70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #1

Ecrivez dans cette rubrique vos sentiments à propos des commémorations de la Bataille de Normandie, qui ont lieu chaque année au courant de l'été.

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325th GIR
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70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #1

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Source : Ouest-France
Lien : http://www.ouest-france.fr/70e-d-day-li ... -1-2672372
Date : 6 juillet 2014

70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #1

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Recueilli par Jack AUGER.
Suzanne Laporte, épouse Letellier, a consigné dans son journal des années de guerre à Caen, le témoignage émouvant des journées dramatiques de juin et juillet 1944.

Les familles Laporte et Letellier ont traversé toutes les épreuves rencontrées par les habitants de Caen. Les bombardements et la destruction totale de tous leurs biens, la fuite, la vie sans toit, sans vivres, sans eau, les blessures morales et physiques, le désespoir de ne jamais revoir l'un des leurs mort en déportation.A l'occasion du 70e anniversaire de la commémoration de la libération de Caen, ouest-france.fr, vous propose de suivre du 5 au 9 juillet « Le journal de Suzanne

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Elle habite le centre de Caen, elle est amoureuse de Jean

Suzanne Laporte a 20 ans en juin 1944. Elle habite 5, rue Pierre Aimé Lair, au-dessus du magasin de lingerie de ses parents. Elle est amoureuse de Jean, un jeune homme de deux ans son aîné, journaliste sportif au Journal de Rouen, en poste à Caen.Dans quelques années Jean deviendra « Tintin », personnalité incontournable du sport bas-normand pour le foot, le basket et le vélo dans les pages d'Ouest-France, du Bonhomme Libre et de Liberté de Normandie. Un journaliste de grand talent qui a surmonté le handicap d'une surdité héritée des années de guerre, par une volonté de fer et une connaissance quasi universelle du sport régional.

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« Lundi 5 juin, je vais voir « Véronique » au théâtre »

Suzanne a passé le bac les 2 - 3 juin 1944 et soutenu, le dimanche 4, un grand oral encore plus important. La venue de la famille Letellier chez ses parents, pour un après-midi de fiançailles, même si, vicissitudes de l'époque, la bague est restée en rade à Paris. Nous ouvrons son journal le lendemain, lundi 5 juin 1944:

« Je vais dire bonjour à Jean. Dans l'après-midi l'alerte sonne. Je me dépêche de rentrer par la rue de Geôle. Le soir, je vais au théâtre avec maman voir « Véronique ».Depuis plusieurs mois nous n'avons plus de poste de radio. Il a fallu le déposer à la mairie, décision allemande.Le théâtre, une fois par semaine, sert de distraction ; pas très élevé comme niveau, seulement des opérettes. Ce sont toujours les mêmes acteurs. Ils ont trouvé le bon filon. Travail et ravitaillement. Ils sont complices avec le public, on s'amuse parfois. Le théâtre sent un peu la poussière (...).Il sera entièrement brûlé fin juin 1944. À cette époque, il était dirigé par monsieur Tiberty, qui eût tellement peur lors des bombardements de la nuit du 6 au 7 juin, qu'il retourna rapidement dans son pays natal, Monaco, où il fut la seule victime civile pour cause de guerre.

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De chaque côté de la scène, deux tableaux s'allument « ALERTE »

Le 5 juin donc, au milieu de la représentation, de chaque côté de la scène, deux tableaux s'allument « ALERTE » (il n'y aura jamais le panneau « FIN D'ALERTE »). Quelques personnes sortent, des gens de la défense passive, et le spectacle continue. C'est fini. Ils ont chanté « de-ci, de-là, va, trottine, etc, etc... ».Nous sortons du théâtre.Feu d'artifice dans le ciel, fusées éclairantes, lumières rouges, jaunes. Maman contemple, moi, je la presse de rentrer. Ça gronde vers la côte, grondements ininterrompus, comme un gros orage.Papa ne dort pas, on s'allonge sur nos lits, habillés. J'ai sur moi la robe enfilée pour aller au théâtre, une robe marine, très belle, avec un col blanc.Je repense à ce que mon père m'a dit : « Demain, 6 juin, tu descends travailler au magasin, inutile d'attendre les résultats du bac. »

(1) « Sa construction ? Milieu du XIXe environ (1838). Le théâtre de Véronique brûla avec les décors du 1er acte pour la représentation du lendemain, 6 juin (qui devait être la dernière de la saison). Le « TMC » (Théâtre - Maison de la Culture) a été reconstruit sensiblement à la même place. »
Sous chaque croix blanche du cimetière Américain de Colleville-sur-Mer ( Normandie) , dort un morceau de Liberté.
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325th GIR
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Re: 70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #1

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70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #2

Source : Ouest-France
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Date : 6 juillet 2014

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Recueilli par Jack AUGER.

Suzanne Laporte, épouse Letellier, a consigné dans son journal des années de guerre à Caen, le témoignage émouvant des journées dramatiques de juin et juillet 1944.

Les familles Laporte et Letellier ont traversé toutes les épreuves rencontrées par les habitants de Caen. Les bombardements et la destruction totale de tous leurs biens, la fuite, la vie sans toit, sans vivres, sans eau, les blessures morales et physiques, le désespoir de ne jamais revoir l'un des leurs mort en déportation.A l'occasion du 70e anniversaire de la commémoration de la libération de Caen, ouest-france.fr, vous propose de suivre du 5 au 9 juillet « Le journal de Suzanne ».

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« Monsieur Laporte, ils ont débarqué dans le nord ! »

Lundi soir 5 juin, Suzanne Laporte et sa mère, Marie, sont rentrées du théâtre, pas très rassurées (épisode #1). Un grondement vers la côte indique d'intenses bombardements. André a conseillé à toute la famille de dormir habillée. Prête à partir.

«Mardi 6 juin. La fin de nuit est longue. Il fait une grosse tempête. Quand le jour se lève il y a d'énormes nuages noirs, le vent souffle en rafales.Une voiture haut-parleur passe dans la rue donnant le droit de circuler une heure pour acheter à manger.Maman rapporte des asperges qu'elle gratte et met à cuire.Notre propriétaire frappe à la porte. Il avait plusieurs postes de radio et ne les a pas tous donnés à la réquisition. Il a capté quelques nouvelles:

- « Monsieur Laporte, ils ont débarqué dans le nord ! ».

Pour nous, bons Normands, le nord c'est le Pas-de-Calais. Donc nous, c'est une diversion !
Je suis arrivée au rez-de-chaussée, les carreaux tombaient encore

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Vers 13h, il y a longtemps que le gaz a été coupé et que les asperges attendent dans l'eau salée, les bombes tombent un peu partout. Devant Monoprix, même place qu'actuellement, le boulevard est éventré. L'Odon réapparaît à l'air libre. On évacue les premières victimes du Lycée Sainte-Marie, rue de l'Oratoire, blessés ou morts, et tout s'enchaîne.Quand les bombes ont explosé, je suis arrivée au rez-de-chaussée, les carreaux tombaient encore. Il a fallu remonter les deux étages pour prendre des sacs en cuir que papa avait préparés depuis longtemps.

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J'ai emporté deux très vieilles couvertures en laine, les plus vieilles, et nous sommes partis dans les tranchées, place de la République, en face de la rue Pierre-Aimé Lair. De là, on voit le magasin, on voit le carrefour de la rue des Jacobins avec le boulevard des Alliés (à l'époque), on voit le salon de coiffure Brazard qui brûle et l'Oasis (Communauté religieuse accueillant des jeunes filles) qui commence à fumer.

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Dans le Gaillon dévasté, une poule noire courait dans tous les sens

Tout l'après-midi les avions arrivèrent par vagues, venant de notre droite, arrosant tout le centre de Caen : la rue Saint-Jean, les quais, le port, le château, la rue de Geôle, le Vaugueux. On se réconfortait en disant « c'est pas pour nous ». Il n'y eut pas de bombes sur la place de la République, ni sur le boulevard, l'après-midi du 6 juin. Ce fut pour le milieu de la nuit. Je me souviens d'une jeune femme avec deux enfants de trois à cinq ans. Elle était restée à côté de nous depuis les premières bombes. On avait grignoté ensemble, puis, en fin d'après-midi, elle était partie avec ses deux minots vers la Prairie. Elle avait bien fait.Nous fûmes épargnés. Les bombes tombèrent en face de la Société Générale, du journal « Le Bonhomme Normand », sur l'Hôtel de ville et le centre du square, sur le bord duquel nous étions. On fut bien secoué.Je faisais le foin pour aller au Gaillon (où habitait Jean et sa famille). On avait eu très chaud et papa fut d'accord.Avec les sacs, les vieilles couvertures et deux ou trois trucs que mon père avait été rechercher au magasin, on grimpa la rue Froide, fit du plat-ventre sur les Fossés Saint-Julien, pour trouver le Gaillon dévasté. Plus personne, juste une poule noire qui courait dans tous les sens.

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325th GIR
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Re: 70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #1

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Source :http://www.ouest-france.fr/70e-d-day-li ... -3-2675322
Du 7 juillet 2014

70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #3

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Recueilli par Jack AUGER.

Suzanne Laporte, épouse Letellier, a consigné dans son journal des années de guerre à Caen, le témoignage émouvant des journées dramatiques de juin et juillet 1944.

Les familles Laporte et Letellier ont traversé toutes les épreuves rencontrées par les habitants de Caen. Les bombardements et la destruction totale de tous leurs biens, la fuite, la vie sans toit, sans vivres, sans eau, les blessures morales et physiques, le désespoir de ne jamais revoir l'un des leurs mort en déportation. A l'occasion du 70e anniversaire de la commémoration de la libération de Caen, ouest-france.fr, vous propose de suivre du 5 au 9 juillet « Le journal de Suzanne ».

Caen n’était plus qu’une énorme lueur

http://www.ouest-france.fr/sites/defaul ... ne-3_2.png

Surprise, comme tous les Caennais, par les bombardements du 6 juin à l’heure du déjeuner (épisode #2), la famille Laporte, après quelques heures passées dans les tranchées de la place de la République, a quitté le centre ville. Direction la périphérie:

« Nous continuâmes la route pour arriver chez les Renous, réfugiés dans leur garage.

Nous étions à peine installés qu’il y eut un bombardement énorme sur Caen.

Évidemment les avions, mais en plus, des tirs d’obus de marine par les bateaux au large d’Ouistreham. Le clocher Saint-Pierre servait de point de repère. Le clocher y passa, et aussi les orgues, la belle rosace, toutes les toitures,.

Caen n’était plus qu’une énorme lueur, la réplique des feux et des explosions. Nous aussi, nous avions bien fait de quitter le centre. Il y eut beaucoup de morts et de blessés.

Le mercredi 7 juin on entend les armes automatiques sur la petite route de Lion. Les Anglais sont à deux ou trois kilomètres. On attend. On apprendra beaucoup plus tard que de petites unités s’étaient engagées beaucoup trop loin de leurs bases et avaient dû se replier. Quand les Allemands nous donnèrent l’ordre de partir, nous n’étions, bien sûr, pas au courant. Au lieu de descendre vers la ville en feu, on monta vers le chemin de Lebisey, vers les Anglais.

Un garçon me donna un casque peint en blanc avec une croix rouge

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Rue de Lebisey, en montant à droite, il y avait une grande maison en pierre (fin XIXe) avec un grand parc et des arbres. La maison est toujours là, une autre maison a été construite à la place du petit bois.

Les propriétaires, en juin 1944, recueillirent une partie des habitants du quartier. Les hommes creusèrent des petites tranchées, moins larges que Place de la République. On y était complètement recroquevillés. Les occupants de la maison, monsieur et madame Dubourg, furent très généreux, sortant pain et pommes de terre.

Le campement s’organisa. Un garçon qui menait les opérations avec d’autres réfugiés, passa près de moi et me donna un casque militaire (petite taille) de la guerre 14-18. Il était peint en blanc avec une croix rouge sur le devant. Le plus beau cadeau de cette période agitée.

J’ai laissé beaucoup de cheveux dans les crochets qui garnissaient l’intérieur, mais avec ce casque sur la tête, je me croyais plus en sécurité !

Nos « accueillants » furent d’un dévouement incroyable

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La nuit, dans la petite tranchée, on s’endormait épuisés, la tête sur les genoux. Puis, brusquement, la batterie allemande installée dans les champs pas loin de la maison, tirait. Éveillée en sursaut je tâtais ma tête, plus de casque ! Il avait roulé à mes pieds pendant mon sommeil. Il me fallait le retrouver à tâton parmi les pieds de mes voisins. Ça râlait.

Nos « accueillants » furent d’un dévouement incroyable. Monsieur Dubourg était 1er clerc chez un notaire caennais, madame Dubourg avait un commerce de mercerie rue Froide où maman était cliente.

Ils avaient quatre enfants, deux filles infirmières au Bon Sauveur (l’hôpital de Caen, CHR actuel, était entièrement réservé aux Allemands), deux fils étudiants, pour le moment brancardiers au Bon Sauveur.

Ce fût une chance pour tout le monde. Car vers le 13-14 juin, un avion voulut lâcher ses bombes sur la batterie si proche de notre campement, et nous eûmes encore une belle frayeur.

Nous étions, en dix jours, devenus de vrais loqueteux

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Grâce aux Dubourg, le Bon Sauveur acceptait de nous recevoir dans un bâtiment en construction.

Nous étions, en dix jours, devenus de vrais loqueteux. Les Renous nous ont un peu dépannés en linge. Pas d’eau pour faire une vraie lessive ; la galère.

Il fallut descendre tout le Gaillon (en ruines), les Fossés Saint-Julien, et à partir du Palais de Justice, la rue Guillaume et la rue Caponière. Caen retrouvait une activité d’urgence.

Le lycée Malherbe (mairie actuelle) était un gros centre d’accueil pour les Caennais, mais aussi pour toutes les administrations (…).

En arrivant au Bon Sauveur, miracle ! Un bassin avec des poissons rouges. Nous nous sommes assis sur la margelle et tous nous avons enlevé chaussures et chaussettes, et mis les pieds dans l’eau. Pas longtemps, car un « gendarme de bonne sœur » nous a houspillés, nous menaçant de repasser la porte d’entrée. Nous avons gagné notre nouveau campement. La première nuit fut sensationnelle. Dormir dans de la paille fraîche (ce fut la même jusqu’au 13 juillet), les jambes allongées, enroulés dans les vieilles couvertures, quel bonheur ! »
Sous chaque croix blanche du cimetière Américain de Colleville-sur-Mer ( Normandie) , dort un morceau de Liberté.
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Re: 70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #1

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Du 8 juillet 2014

70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #4

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Recueilli par Jack AUGER.

Suzanne Laporte, épouse Letellier, a consigné dans son journal des années de guerre à Caen, le témoignage émouvant des journées dramatiques de juin et juillet 1944.

Les familles Laporte et Letellier ont traversé toutes les épreuves rencontrées par les habitants de Caen. Les bombardements et la destruction totale de tous leurs biens, la fuite, la vie sans toit, sans vivres, sans eau, les blessures morales et physiques, le désespoir de ne jamais revoir l'un des leurs mort en déportation.A l'occasion du 70e anniversaire de la commémoration de la libération de Caen, ouest-france.fr, vous propose de suivre du 5 au 9 juillet « Le journal de Suzanne ».

Quand ils arrivèrent au magasin, l'immeuble était en feu

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Depuis le 6 juin, les Laporte sont réfugiés avec d'autres familles dans une propriété à la sortie de la ville, rue de Lebisey. Mais là aussi, la situation devient précaire et dangereuse (épisode #3). Avec la complicité de leurs hôtes, ils décident de rejoindre l'îlot sanitaire installé dans le vaste ensemble que composent à l'époque, le Lycée Malherbe et le Bon Sauveur, jusque là épargnés par les bombes. Nous retrouvons Suzanne après une première nuit passée dans ce nouvel abri:

« Les parents décidèrent d'aller rue Pierre-Aimé-Lair et de rapporter des draps pour éviter les courants d'air !Quand ils arrivèrent au magasin, l'immeuble était en feu avec l'Hôtel Moderne, les Galeries et tout le quartier.Il fallait s'habituer à la vie collective. Alors qu'on faisait la queue pour avoir du pain, papa me montra un procureur de la République à côté d'un « carabot » très sale, avec des poux faisant du trapèze dans ses cheveux.

Des SS firent irruption à la recherche de Résistants

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L'adaptation fut dure. Un garçon de notre groupe s'organisa avec un petit bistrot, juste en face du grand portail du Bon-Sauveur. Il sortait de la ville et trouvait, sans aller bien loin, poules, lapins et même un veau blessé en divagation. Il ramenait de la viande, cuisait des ragoûts. Tous les jours on déjeunait rapidement et payait un petit écot.Ça nous a dépannés jusqu'au 20-25 juin.Sortir du Bon Sauveur devenait dangereux. Des SS firent irruption à la recherche de Résistants ou de Canadiens, ou d'Anglais. Certains furent abattus sur leurs lits.Par un boulanger je sus que Jean Letellier et sa famille étaient réfugiés en haut de la rue de Bayeux. Nous y montâmes tous les trois, pas longtemps. Mais je fus rassurée (Le soir de notre visite Jean et les siens arrivaient au Bon Sauveur, chassés par les Allemands).(...) Par la Résistance, le commandement Allié connaissait la place et l'importance des deux centres d'accueil (Lycée Malherbe et Bon Sauveur). Il y eut une seule bavure, un tir d'artillerie. Les vieux qui avaient fait 14-18 s'engueulaient en disant :- « Ce sont des fusants, à l'intérieur il n'y a pas de danger »- « Non, ce sont des percutants » reprenaient les autres.

Pendant toute l'intervention le Docteur disait à mon père, « on va sauter .

http://www.ouest-france.fr/sites/defaul ... anne-4.png

Maman fit rentrer tout le monde. Un éclat brûla les cheveux ébouriffés d'une petite fille et maman prit l'éclat d'obus dans les genoux. Direction : les urgences. Papa l'accompagna. C'est le Dr. Chapron qui l'opéra. Tout le temps de l'intervention, juste à côté, le dépôt d'essence brûlait et il disait à mon père : « on va sauter ».Quand on allait la voir, son lit était un tas d'oreillers. Elle était dans une salle très longue avec beaucoup de fenêtres. Les espaces entre les lits étaient réduits au minimum, et son lit était devant une fenêtre. Hommes et femmes étaient mélangés, seuls les blessés très graves étaient isolés.Liégard, notre ravitailleur, fut gravement touché à une jambe ce jour-là. Il fut amputé à Bayeux en juillet.Maman resta cinq – six jours dans la salle. Puis, ils mirent un sommier dans la cave de notre campement et papa, Jean, maman et moi descendîmes au sous-sol.Ça canardait énormément. Je me souviens être montée avec mon père en haut de notre bâtiment. Il y avait une bataille de chars entre Louvigny et Notre-Dame-d'Estrées. De nuit, c'était vraiment une ligne de feu.Tous les jours, les autorités, sous la pression allemande, voulaient nous évacuer vers Trun, dans l'Orne. La route était quotidiennement bombardée. Maman n'était pas transportable et nous nous serions retrouvés vers la poche de Chambois.

9 juillet. «Nous étions libérés ! »

http://www.youtube.com/watch?feature=pl ... xV5r-ch47E

Nous étions dans les premiers jours de juillet et nous servions toujours « de charnière » aux troupes de Montgomery. La situation n'avait pas bougé à Caen depuis le 8-9 juin. Ça ne pouvait pas durer.Le 7 juillet la faculté brûla entièrement, dont l'importante bibliothèque. Celle de l'Hôtel de ville avait été détruite dans les premiers jours de juin.Avec la faculté, les copies et livrets scolaires du bac (passé les 2-3 juin) partirent aussi en fumée. Il fallut repasser les épreuves à l'automne 1944.Le 8 juillet au soir, je suis allée avec Jean remplir des bouteilles d'eau, désinfectée au permanganate. Comme l'eau était recueillie dans de grands bidons ayant contenu de l'huile de table, il fallait avoir soif.En revenant, on rencontra un ami de Jean, mi-résistant, mi-défense passive, qui nous conseilla de rester planqués la nuit suivante.

http://www.youtube.com/watch?feature=pl ... oW5aLTHhLc

Diable ! Ce fut le plus gros bombardement depuis celui du 6/7 juin. Pendant une grosse heure les avions et l'artillerie pilonnèrent la ville et le carrefour de la rue Caponière et de la rue de Bayeux.Le 9 juillet, en début d'après-midi, des Canadiens attaquèrent le lourd portail qui nous isolait. Avant qu'ils ne cassent tout, le portail fut ouvert. Ils vérifièrent qu'il n'y avait pas d'Allemands, firent une rapide toilette, distribuèrent cigarettes et chewing-gum, puis ils repartirent au combat.Nous étions libérés ! »

http://www.ouest-france.fr/sites/defaul ... ne-4_2.png
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Re: 70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #1

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Source : http://www.ouest-france.fr/70e-d-day-li ... -5-2675355
Du 9 Juillet 2014

70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #5

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Suzanne Laporte, épouse Letellier, a consigné dans son journal des années de guerre à Caen, le témoignage émouvant des journées dramatiques de juin et juillet 1944.

Les familles Laporte et Letellier ont traversé toutes les épreuves rencontrées par les habitants de Caen. Les bombardements et la destruction totale de tous leurs biens, la fuite, la vie sans toit, sans vivres, sans eau, les blessures morales et physiques, le désespoir de ne jamais revoir l'un des leurs mort en déportation.A l'occasion du 70e anniversaire de la commémoration de la libération de Caen, ouest-france.fr, vous propose de suivre du 5 au 9 juillet « Le journal de Suzanne ».

Suzanne et sa famille sont libérées le 9 juillet après une nuit de bombardement dantesque. Pour autant, elle ne sont pas au bout de leurs peines. Elle n'ont plus de toit, madame Laporte mère est sérieusement blessée. Où aller, que faire ?

Maman n'était pas encore vaillante

http://www.youtube.com/watch?feature=pl ... -lWdMzKywQ

« Après la nuit que nous avions passée, nous étions abasourdis.Très rapidement la situation fut transformée.Les Anglais avaient fait extrêmement attention à ne pas toucher aux deux centres d'accueil (Lycée Malherbe et Bon Sauveur). Maintenant, les Anglo-Canadiens étaient arrivés sur la rive gauche de l'Orne mais les Allemands avaient pris position en face, sur la rive droite et dans tout le quartier de Vaucelles. Nous devenions deux belles cibles.Caen était libérée aux deux-tiers.Dès le 11 juillet, Jean et sa famille partirent vers Bayeux. Maman n'était pas encore vaillante et papa ne voulait pas passer par un camp de quarantaine, en principe obligatoire.Il fut convenu que Jean nous avertirait dès qu'il nous aurait trouvé une chambre.Le 13 juillet nous avions un gîte, mais il fallait sortir du Bon Sauveur.

http://www.youtube.com/watch?feature=pl ... VbyAJmMkW8

Le vieux camion prit son élan et passa le plus vite possible

Le laitier qui faisait la route tous les jours, Bayeux-Caen-Bayeux par Creully, accepta de prendre quelques personnes, sept ou huit.Le 14 juillet nous attendions à côté du camion rempli de bidons vides. L'attente fut longue. Le laitier était donneur universel. Après avoir participé à une transfusion, il était parti manger un bifsteck.Enfin on se mit en route, moi assise au milieu des bidons, casque sur la tête.Nous prîmes la petite route de Bény-sur-Mer. À peine sortis de Caen nous fûmes arrêtés par un tir allemand qui bombardait la route. Heureusement, le tir n'était pas très juste. Le chauffeur demanda l'avis de ses passagers. Le vieux camion prit son élan et passa le plus vite possible.

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Sales, en guenilles, dans Bayeux en liesse

Arrivée à Creully j'émergeais des bidons. Il n'y avait plus de prairies. Que du matériel militaire, des armes, des Jeep, des camions, des grillages pour poser sur l'herbe et tracer des chemins. Nous étions ébahis.Jusqu'à Bayeux, il n'y eut pas de problème.

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Dans le courant de l'après-midi, nous étions sales, en guenilles avec nos sacs et nos vieilles couvertures, dans Bayeux en liesse : 14 juillet oblige !Il y avait eu de grands discours tenus par d'éminents personnages.Les Bayeusains étaient habillés « en dimanche ». Je me souviens de femmes avec chapeaux et gants blancs en dentelles crochetées.On retrouva Jean qui nous guettait. Nous allions être logés dans une grande chambre chez le président du club de football de Bayeux.On était sauvés !

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Épilogue

Suzanne repassa, et obtint, son bac à l'automne 1944.

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André et Marie Laporte, ses parents, réouvrirent leur magasin de « Lingerie – Bonneterie – Corsets » dans des locaux provisoires. Pendant quelque temps rue Saint-Pierre, au premier étage d'un magasin épargné, puis dans un des baraquements installés place de la République, de 1945 à 1956, en attendant la reconstruction du quartier détruit.

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Le père de Jean Letellier, qui se prénommait aussi Jean, résistant du réseau Centurie, arrêté en 1943, déporté en 1944, n'est jamais revenu. Il est mort à quelques jours de la fin de la guerre en Europe, le 13 avril 1945, dans la forêt de Gardelengen (nord de Magdeburg), à 230 km de Buchenwald. Au cours d'une de ces marches de la mort, initiées par les Allemands pour fuir l'arrivée des Alliés. Une place du centre de Caen porte son nom.

Suzanne et Jean se sont mariés le 23 février 1946. Ils ont eu trois enfants, Annick, Marie-Odile et Dominique.Ils devront attendre douze ans (!) pour entrer avec leurs enfants dans un vrai logement, un quatrième sans ascenseur rue du général Giraud. 12 ans après la destruction totale de l'appartement des Letellier rue du Gaillon, de l'appartement et du magasin des Laporte rue Pierre-Aimé Lair.

Jean Letellier, journaliste à Ouest-France de 1944 à 1982 est décédé en 1998.

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Suzanne vit à Lion-sur-Mer, près de Caen, où elle a fêté ses 90 ans en juin. Nous la remercions vivement pour son témoignage confié à ouest-france.fr.
Sous chaque croix blanche du cimetière Américain de Colleville-sur-Mer ( Normandie) , dort un morceau de Liberté.
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