têtes d'allemands qui surgissent des marais et tirent sur notre équipe de mortier derrière la maison du verger. Tout autour de moi, des morts et des blessés qui hurlent. Blankenship est touché à la main par un tir de mitrailleuse. Il hurle comme s'il était grièvement blessé. Je suis sûr qu'il a très mal, mais personne ne lui montre beaucoup de sympathie, en partie à cause du sérieux de la situation et de la gravité des autres blessés, mais aussi parce que nous sommes encore sous le choc de ce qu'il a fait à notre prisonnier…"

A suivre...
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325th GIR
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Re: Ils ont pris Carentan

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MERCI Denis de rendre hommage a ses fou, venu par le ciel dans des cercueils volant...
Sous chaque croix blanche du cimetière Américain de Colleville-sur-Mer ( Normandie) , dort un morceau de Liberté.
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Gennaker
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Re: Ils ont pris Carentan

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You're welcome... ;)

"Les combats font rage. Le feu des mitrailleuses ennemies continue de balayer le secteur. J'attends toujours les ordres. D'où je suis positionné, il n'y a toujours pas de cible intéressante en vue pour mon bazooka. Le lieutenant Niland, de HQ Company, ordonne à Frank Delarosa de déterminer avec précision l'emplacement du nid de mitrailleuse allemand. Je suis à côté de Niland quand Art Rutherford se précipite vers le lieutenant.
"Delarosa est mort! cette mitrailleuse l'a eu! Je discerne à peines ses paroles dans tout ce vacarme. Je pars en rampant, essayant de comprendre la situation.
Niland arrive derrière moi en gueulant ; "Allons détruire cette mitrailleuse! Les mortiers ne peuvent l'atteindre à cause de la hauteur des arbres." On avance d'une vingtaine de mètres sur la digue, en se cachant derrière les arbres et les buissons, qui nous masquent un peu de la provenance des tirs. Je ne vois toujours pas la mitrailleuse, mais je l'entends distinctement. Je ne suis pas sûr si Niland la voit ou pas. On continue d'avancer.

La fumée du canon de la mitrailleuse lorsqu'elle tire révèle finalement sa position. A part lorsqu'il recharge, son tir est continu. La mitrailleuse est dissimulée au pied de la digue du côté est du canal, et nous tire dessus par dessus l'eau du canal. Pour pouvoir l'atteindre, je vais devoir glisser en bas de la digue et m'exposer à découvert, en espérant ne pas être pris pour cible.

Le talus fait environ trois mètres et tombe à pic. J'enlève le bazooka de mon épaule droite et je conserve ma carabine sur l'épaule gauche. La mitrailleuse arrose le haut de la digue lorsque j'entreprend de me laisser glisser vers le bas. Un grand arbre est planté là tout seul au bord de l'eau. Arrivé en bas de la digue, je me dresse sur mes jambes. Je ne vois toujours pas clairement la position ennemie entre les arbres. Je ne vois plus Niland mais je l'entends en haut de la digue. Il devra me servir de chargeur pour le bazooka.

Mais où est il donc?

Les balles frappent le sol tout autour de moi, faisant un bruit de pop corn en heurtant les arbres et le sol. La plupart des balles me passent au dessus de la tête, et les impacts soulèvent des petits nuages de poussière et des éclats de pierre.

"Rich! Rich! fous le camps de là!" crie Niland.

Nul besoin d'ordre. Je fais demi tour et commence à escalader le talus de la digue en poussant le bazooka devant moi. Je ne peux aller très vite à cause du bazooka qui me ralentit. Le talus est trop abrupt pour l'escalader à toute vitesse avec un bazooka. Mes jambes sont en coton alors que j'essaie de rejoindre l'autre versant de la digue.

J'atteins le haut de la digue et me jette au sol pour me faire tout petit sous la volée de balles. Soudain, je ressens une douleur aiguë comme si on m'enfonçait un tison rougi à blanc dans la jambe gauche. Je suis touché!"


L'adrénaline afflue dans tout mon corps. Ma jambe me fait mal. Mais au lieu de rejoindre le reste de mon squad, je me lève, et commence à courir sur la digue pour essayer de prendre de flanc cette mitrailleuse. Je fais quelques pas et je plonge à couvert. Je veux trouver le "son of a bitch" qui m'a blessé!
"Je vais les avoir pour m'avoir fait ça!" pensai je en moi même. Ma carabine est toujours dans ma main gauche, et je me cherche une cible.
Niland crie une nouvelle fois dans mon dos : "Rich!"
"Les fils de putes m'ont eu" lui crié je en retour.
"Rich, qu'est ce que tu fous? Ramène ton cul par ici! Me répond Niland.

Cela me ramène sur terre. Je me lève pour revenir vers nos lignes. Je trébuche et m'écroule au bout de quelques pas. Je jette un oeil à ma jambe qui me lance. Elle saigne abondamment, mais sans jet. J'ai besoin d'un coup de main. Je rampe entre les arbres le long du canal. Un intense, incroyable combat fait rage tout autour de moi. J'entends de plus en plus de cris et je vois de nombreux cadavres. Toute la situation me semble confuse. J'appelle un medic, mais je m'interromps vite en voyant d'autres gars plus blessés que moi.

Entre les détonations, j'entends des soldats salement touchés qui gémissent et hurlent : "Medic, Medic! aidez moi! quelqu'un ! aidez moi!!"

J'aperçois un gars qui me semble touché mortellement. Il saigne abondemment. "Mamma Mia! Mamma Mia" gémit il. Je ne sais qui il est. Il n'est pas de mon squad. Personne ne peut l'approcher à cause de la densité des tirs ennemis. Peu à peu, ses cris diminuent. Juste à côté, Simpson a été touché à l'épaule.
Je continue de ramper, car les balles sifflent à quelques centimètres de ma tête. Je tombe sur le sergent Jewell Hayden allongé derrière un arbre.
"Rich, où crois tu aller ainsi?" me crie t'il
"Putain, je suis touché" lui dis je en retour.
"Fous le camps d'ici alors" me dit il.

Des morceaux d'écorces volent dans tous les sens, arrachés par les balles qui frappent les arbres. J'entends les sifflements des balles alors que je m'approche de la Douve. J'aperçois la maison du verger à travers les buissons. Les tirs viennent à présent du sud et de l'ouest. Je veux trouver un abri pour récupérer. La maison est face au sud, et sa porte d'entrée est face aux tirs ennemis. Je ne peux l'atteindre sans m'exposer. Cherchant désespérément une protection, je continue de ramper à travers les buissons jusqu'à un jardin à l'est de la maison. Alors que je traverse en rampant la petite allée du jardin, les balles sifflent toujours au dessus de moi. J'arrive aux marches de la maison et je grimpe sur le porche. Je frappe fort à la porte, ne pensant pas que quiconque puisse venir m'ouvrir….
Mais soudain, la poignée de la porte tourne, et un Français avec d'épais cheveux noirs ouvre la porte. Il me tire à l'intérieur, et referme brusquement la porte derrière moi. J'entends un petit cri, et j'aperçois une femme qui couvre sa bouche de ses mains. Elle tient près d'elle un petit garçon. Cette famille française tente de survivre au milieu des combats. Leurs yeux sont écarquillés de surprise et d'effroi. Je les regarde alors qu'ils me dévisagent. Puis l'homme s'approche doucement et me tends sa main, posant son autre main sur mon épaule en se penchant vers moi. "American! american! s'écrit il de son fort accent français en me serrant frénétiquement la main…"

TO BE CONTINUED
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Gennaker
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Re: Ils ont pris Carentan

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Les français regardent avec inquiétude vers la porte. Ils restent penchés, de peur d'être atteint par les balles perdues. Ma tête commence à s'embrumer. Je m'affaiblis de plus en plus. Je n'ai pas perdu énormément de sang, mais additionné avec la fatigue et le choc, je me sens partir dans les vapes. La femme commence à nettoyer ma blessure, et à la bander avec des morceaux de tissus. Je m'inquiète en pensant que ma présence met cette famille en danger. Les allemands ne seront sûrement pas heureux s'ils les attrapent en train de me porter assistance. On gesticule, en essayant de se faire comprendre par gestes. Un fille de Wayland m'avait donné sa photo que j'avais toujours avec moi. Je la sors de mon porte feuille. Ils pensent que cette fille est ma fiancée. Pas grave.
Après qu'ils m'aient posé un bandage, je tente de m'approcher de la porte de derrière. Cette famille a pris suffisamment de risques. L'homme m'aide à me redresser. Je sors et je m'assois sur le perron. Il rentre à l'abri de la maison. Au bout de quelques minutes, Walter Burton arrive en rampant par le côté de la maison. Il s'approche de moi toujours en rampant. "Burton, que s'est il passé" lui demandai je en connaissant déjà sa réponse.
"Rich! on dirait que ces bâtards t'ont eu toi aussi.. que fait on à présent?"
Burton et moi saignons beaucoup. Nous avons très mal. Sa jambe droite a été touché pratiquement au même endroit que ma jambe gauche. A tous les deux, nous avons deux bonnes jambes.
"Je pense que nous sommes à l'abri tant que nous restons derrière cette maison" lui dis je. ON se soutient mutuellement pour se mettre debout, on se prend par les épaules et en se met en route vers la Douve. La maison nous couvre du feu allemand jusqu'à la berge. Chaque pas est une douleur mais on arrive au bord de l'eau, où on trouve un medic, avec sa croix rouge peinte sur son casque. Je tremble de froid et suis sous le choc.

Le medic défait mon bandage et m'injecte une syrette de morphine. Il place un nouveau pansement. La blessure fait 20 cm de long. Elle est ouverte jusqu'à l'os. Je vacille et tout se met à tourner autour de moi. Le medic panse les plaies de Burton et nous installe dans une barque.
"Débrouillez vous à présent les mecs" nous dit le medic. Il nous tape sur l'épaule et disparait en direction des combats… Ce medic pourrait être Raymond L. Miller, qui recevra la Silver Star pour ce type d'actions durant toute la journée du 11 juin, évacuant par barque ou canots les blessés, totalement indifférent au feu ennemi...

"... Burton et moi ramons ainsi sur la Douve que l'on traverse pour retrouver d'autres Medics qui installent un poste d'infirmerie avancé. J'y reçois une nouvelle injection de morphine. La dernière chose dont je me souviens est d'être allongé sur une civière. Lorsque je recouvre mes sens, je suis à Utah Beach, dans l'attente d'un navire qui doit me ramener en Angleterre.

Après que ma blessure ait été une nouvelle fois nettoyée et pansée, je suis transporté sur une civière à bord d'un LCT (Landing Craft, Tank) qui sert de navire hôpital. Ma tête ne tourne plus, mais je me sens terriblement fatigué. Les assistants me portent jusqu'au bord de l'eau. Le grand navire est quasiment échoué. Un medic agite ses mains frénétiquement. "Grouillez vous! il est peut-être déjà trop tard!" dit le medic, "le bateau doit partir avec la marée" précise t'il.
Des gardes nous font signe d'entrer par les grandes portes cargo, et ma civière est placée sur le pont des chars, sous le pont principal. en quelques minutes, je suis en route vers l'Angleterre. J'alterne entre éveil et évanouissement. Je me réveille en sursaut et je vois un marin qui a l'air très pâle et très anxieux. "La torpille d'un U Boat nous a manqué d'un cheveu" dit il.

Je replonge dans le sommeil. Je ne me souviens ainsi très peu de cette traversée. Je me souviens m'être réveillé dans un hopital en Angleterre, avec de beaux draps blancs et de jolies infirmières. Immédiatement, le staff médical me prépare pour l'opération. J'ai toujours dans ma poche le Lueger trouvé à Carentan. Un assistant le remarque juste avant qu'on ne m'endorme. "Il faut mieux le garder à l'oeil" dit il, "sinon, on va certainement vous le voler..."
"je peux m'en charger si vous voulez" rétorque une jolie nurse, qui s'en empare. Le chirurgien me demande : "D'où viens tu soldier?" Je parviens à peine à articuler, "Wayland, Iowa...." Elle est de Burlington" répond le chirurgien en parlant de la jolie nurse avec mon Lueger. Burlington est à moins de 30 bornes de chez moi.

Je perds connaissance à cet instant, et je ne me souviens que de mon réveil dans une chambre, et que ma jambe me fait très mal. Posé sur les draps blancs près de moi, se trouve mon Lueger.
Je n'ai jamais revu cette fille…."

L'auteur du très bel ouvrage "Glider Infantryman", sur les 327th GIR, Kevin Brooks, aimerait trouver trace de cette famille française, et de cette maison située sur la rive Ouest du bassin à flot à Carentan… Si quelqu'un a une piste….
Don Rich au centre…
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