Témoignage d'un soldat de la Big Red One.
Posté : 30 juin, 17:21
Voici le témoignage d'un soldat de la 1th Us Div
Tiré de http://www.normandie44lamemoire.com/temoignages/temoignagemickey.htm
" Un soldat américain raconte sa guerre au quotidien, de l'enfer d'Omaha à celui de Hurtgen, dans les rangs de la Big Red One
John F. Mickey était américain, il avait 35 ans en 1944 et vivait dans le Michigan. Il s'engagea en septembre 1943, pensant qu'il pouvait être "utile" dans cette guerre. Au moment de son engagement il n'imaginait pas ce qui l'attendait : la séparation de ceux qu'on aime, l'horreur de la guerre, et même la faim et la soif. Tout au long des combats il prit des notes, et bien des années plus tard il entreprit de rédiger une soixantaine de feuillets. John F. Mickey est décédé en 1989. Avec l'autorisation de son fils, ce sont ses mé-moires qui sont retranscrites ici. C'est l'expérience d'un homme "ordinaire" qui croyait en certaines valeurs humaines, et qui les défendit, des plages de Normandie jusqu'à la forêt de Hurtgen, en Allemagne, où il fut blessé.
(Mémoires de John F. Mickey - 1944/1945) (merci à Stan)
Tous les droits de l'auteur des textes et des photographies sont réservés. Toute reproduction ou utilisation des oeuvres, autre que privée ou à fin de consultation individuelle sont interdites, sauf autorisation.
Episode 1 : Avertissement au lecteur
"Le lecteur ne doit pas se faire une idée fausse de la guerre en Europe" par John F. Mickey
Dans ces pages, je raconte des petits événements et des expériences vécues sur les combats que nous avons menés, du jour J en France, jusqu?à la forêt de Hurtgen en Allemagne. Ce sont aussi des notes personnelles sur ceux que j?aime, et sur des sujets dont on a peu parlé, c?est-à-dire le quotidien des soldats qui ont combattu en France, en Belgique et en Allemagne dans le 26e régiment de la 1re division d?infanterie américaine, la Big Red One. Je ne me souviens pas avec précision de tous les noms de villes et de villages, de toutes les dates, mais certains lieux et certains événements m?ont marqué. Beaucoup de ces souvenirs proviennent de notes prises au jour le jour, sur les pages d?un livre de prières de poche. La survie du fantassin doit beaucoup à l?artillerie, aux chars et à l?aviation. Il ne tiendrait pas le coup sans l?affection et le soutien moral de ceux qui sont restés à la maison. Peu d?anciens combattants parlent facilement de leur expérience de soldat, même encore aujour-d?hui. Beaucoup vivent avec leurs tragiques souvenirs enfouis au fond d?eux. Nos proches et nos amis ne nous posèrent pas de questions à notre retour au pays, ils avaient pour consigne de ne pas nous interroger.
« Aidez-les à oublier la guerre et à se réadapter le plus vite possible à la vie civile » leur avaient-on dit. La guerre ne s?oublie pas facilement, et chaque anniversaire ravive les souvenirs. Les vétérans qui reviennent à Omaha Beach, lors des commémorations, pleurent souvent au souvenir des évènements du jour J. Beaucoup sont encore en vie aujourd?hui, on vit plus longtemps grâce aux progrès de la médecine et à l?amélioration du niveau de vie. La plupart des vétérans ont environ quatre vingt ans aujourd?hui,
leurs enfants ont la cinquantaine et il est surprenant qu?ils en sachent si peu sur le passé de leurs pères. Ils savent vaguement quels étaient leurs grades, qu?ils ont participé au Jour J et qu?ils ont combattu en Allemagne, mais c?est à peu près tout.
Ma lettre de novembre 1984 au Quotidien de Liège, en Belgique, coïncidait avec le 40e anniversaire de la libération de la Belgique. Elle fut publiée dans le journal La Meuse et je reçus des centaines de lettres de remerciement à notre 1re Division, et à la 3e Division blindée pour avoir libéré le pays. C?est cette lettre et les nombreuses questions qu?on me posa qui me déterminèrent à écrire ces pages sur la guerre. En lisant ce récit le lecteur ne doit pas se faire une idée fausse de la guerre. Rien ne fut rapide, ni aisé ; les journées étaient longues et l?avance difficile. L?ennemi était enterré derrière les haies; parfois les combats d?une journée se résumaient à une avance de deux cent mètres. Il n?y avait pas de ligne de front continue face à l?ennemi, nous étions éparpillés et combattions par petits groupes de trois ou cinq hommes. Dès le jour J le régiment ne fût jamais à plein effectif ; les remplacements, les approvisionnements et les munitions ne parvenaient pas toujours jusqu?à nous. Le temps était changeant, il y avait des journées torrides, parfois la pluie rendait les routes boueuses, ralentissant hommes et véhicules. Il y eut quelques grandes batailles, comme celle de Saint-Lô qui dura tout le mois de juillet ; douze divisions participèrent à la prise de la ville. Après les bombardements aériens et les 20 000 obus tirés, cette magnifique cité de 15000 habitants n?était plus qu?un tas de ruines juste bonne à être nivelée par les bulldozers.
Episode 2 : L'engagement
"Je ne réalisais pas à cet instant combien il me serait difficile d?être séparé d?Harriet..."
Les tests de sélection
La fabrication d?un soldat commence avec le passage de la vie civile à la vie militaire, quand il s?engage ou qu?il est appelé sous les drapeaux ; du dernier jour passé avec sa famille et ceux qu?il aime, au moment des retrouvailles. Inscrit au conseil de révision en 1942, je passais les tests pour entrer dans les Marines, on me répondit que je serai convoqué pour une visite médicale. Quand je reçus la lettre, j?étais au lit avec un mauvais refroidissement, mon docteur me dit d?arrêter le traitement, en pensant que les traces de médicaments auraient disparues lors de la visite médicale à Milwaukee. Je fis partie de la petite quarantaine de ceux qui réussirent les épreuves de sélection, mais il fallait encore faire une analyse d?urine. Le médecin qui m?examinait me demanda quel traitement je suivais, je fus obligé de lui dire la vérité, il me dit : « je ne suis pas sûr de pouvoir vous envoyer en Californie où les journées sont torrides et les nuits glaciales, revenez dans un mois ». Alors que les semaines passaient, j?envisageais une autre solution. Harriet et moi en discutions, peut-être que le fait d?avoir trente cinq ans m?empêcherait d?être appelé. Nous allions déménager à Bay City dans le Michigan et nous en informâmes le bureau des effectifs. Une semaine après notre arrivé, nous étions tous les deux engagés par Dow Metal Compagnie, une filiale de Dow Chemical qui travaillait entièrement pour l?armée en fabricant des pièces de moteurs d?avions et des trains d?atterrissage.
L?engagement
Nous étions si préoccupés par notre travail chez Dow que le bureau des effectifs m?était sorti de l?esprit. Il se rappela à mon bon souvenir par un courrier, en septembre 1943. Ma feuille de route incluait le prix d?un billet pour De troit. Plutôt que d?y aller en autocar je décidais de m?y rendre en voiture avec Harriet, ma s?ur et deux autres amis. Nous étions sur la route numéro Neuf dans une région boisée près de Detroit, quand nous avons tous entendu un sonore « bang ». Je dis : « bon sang qu?est-ce que c?est que çà ? », Harriet désigna la vitre de son côté, un projectile l?avait transpercée; quelqu?un dans le coin chassait ou tirait sur des cibles. La balle était passée par ma vitre ouverte et avait traversé celle d?Harriet, heureusement sans toucher personne; Sophie dit : « ça n?était pas ton heure John ». Nous n?avons pas fait de déclaration à la police, j?avais une convocation et je ne voulais pas la rater. Je semblais passer tous les tests de ce long examen de santé avec succès ; le dernier médecin me dit : « à votre âge et avec vos varices, j?hésite, vous en sentez-vous capable ? », je répondis : « docteur, je n?ai pas d?enfant, et je crois que je peux être utile ». Il en prit note et signa les papiers. Je pouvais encore échapper à l?appel, mais je lui fis confiance pour prendre la bonne décision. Je ne réalisais pas à cet instant combien il me serait difficile d?être séparé d?Harriet, j?y repensais souvent plus tard, avec regret, mais je m?en remettais à Dieu pour m?aider dans les mois prochains. Mon dernier souhait était que mon corps ne soit pas ramené au pays.
Episode 3 : L'engagement (suite)
"J?étais le plus âgé de la compagnie, certains me surnom-mèrent « Pop »..."
Le lendemain matin je n?assistais pas à l?appel ; le sergent vint me voir et me demanda pourquoi j?étais couché, il me toucha le front, j?étais brûlant, aussitôt une ambulance m?emmena chez le médecin. Il était presque midi et la salle d?attente était pleine. Je me couchais sur le sol et personne ne me prêta attention. On m?appela vers 14 heures pour la consultation. Le docteur prit ma température et s?exclama : « pourquoi est-ce qu?on n'a pas envoyé cet homme aux urgences !». Je ne me rappelle plus de rien ensuite ; je me réveillais le 24 décembre, l?infirmière me dit que j?avais attrapé une bonne pneumonie. Ma température était monté à 41° C, « nous avons failli appeler votre famille » me dit-elle. Je fus très bien soigné, on me prescrit le vieux traitement efficace où l?on respire la vapeur d?un percolateur, avec une serviette sur la tête.
L?entraînement de base me semblait parfois peu adapté, le manuel avait dû être écrit par quelqu?un qui n?avait jamais fait la guerre. A part apprendre à manier le fusil M 1, il était tout juste bon à faire des soldats d?opérette. Je doute qu?aucun des sous-officiers ait jamais participé à un combat. Est-ce que le but de l?entraînement était de savoir faire un lit au carré, de ranger chaque article à sa place dans l?armoire, de garder les baraques propres ? Est-ce qu?on s?entraînait pour savoir défiler et entretenir le foyer en bons petits maris; on ne savait même pas comment creuser un trou pour s?abriter - le véritable entraînement commence face à l?ennemi, chacun utilise sa cervelle et son bon sens, personne ne s?occupe de savoir si vous portez une casquette, un casque ou si vous êtes tête nue.
L?entrainement
Dans le train qui me ramenait de Detroit, il y avait plusieurs compartiments occupés par des gars originaires de différents endroits du Michigan. On étaient sept de Bay City, parmi nous il y en avait un qui n?avait qu?un poumon, il en était à son troisième examen médical et avait enfin été accepté. Il y avait beaucoup de visages tristes dans le groupe. Le seul moment intéressant du voyage fut un arrêt du train en Georgie pour nous dégourdir les jambes. Je regardais les ramasseurs de coton travailler, le dos courbé sous le soleil, et je me demandais s?ils échangeraient leur place avec nous. Le train nous amena à Camp Blanding, en Floride, où nous allions suivre seize semaines d?entraînement de base. On arriva à midi, juste avant le déjeuner. On nous guida jusqu?au mess où un sous-officier nous accueillit, un petit homme qui hurlait : « répétez bon sang, répétez, répétez ! ». Il se présenta comme le sergent responsable du mess, « personne, ici, ne gâche la nourriture, vous mangez ce que vous prenez, bon sang de bon sang ! ». Je l?observais, il me semblait que s?il ne jurait pas comme ça tout le temps personne ne le remarquerait. Peut-être qu?il travaillait dans la cuisine d?un restaurant dans le Sud avant de s?engager.
J?étais le plus âgé de la compagnie, certains me surnommèrent « Pop ». J?étais décidé à faire de mon mieux. Je ne me suis jamais fait porter malade alors que beaucoup, plus jeunes que moi, ne s?en privaient pas. Le 21 décembre nous étions sur-le-champ de tir, et j?étais dans la fosse depuis plus d?une heure. Il faisait chaud mais l?endroit était froid et humide, je suis tombé malade et je fus incapable de rentrer au camp à pied. On me ramena en Jeep et je n?ai pas pu assister au spectacle qu?il donnait ce soir là.
Episode 4 : L'engagement (suite)
"On a fait nos adieux à Miss Liberty, alors que New-York s?éloignait"
La dernière permission et l?embarquement
Après l?entraînement de base, on nous a accordé une permission de sept jours; le temps de trajet était inclus dans la permission. Je profitais de chaque instant avec Harriet, mais nous n?avons pas eu le temps d?aller voir papa et maman dans le Wisconsin, ma permission était trop courte ; le moment du départ fut déjà là. De retour à Camp Blanding on se prépara à partir pour Boston, puis pour le Maine pour l?entraînement d?hiver afin de nous habituer au changement de climat. Du Maine, nous sommes partis pour New York pour quelques semaines, où nous avons attendu l?embarquement. Nous étions contents de partir, enfin ! On a embarqué sur un gros bateau de transport, le chargement a duré plusieurs jours; puis on a levé l?ancre à destination de l?Angleterre, on a fait nos adieux à Miss Liberty alors que New-York s?éloignait. Je reconnus d?autres gars du camp parmi les 15000 hommes à bord, et je me demandais si on se reverrait jamais ensuite. On nous servait deux repas par jours, je n?en manquais pas un seul, certains étaient incapables de sortir de leur lit et je leur ramenais à manger. Je collectais de l?argent et je faisais les courses, parfois deux trajets par jour pour ramener des cigarettes à quatre vingt dix cents la cartouche, et des barres de friandises à soixante cents la boîte de vingt quatre.
On se demande comment des milliers d?hommes passaient leur temps à bord d?un bateau. Certains jouaient au poker ou aux dés, les parties duraient jusque tard dans la nuit, ils faisaient la sieste dans la journée. De temps en temps, un groupe montait sur le pont pour faire des assouplissements et des exercices pendant une dizaine de minutes. D?autres ne faisaient rien de la journée, fumant des cigarettes, et réalisant de surprenantes figures de fumée. D?après une plaque sur la cloison du premier pont, le bateau s?appelait le USS Washington; c?était auparavant un bateau de passagers qui sillonnait les mers d?Orient. C?était le bateau de tête d?un convoi de cinquante huit navires. J?étais fasciné par l?océan et je passais des heures, nuit et jour, debout au bastingage, à regarder les longs et plats pétroliers monter et descendre comme des bouchons. A certains moments le bateau était complètement submergé puis reparaissait de nouveau. Je me demandais comment un homme pouvait rester sur le pont et résister aux énormes vagues qui déferlaient. Avec un convoi de cinquante neuf bateaux il y avait de quoi regarder.
Un matin on croisa un groupe de marsouins; ils bondissaient hors de l?eau et replongeaient. Un jour je crus voir un périscope de sous-marin tout près de notre bateau, fausse alerte. Un autre jour on nous prévint par l?intercom : le Queen Mary était en train de traverser notre convoi, tout le monde se précipita sur le pont pour admirer ce splendide navire, il n?était pas escorté et avançait beaucoup plus rapidement que nous. Il était si proche qu?on voyait les hommes à bord nous faire des signes. On apprit par la suite qu?il y avait 25 000 hommes à bord et qu?on y servait un seul repas par jour. La mer était tantôt agitée, tantôt calme. Le premier dimanche à bord, nous ne savions pas où nous étions, mais c?était une belle journée ensoleillée par une mer d?huile. Un prêtre dit un office aux hommes, nombreux, rassemblés sur le pont, d?autres profitaient juste du soleil et se reposaient. Je remarquais que le calice sur l?autel ne tanguait pas, c?était une journée particulièrement calme. On était périodiquement informé par l?intercom du changement de fuseau horaire, et qu?il fallait mettre nos montres à l?heure. Au dixième jour de traversée, la terre réapparut enfin, nous passions en vue de l?île de Man sur la côte irlandaise."
Tiré de http://www.normandie44lamemoire.com/temoignages/temoignagemickey.htm
" Un soldat américain raconte sa guerre au quotidien, de l'enfer d'Omaha à celui de Hurtgen, dans les rangs de la Big Red One
John F. Mickey était américain, il avait 35 ans en 1944 et vivait dans le Michigan. Il s'engagea en septembre 1943, pensant qu'il pouvait être "utile" dans cette guerre. Au moment de son engagement il n'imaginait pas ce qui l'attendait : la séparation de ceux qu'on aime, l'horreur de la guerre, et même la faim et la soif. Tout au long des combats il prit des notes, et bien des années plus tard il entreprit de rédiger une soixantaine de feuillets. John F. Mickey est décédé en 1989. Avec l'autorisation de son fils, ce sont ses mé-moires qui sont retranscrites ici. C'est l'expérience d'un homme "ordinaire" qui croyait en certaines valeurs humaines, et qui les défendit, des plages de Normandie jusqu'à la forêt de Hurtgen, en Allemagne, où il fut blessé.
(Mémoires de John F. Mickey - 1944/1945) (merci à Stan)
Tous les droits de l'auteur des textes et des photographies sont réservés. Toute reproduction ou utilisation des oeuvres, autre que privée ou à fin de consultation individuelle sont interdites, sauf autorisation.
Episode 1 : Avertissement au lecteur
"Le lecteur ne doit pas se faire une idée fausse de la guerre en Europe" par John F. Mickey
Dans ces pages, je raconte des petits événements et des expériences vécues sur les combats que nous avons menés, du jour J en France, jusqu?à la forêt de Hurtgen en Allemagne. Ce sont aussi des notes personnelles sur ceux que j?aime, et sur des sujets dont on a peu parlé, c?est-à-dire le quotidien des soldats qui ont combattu en France, en Belgique et en Allemagne dans le 26e régiment de la 1re division d?infanterie américaine, la Big Red One. Je ne me souviens pas avec précision de tous les noms de villes et de villages, de toutes les dates, mais certains lieux et certains événements m?ont marqué. Beaucoup de ces souvenirs proviennent de notes prises au jour le jour, sur les pages d?un livre de prières de poche. La survie du fantassin doit beaucoup à l?artillerie, aux chars et à l?aviation. Il ne tiendrait pas le coup sans l?affection et le soutien moral de ceux qui sont restés à la maison. Peu d?anciens combattants parlent facilement de leur expérience de soldat, même encore aujour-d?hui. Beaucoup vivent avec leurs tragiques souvenirs enfouis au fond d?eux. Nos proches et nos amis ne nous posèrent pas de questions à notre retour au pays, ils avaient pour consigne de ne pas nous interroger.
« Aidez-les à oublier la guerre et à se réadapter le plus vite possible à la vie civile » leur avaient-on dit. La guerre ne s?oublie pas facilement, et chaque anniversaire ravive les souvenirs. Les vétérans qui reviennent à Omaha Beach, lors des commémorations, pleurent souvent au souvenir des évènements du jour J. Beaucoup sont encore en vie aujourd?hui, on vit plus longtemps grâce aux progrès de la médecine et à l?amélioration du niveau de vie. La plupart des vétérans ont environ quatre vingt ans aujourd?hui,
leurs enfants ont la cinquantaine et il est surprenant qu?ils en sachent si peu sur le passé de leurs pères. Ils savent vaguement quels étaient leurs grades, qu?ils ont participé au Jour J et qu?ils ont combattu en Allemagne, mais c?est à peu près tout.
Ma lettre de novembre 1984 au Quotidien de Liège, en Belgique, coïncidait avec le 40e anniversaire de la libération de la Belgique. Elle fut publiée dans le journal La Meuse et je reçus des centaines de lettres de remerciement à notre 1re Division, et à la 3e Division blindée pour avoir libéré le pays. C?est cette lettre et les nombreuses questions qu?on me posa qui me déterminèrent à écrire ces pages sur la guerre. En lisant ce récit le lecteur ne doit pas se faire une idée fausse de la guerre. Rien ne fut rapide, ni aisé ; les journées étaient longues et l?avance difficile. L?ennemi était enterré derrière les haies; parfois les combats d?une journée se résumaient à une avance de deux cent mètres. Il n?y avait pas de ligne de front continue face à l?ennemi, nous étions éparpillés et combattions par petits groupes de trois ou cinq hommes. Dès le jour J le régiment ne fût jamais à plein effectif ; les remplacements, les approvisionnements et les munitions ne parvenaient pas toujours jusqu?à nous. Le temps était changeant, il y avait des journées torrides, parfois la pluie rendait les routes boueuses, ralentissant hommes et véhicules. Il y eut quelques grandes batailles, comme celle de Saint-Lô qui dura tout le mois de juillet ; douze divisions participèrent à la prise de la ville. Après les bombardements aériens et les 20 000 obus tirés, cette magnifique cité de 15000 habitants n?était plus qu?un tas de ruines juste bonne à être nivelée par les bulldozers.
Episode 2 : L'engagement
"Je ne réalisais pas à cet instant combien il me serait difficile d?être séparé d?Harriet..."
Les tests de sélection
La fabrication d?un soldat commence avec le passage de la vie civile à la vie militaire, quand il s?engage ou qu?il est appelé sous les drapeaux ; du dernier jour passé avec sa famille et ceux qu?il aime, au moment des retrouvailles. Inscrit au conseil de révision en 1942, je passais les tests pour entrer dans les Marines, on me répondit que je serai convoqué pour une visite médicale. Quand je reçus la lettre, j?étais au lit avec un mauvais refroidissement, mon docteur me dit d?arrêter le traitement, en pensant que les traces de médicaments auraient disparues lors de la visite médicale à Milwaukee. Je fis partie de la petite quarantaine de ceux qui réussirent les épreuves de sélection, mais il fallait encore faire une analyse d?urine. Le médecin qui m?examinait me demanda quel traitement je suivais, je fus obligé de lui dire la vérité, il me dit : « je ne suis pas sûr de pouvoir vous envoyer en Californie où les journées sont torrides et les nuits glaciales, revenez dans un mois ». Alors que les semaines passaient, j?envisageais une autre solution. Harriet et moi en discutions, peut-être que le fait d?avoir trente cinq ans m?empêcherait d?être appelé. Nous allions déménager à Bay City dans le Michigan et nous en informâmes le bureau des effectifs. Une semaine après notre arrivé, nous étions tous les deux engagés par Dow Metal Compagnie, une filiale de Dow Chemical qui travaillait entièrement pour l?armée en fabricant des pièces de moteurs d?avions et des trains d?atterrissage.
L?engagement
Nous étions si préoccupés par notre travail chez Dow que le bureau des effectifs m?était sorti de l?esprit. Il se rappela à mon bon souvenir par un courrier, en septembre 1943. Ma feuille de route incluait le prix d?un billet pour De troit. Plutôt que d?y aller en autocar je décidais de m?y rendre en voiture avec Harriet, ma s?ur et deux autres amis. Nous étions sur la route numéro Neuf dans une région boisée près de Detroit, quand nous avons tous entendu un sonore « bang ». Je dis : « bon sang qu?est-ce que c?est que çà ? », Harriet désigna la vitre de son côté, un projectile l?avait transpercée; quelqu?un dans le coin chassait ou tirait sur des cibles. La balle était passée par ma vitre ouverte et avait traversé celle d?Harriet, heureusement sans toucher personne; Sophie dit : « ça n?était pas ton heure John ». Nous n?avons pas fait de déclaration à la police, j?avais une convocation et je ne voulais pas la rater. Je semblais passer tous les tests de ce long examen de santé avec succès ; le dernier médecin me dit : « à votre âge et avec vos varices, j?hésite, vous en sentez-vous capable ? », je répondis : « docteur, je n?ai pas d?enfant, et je crois que je peux être utile ». Il en prit note et signa les papiers. Je pouvais encore échapper à l?appel, mais je lui fis confiance pour prendre la bonne décision. Je ne réalisais pas à cet instant combien il me serait difficile d?être séparé d?Harriet, j?y repensais souvent plus tard, avec regret, mais je m?en remettais à Dieu pour m?aider dans les mois prochains. Mon dernier souhait était que mon corps ne soit pas ramené au pays.
Episode 3 : L'engagement (suite)
"J?étais le plus âgé de la compagnie, certains me surnom-mèrent « Pop »..."
Le lendemain matin je n?assistais pas à l?appel ; le sergent vint me voir et me demanda pourquoi j?étais couché, il me toucha le front, j?étais brûlant, aussitôt une ambulance m?emmena chez le médecin. Il était presque midi et la salle d?attente était pleine. Je me couchais sur le sol et personne ne me prêta attention. On m?appela vers 14 heures pour la consultation. Le docteur prit ma température et s?exclama : « pourquoi est-ce qu?on n'a pas envoyé cet homme aux urgences !». Je ne me rappelle plus de rien ensuite ; je me réveillais le 24 décembre, l?infirmière me dit que j?avais attrapé une bonne pneumonie. Ma température était monté à 41° C, « nous avons failli appeler votre famille » me dit-elle. Je fus très bien soigné, on me prescrit le vieux traitement efficace où l?on respire la vapeur d?un percolateur, avec une serviette sur la tête.
L?entraînement de base me semblait parfois peu adapté, le manuel avait dû être écrit par quelqu?un qui n?avait jamais fait la guerre. A part apprendre à manier le fusil M 1, il était tout juste bon à faire des soldats d?opérette. Je doute qu?aucun des sous-officiers ait jamais participé à un combat. Est-ce que le but de l?entraînement était de savoir faire un lit au carré, de ranger chaque article à sa place dans l?armoire, de garder les baraques propres ? Est-ce qu?on s?entraînait pour savoir défiler et entretenir le foyer en bons petits maris; on ne savait même pas comment creuser un trou pour s?abriter - le véritable entraînement commence face à l?ennemi, chacun utilise sa cervelle et son bon sens, personne ne s?occupe de savoir si vous portez une casquette, un casque ou si vous êtes tête nue.
L?entrainement
Dans le train qui me ramenait de Detroit, il y avait plusieurs compartiments occupés par des gars originaires de différents endroits du Michigan. On étaient sept de Bay City, parmi nous il y en avait un qui n?avait qu?un poumon, il en était à son troisième examen médical et avait enfin été accepté. Il y avait beaucoup de visages tristes dans le groupe. Le seul moment intéressant du voyage fut un arrêt du train en Georgie pour nous dégourdir les jambes. Je regardais les ramasseurs de coton travailler, le dos courbé sous le soleil, et je me demandais s?ils échangeraient leur place avec nous. Le train nous amena à Camp Blanding, en Floride, où nous allions suivre seize semaines d?entraînement de base. On arriva à midi, juste avant le déjeuner. On nous guida jusqu?au mess où un sous-officier nous accueillit, un petit homme qui hurlait : « répétez bon sang, répétez, répétez ! ». Il se présenta comme le sergent responsable du mess, « personne, ici, ne gâche la nourriture, vous mangez ce que vous prenez, bon sang de bon sang ! ». Je l?observais, il me semblait que s?il ne jurait pas comme ça tout le temps personne ne le remarquerait. Peut-être qu?il travaillait dans la cuisine d?un restaurant dans le Sud avant de s?engager.
J?étais le plus âgé de la compagnie, certains me surnommèrent « Pop ». J?étais décidé à faire de mon mieux. Je ne me suis jamais fait porter malade alors que beaucoup, plus jeunes que moi, ne s?en privaient pas. Le 21 décembre nous étions sur-le-champ de tir, et j?étais dans la fosse depuis plus d?une heure. Il faisait chaud mais l?endroit était froid et humide, je suis tombé malade et je fus incapable de rentrer au camp à pied. On me ramena en Jeep et je n?ai pas pu assister au spectacle qu?il donnait ce soir là.
Episode 4 : L'engagement (suite)
"On a fait nos adieux à Miss Liberty, alors que New-York s?éloignait"
La dernière permission et l?embarquement
Après l?entraînement de base, on nous a accordé une permission de sept jours; le temps de trajet était inclus dans la permission. Je profitais de chaque instant avec Harriet, mais nous n?avons pas eu le temps d?aller voir papa et maman dans le Wisconsin, ma permission était trop courte ; le moment du départ fut déjà là. De retour à Camp Blanding on se prépara à partir pour Boston, puis pour le Maine pour l?entraînement d?hiver afin de nous habituer au changement de climat. Du Maine, nous sommes partis pour New York pour quelques semaines, où nous avons attendu l?embarquement. Nous étions contents de partir, enfin ! On a embarqué sur un gros bateau de transport, le chargement a duré plusieurs jours; puis on a levé l?ancre à destination de l?Angleterre, on a fait nos adieux à Miss Liberty alors que New-York s?éloignait. Je reconnus d?autres gars du camp parmi les 15000 hommes à bord, et je me demandais si on se reverrait jamais ensuite. On nous servait deux repas par jours, je n?en manquais pas un seul, certains étaient incapables de sortir de leur lit et je leur ramenais à manger. Je collectais de l?argent et je faisais les courses, parfois deux trajets par jour pour ramener des cigarettes à quatre vingt dix cents la cartouche, et des barres de friandises à soixante cents la boîte de vingt quatre.
On se demande comment des milliers d?hommes passaient leur temps à bord d?un bateau. Certains jouaient au poker ou aux dés, les parties duraient jusque tard dans la nuit, ils faisaient la sieste dans la journée. De temps en temps, un groupe montait sur le pont pour faire des assouplissements et des exercices pendant une dizaine de minutes. D?autres ne faisaient rien de la journée, fumant des cigarettes, et réalisant de surprenantes figures de fumée. D?après une plaque sur la cloison du premier pont, le bateau s?appelait le USS Washington; c?était auparavant un bateau de passagers qui sillonnait les mers d?Orient. C?était le bateau de tête d?un convoi de cinquante huit navires. J?étais fasciné par l?océan et je passais des heures, nuit et jour, debout au bastingage, à regarder les longs et plats pétroliers monter et descendre comme des bouchons. A certains moments le bateau était complètement submergé puis reparaissait de nouveau. Je me demandais comment un homme pouvait rester sur le pont et résister aux énormes vagues qui déferlaient. Avec un convoi de cinquante neuf bateaux il y avait de quoi regarder.
Un matin on croisa un groupe de marsouins; ils bondissaient hors de l?eau et replongeaient. Un jour je crus voir un périscope de sous-marin tout près de notre bateau, fausse alerte. Un autre jour on nous prévint par l?intercom : le Queen Mary était en train de traverser notre convoi, tout le monde se précipita sur le pont pour admirer ce splendide navire, il n?était pas escorté et avançait beaucoup plus rapidement que nous. Il était si proche qu?on voyait les hommes à bord nous faire des signes. On apprit par la suite qu?il y avait 25 000 hommes à bord et qu?on y servait un seul repas par jour. La mer était tantôt agitée, tantôt calme. Le premier dimanche à bord, nous ne savions pas où nous étions, mais c?était une belle journée ensoleillée par une mer d?huile. Un prêtre dit un office aux hommes, nombreux, rassemblés sur le pont, d?autres profitaient juste du soleil et se reposaient. Je remarquais que le calice sur l?autel ne tanguait pas, c?était une journée particulièrement calme. On était périodiquement informé par l?intercom du changement de fuseau horaire, et qu?il fallait mettre nos montres à l?heure. Au dixième jour de traversée, la terre réapparut enfin, nous passions en vue de l?île de Man sur la côte irlandaise."