Opération Tractable

14 – 21 août 1944

Image : Carte de l'opération Tractable
Carte de l’opération Tractable

Origines et objectifs de l’opération Tractable

Après la percée américaine au sud du Cotentin et en Bretagne rendue possible par le bon déroulement de l’opération Cobra, les Alliés réalisent une progression tous azimuts en France ; à la mi-août, les Américains sont en mouvement à la fois en Bretagne à l’ouest, vers le sud et vers Paris à l’est. Le général Omar Bradley, commandant les forces terrestres américaines, s’aperçoit qu’une nasse est en train de se former en Normandie, encerclant plusieurs milliers de soldats allemands. En effet, les forces anglo-canadiennes commandées par Miles Dempsey sont à proximité de Falaise tandis que les Américains (accompagnés notamment des Français de la 2e division blindée) font route vers Argentan. Si les Alliés parviennent à effectuer leur jonction entre Falaise et Argentan, tous les Allemands encore à l’ouest de cette ligne (appartenant au groupe d’armées B commandé par le général von Kluge) seront faits prisonniers.

Pour les Anglo-Canadiens, il s’agit de poursuivre les efforts entamés lors de l’opération Totalize, qui devait les conduire sur les hauteurs au nord de Falaise. Le général Crerar, commandant la 1ère armée canadienne nouvellement formée, se penche sur les possibilités tactiques de percer les lignes de défense allemandes et d’atteindre Falaise au plus tôt. Il s’inspire très largement des innovations apportées par le général Simonds lors de Totalize, notamment l’utilisation du Kangaroo APC, une modification de l’obusier automoteur M7 Priest américain lui permettant de transporter jusqu’à quinze fantassins. L’infanterie ne doit plus, selon lui, agir indépendamment des chars et vice-versa. Ces combats marquent les débuts de l’infanterie mécanisée moderne. Autre point novateur par rapport aux précédentes opérations anglo-canadiennes, Crerar prévoit de lancer l’assaut en pleine journée, considérant que l’impact d’une attaque à l’aube ne joue finalement ni en sa faveur ni en celle des Allemands.

Le plan de l’attaque prévoit qu’après un bombardement massif des positions de défense allemandes, les Canadiens entament leur progression en direction de Falaise avec deux unités de front : la 4e division blindée à l’est et la 3e division d’infanterie à l’ouest (appuyée par la 2e brigade blindée). Une fois Falaise sous contrôle, les troupes d’assaut (renforcées par la 1ère division blindée polonaise) doivent poursuivre en direction de la localité de Trun à l’est, distante d’environ dix-huit kilomètres de la cité natale de Guillaume le Conquérant, où la jonction est prévue d’être réalisée avec les Américains de la 3e armée du général Patton, progressant alors du sud vers le nord pour refermer la nasse sur le groupe d’armées B allemand.

Face aux Canadiens, les positions allemandes sont tenues par la 12e S.S. Panzerdivision Hitlerjugend, commandée par Kurt « Panzer » Meyer. Installés en défense ferme depuis la fin de l’opération Totalize, ils multiplient les patrouilles de combat vers la cote 195.

Déroulement de l’opération Tractable

Les bruits des blindés et les mouvements de troupes en direction de la ligne de front sont remarqués par les observateurs avancés allemands qui soupçonnent leurs adversaires de relancer l’offensive très bientôt Ces suppositions sont confirmées dans la nuit du 13 au 14 août 1944 lorsqu’un officier canadien, qui s’était perdu en se rendant au poste de commandement, traverse les lignes allemandes et est tué : il détenait sur lui une copie des ordres du général Simonds pour l’attaque du lendemain. En conséquence, Kurt Meyer déplace sa réserve en protection de Falaise, à savoir quinze chars, douze canons de 88 mm, quarante-trois canons Pak 43 et cinq cent fantassins.

Le 14 août 1944 à l’aube, les Allemands se tiennent prêts à contenir l’assaut canadien. Mais aucun signe de progression n’est signalé par les avant-postes et il n’y a aucun bombardement aérien : le message retrouvé sur le corps de l’officier canadien était-il un faux destiné à tromper la Hitlerjugend ? La 12e S.S. Panzer division n’attend pas longtemps pour avoir une réponse : à midi, 782 bombardiers Halifax et Lancaster larguent une pluie de bombes sur les positions allemandes, mais cette fois encore sur certaines positions alliées : 400 soldats canadiens et polonais sont mis hors de combat dans les premières secondes de l’opération Tractable suite aux erreurs de bombardement. Malgré tout, les troupes sous les ordres du général Crerar se mettent en route et prennent d’assaut les positions adverses.

La résistance allemande est forte malgré le bombardement et les Alliés perdent du temps en franchissant les lignes de défense installées dans la périphérie de Falaise. Mais ils parviennent toutefois à traverser la rivière Laizon. Les Polonais s’emparent de Potigny en fin d’après-midi tandis que les soldats canadiens des 3e et 4e divisions d’infanterie atteignent la cote 159, une hauteur au nord de Falaise. A bout de souffle, les Canadiens sont renforcés par la 2e division d’infanterie qui relance l’assaut. La progression s’arrête à la tombée de la nuit, Falaise est toujours aux mains des Allemands qui tiennent malgré la pression adverse.

Le 15 août 1944, l’offensive reprend. Le groupe d’armée B commence à évacuer la nasse qui se referme progressivement entre Trun et Chambois. Pour les Alliés, il devient urgent de fermer cette poche et Falaise doit être libéré. A l’est de Falaise, les Canadiens et les Polonais progressent lentement en direction de la ville de Trun pour empêcher un plus grand nombre de soldats allemands de s’enfuir vers la Seine. Trun est atteinte mais de difficiles combats s’engagent autour de cette ville, défendue par des éléments appartenant à la 7e armée allemande. La 4e division blindée s’empare de Soulangy après avoir livré une sanglante bataille.

Enfin, le 16 août, Falaise tombe aux mains de la 2e division d’infanterie canadienne, même si plusieurs poches de résistance allemandes sont encore dans les ruines de la ville. A 15h30, le général Montgomery (commandant le 21e groupe d’armées) ordonne la fermeture de la poche à partir du village de Trun, alors que le général Bradley, commandant les forces terrestre américaines, estime qu’il est déjà trop tard et qu’une grande partie des troupes allemandes se sont déjà repliées en direction de la Seine.

La fermeture de la poche de Falaise

Trun est le nouvel objectif du général Crerar, qui conduit à partir du 16 août la deuxième phase de l’opération Tractable. En soirée, le 21e groupe d’armées a atteint les localités suivantes (d’ouest en est) : Condé-sur-Noireau, une partie de la ville de Flers, Saint-Denis et Pont-d’Ouilly. De durs combats se poursuivent dans la région proche du village Trun.

Le 17 août, la porte de sortie de la poche d’encerclement où sont piégés les Allemands du groupe d’armées B est large de seize kilomètres et longue de trente-deux kilomètres.

Le général Maczek, commandant la 1ère division blindée polonaise, divise son unité en trois groupes de combats autonomes : il installe l’un d’entre eux en appui sur les hauteurs dominant Trun et la vallée de la Dives au profit de la 4e division blindée canadienne. Les trois autres groupes de combat progressent en direction du sud-est et s’empare de Champeaux et se rapprochent de Chambois. Malgré la situation désastreuse pour les forces allemandes, leur repli est extrêmement rapide : en cette seule journée, près d’un tiers des forces de l’Axe encerclées sont parvenues à sortir du chaudron.

Le 18 août, les Alliés s’emparent de Trun et les Polonais parviennent en soirée aux portes de Chambois. Les groupes de combats de Maczek sont répartis ainsi : un groupe face à Chambois, un autre près de Vimoutiers et le dernier au pied de la cote 262 (Mont-Ormel). Aux premières heures du 19 août, le général Simonds décide de faire le dernier effort permettant ainsi aux Alliés de fermer la fameuse poche de Falaise. Il ordonne ainsi à la 4e division blindée canadienne de s’emparer de Chambois pendant que deux colonnes polonaises attaquent vers l’est et s’installent en couverture sur le Mont-Ormel. Pendant ce temps, les 2e et 3e divisions d’infanterie maintiennent la pression sur le côté nord de la poche dans laquelle les Allemands sont pris au piège.

Les soldats polonais du groupe de combat commandé par Zgorzelski atteignent la cote 137 malgré une importance résistance allemande. En début d’après-midi, le groupe Stefanowicz s’empare de la cote 262 en ayant détruit l’équivalent d’une compagnie adverse. Cependant, leurs pertes sont extrêmement élevées. A la fin de la journée, la 1ère armée canadienne effectue sa jonction avec la 3e armée américaine : la poche de Falaise est désormais fermée. Pour les soldats alliés situés dans le couloir Trun-Chambois, une nuit difficile débute : ils s’installent en défensive face à l’ouest et face à l’est, empêchant les uns de sortir de la poche et les autres de rompre l’encerclement.

Le 20 août, les Allemands contre-attaquent massivement de part et d’autre du couloir Trun-Chambois. Les Polonais situés sur la cote 262 du Mont-Ormel repoussent avec beaucoup de difficultés les multiples assauts menés par les 2e et 9e S.S. Panzer divisions : en près de deux minutes, un char allemand détruit cinq chars Sherman depuis sa position sur la cote 239. Les 8e et 9e bataillons polonais sont sévèrement touchés. L’artillerie alliée effectue de multiples tirs de barrage interdisant toute progression allemande mais à midi, une brèche est ouverte au profit des soldats allemands : en fin d’après-midi, près de 10 000 d’entre eux sont parvenus à rompre l’encerclement. Depuis le Mont-Ormel, les Polonais infligent de très lourdes pertes aux troupes allemandes avec la combinaison des feux de l’infanterie et de ceux de l’artillerie. Mais à la fin de la journée, leurs réserves de munitions sont quasiment épuisées.

De leur côté, la 16e division d’infanterie et la Hitlerjugend tentent une percée pour sortir du piège, utilisant les couverts du brouillard matinal. Plusieurs brèches sont ouvertes dans le dispositif canadien, notamment le long de la Dives et de la cote 117, dans lesquelles les Allemands s’engouffrent. Dans le but d’imperméabiliser le dispositif allié, le major David Vivian Currie reçoit l’ordre de se rendre à Saint-Lambert-sur-Dive pour empêcher toute exfiltration ennemie. Avec son groupe de combat blindé, il détruit sept chars, douze canons de 88 mm, quarante véhicules, 300 allemands, fait 1100 prisonniers et 600 blessés dans les rangs adverses.  Currie reçoit la Victoria Cross pour ce fait d’armes, la plus prestigieuse médaille militaire britannique.

De 19h00 à 19h20, les Allemands sont autorisés à évacuer leurs blessés. Une fois ce délai passé, les combats reprennent. Le couloir emprunté par les soldats et les véhicules allemands en déroute est bientôt surnommé le « couloir de la mort » : les carcasses fumantes de véhicules, les corps des Allemands et des chevaux qui servent à leur évacuation jonchent les routes et les rivières, offrant un spectacle terrifiant d’une armée en déroute : plus de 200 chars, près de 1 000 pièces d’artillerie et autant de véhicules divers sont détruits. Quelques ponts sur la Dives permettent encore aux survivants des divisions 2e Panzer, 10e S.S. Panzer et 116e Panzer de fuir. Pour les emprunter, les blessés et les épaves de véhicules sont précipités dans les fossés et dans la rivière. Pendant toute la nuit, les tirs de barrage alliés se poursuivent pour empêcher les hommes piégés de s’échapper.

Le 21 août en matinée, les Allemands tentent une nouvelle contre-attaque en direction des positions polonaises sur la cote 262. A midi, ils atteignent le 9e bataillon mais sont définitivement stoppés au Mont-Ormel avant de se replier vers la Seine. Les unités prises au piège dans la nasse alliée se rendent en fin de journée.

Bilan de l’opération Tractable

L’opération Tractable est extrêmement coûteuse en vies humaines. Côté allié, les Canadiens ont perdu 5500 soldats après les deux opérations Totalize et Tractable. Les Polonais perdent 1 441 hommes dont 325 tués, 1 002 blessés et 114 disparus ; vingt pour cent des effectifs de leur division sont mis hors de combat lors des combats de Mont-Ormel. Côté allemand, il n’existe pas de statistiques précises concernant leurs pertes, car les unités sont en déroute à ce moment de la bataille et les vivants s’occupent plus de leur propre survie que du décompte de leurs morts. Cependant, plusieurs estimations ont depuis été réalisées : la 7e armée prise au piège dans la poche de Falaise perd ses 200 000 hommes, 200 chars, 1 000 pièces d’artillerie et 5000 véhicules divers. 2 000 soldats allemands sont tués en empruntant le couloir de la mort ou en attaquant le Mont-Ormel, 5 000 sont faits prisonniers ; 55 chars sont détruits, ainsi que 44 pièces d’artillerie et 152 engins blindés.

Cette offensive permet à Montgomery d’atteindre les objectifs manqués lors de l’opération Totalize : Falaise et Trun sont sous contrôle allié, les Allemands battent en retraite en direction de la Seine et toute la 7e armée est prise au piège de la nasse. Bien que les impacts tactiques et stratégiques de l’opération Tractable soient liés aux offensives qui l’ont précédé, cette dernière grande opération de la bataille de Normandie accélère considérablement l’évolution du front ouest en mettant un terme à la tactique de défense ferme des Allemands : pris de vitesse, ils ne sont plus en mesure, après l’épisode de la poche de Falaise, de reculer de quelques kilomètres seulement pour se replacer en position d’interdiction. Les forces allemandes doivent désormais se replier et se réorganiser sur une nouvelle ligne à plusieurs dizaines de kilomètres de leurs anciennes positions.

Auteur : Marc Laurenceau – Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur – Contact Webmaster