Témoignage de D. Zane Schlemmer – 2/4

« Le Jour J, j’étais un Sergent de 19 ans appartenant à la Compagnie du Quartier Général, Second Bataillon du 508ème régiment d’infanterie Parachutiste, 82ème division aéroportée. J’étais un observateur avancé d’une section de mortier de 81 mm. Voici mon histoire, mon D-Day. »

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Notre avion était un C-53, ayant une porte de sortie relativement plus petite que celle du C-47 standard, mais il n’y a finalement pas eu de problème.
J’ai souvent pensé aux ingénieurs qui avaient dessiné les sièges dans des avions de transport de troupe qui n’étaient absolument pas compatibles pour des soldats parachutistes et leur équipement. La plupart d’entre nous ont préféré s’assoir sur le sol plutôt que sur les sièges qui n’étaient pas pratiques.

Le pilote et les membres d’équipage nous ont demandé que nous nous fourrions le plus possible à l’avant de l’appareil afin de permettre un décollage le plus rapide possible. Nous avons remarqué que chaque avion et planeur allié avait trois bandes blanches peintes sur chaque aile pour faciliter l’identification. On nous a dit que tous les appareils qui seraient repérés sans ces signes distinctifs devaient être abattus. Puis, au crépuscule naissant qui emplissait petit à petit l’aérodrome dans la pénombre, les moteurs des avions se sont mis en route. Ils ont commencé à toussoter, cracher et malgré quelques sursauts, le bruit s’est stabilisé pour augmenter peu à peu en intensité.

Alors que les moteurs atteignaient la pleine puissance, il semblait que chaque rivet isolé vibrait en harmonie avec le bruit produit par la mécanique de l’appareil, puis les avions ont pris la direction des airs. Pendant que nous décollions, nous pouvions voir les membres du personnel de l’aérodrome qui agitaient leur béret et casquette dans notre direction, eux qui, comme nous, savaient que le Jour J tant attendu venait tout juste de commencer.

Le 6 juin 1944, à 0 heure et 1 minute (heure anglaise), nous approchions de la Manche. Comme l’appareil ne disposait pas de porte, la cabine était agréablement rafraîchie par le courant d’air. Je l’ai déjà mentionné, notre stick était formé de 18 parachutistes. Le Lieutenant Talbert Smith, un de nos officiers, était le chef du stick et moi, en tant que Sergent, je devais sauter en dernier.

Quand nous avons atteint la Manche, il faisait de plus en plus sombre, mais nous pouvions remarquer que la mer était recouverte d’embarcations. Il était visible que lorsque nous étions au-dessus de la Manche, nos mines ont arrêté d’exprimer une relative tranquillité et le stick est devenu très calme et même pensif. Avec le recul, on comprend que ce changement était dû à l’appréhension du saut et du baptême du feu.
Les seules lumières que je voyais étaient les lueurs des cigarettes. Depuis l’endroit où je me trouvais, tout juste à proximité du cockpit, je pouvais voir en me levant, derrière le pilote, l’aile bleutée des formations d’avions qui nous précédait.

Après avoir volé au-dessus de la Manche pendant un certain temps, nous avons effectué un virage sur la gauche, et j’ai remarqué deux petites îles isolées dans cette direction. Je devais apprendre plus tard qu’il s’agissait des îles Anglo-Normandes, situées au large des côtes françaises. Bientôt, notre avion a survolé le rivage français et, bien qu’il n’y avait pas beaucoup de visibilité, on pouvait tout de même distinguer les routes, les champs, quelques petites maisons, le tout nous apparaissant principalement d’une couleur brunâtre.

Nous nous sommes ensuite levés, nous avons accrochés nos parachutes au câble tendu au-dessus de nous et nous avons vérifiés nos équipements dans le but de nous préparer à sauter, et que tous les problèmes soient évités. La lumière rouge s’est allumée. Ensuite, soudainement, sans avertissement préalable, notre avion a traversé un nuage ou un brouillard très dense. Ceci nous concernait véritablement, parce que nous ne pouvions voir en dehors de l’avion qu’une masse blanche, et il nous était même impossible de voir les lumières situées aux extrémités des ailes. Ceci, bien entendu, a handicapé les pilotes et beaucoup d’appareils ont rompu leurs formations, dans le but d’éviter toute collision avec un autre avion.

Pour nous autres, debout dans la cabine, le temps semblait sans fin et nous allions d’un nuage à un autre, jusqu’à ce que nous quittions d’un seul coup la masse nuageuse. C’est à cet instant que nous avons fait l’expérience de la FLAK (artillerie anti-aérienne allemande) et des armes de poing dont les projectiles, lorsqu’ils heurtaient l’avion, émettaient un bruit similaire à du gravier s’écrasant sur une tôle en métal (c’était un son assez impressionnant et une fois qu’on l’entend, on s’en souvient pour toujours).

Nous avons continué de vérifier nos équipements. Le stick de paras s’est ensuite rapproché de la porte de sortie le plus rapidement possible, attendant que la lumière verte s’allume alors que les tirs de la FLAK se poursuivaient.
A ce moment, je ne pensais plus qu’à deux choses : premièrement je voulais sortir de l’avion le plus rapidement possible, puisque j’étais le dernier du groupe à sauter, et deuxièmement je me demandais ce que je fichais dans une telle situation (je me suis posé la même question à de nombreuses reprises les jours qui ont suivi).

En règle générale, en fonction de l’habitude et de son instinct, un parachutiste parvient à anticiper la lumière verte de saut, quand le pilote ralenti la vitesse de son appareil et perd de l’altitude, mais pas cette nuit-là. La lumière verte s’est allumée, et tout le stick est sorti de l’avion de manière parfaite – cela ressemblait presque à une chorégraphie.

J’ai véritablement ressenti l’ouverture de mon parachute comme un choc violent, mais également en tant qu’une sensation agréable. Mon casque s’était placé devant mon visage et j’ai du le replacer pour voir à nouveau. Le ciel semblait être animé par des couleurs roses, oranges, et par des balles traçantes rouges qui se courbaient avec élégance, puis qui se séparaient en de petits traits après avoir traversé la voile du parachute.
Je me suis depuis demandé qu’elle était la fréquence de balles traçantes par rapport aux balles ordinaires utilisée par l’armée allemande cette nuit-là, car la vue de ces « traçantes » m’a fortement impressionnée. Au loin, vers l’est (c’était la direction empruntée par les avions alliés), je pouvais apercevoir un feu très important au sol – cela devait se passer à Sainte-Mère-Eglise, bien que je ne le savais pas encore à l’époque.

Le côté embarrassant du saut de nuit est que vous ne pouvez voir le sol s’approcher et que vous devez en conséquence anticiper votre atterrissage. Nous avons été parachutés à une altitude extrêmement faible, afin de minimiser le temps de chute dans les airs où , sans défense, nous étions des cibles faciles, et j’ai atterri contre une haie bordant un verger, tout en émettant un bruit sourd provenant de mon équipement que je portais le long de mon corps. Je me suis rapidement défait de mes harnais, j’ai assemblé les diverses parties de mon fusil, et j’ai empoigné mon revolver.

La lune, à ce moment, était cachée derrière des nuages et cette faible lumière, qui était quelque peu rosée dans le ciel à cause des balles traçantes, m’a permis de remarquer un petit chemin le long du verger et une petite maison au toit formé par des tuiles. La FLAK et les armes de poing ouvraient alors le feu sur la vague suivante d’avions parachuteurs, qui arrivait au loin.
Je n’ai observé aucun signe de vie, ni dans le verger, ni à l’intérieur de la maisonnette. Mais, près du chemin en direction De l’ouest, à proximité d’un groupe d’habitation, devait se trouver un point fortifié allemand, où les tirs étaient très importants.

Je n’avais aucun moyen de retrouver les autres parachutistes de mon stick. Je devais apprendre plus tard que le Lieutenant Talbert Smith, qui a sauté en premier, a été immédiatement capturé, fait prisonnier. Il a été tué par la suite lors d’une attaque en rase-motte d’un avion américain.

Alors que je quittais le verger pour rejoindre le petit chemin de campagne, une énorme boule de feu orange est apparue au-dessus de ma tête, descendant rapidement en direction de l’est. Cela ressemblait beaucoup à la chute d’un météore ou d’une météorite. Mais le tout était accompagné par le gémissement de deux moteurs à pleine puissance qui s’emballaient, apparemment un avion transporteur de troupe qui allait s’écraser, et mes premières pensées furent pour les soldats et les membres d’équipage qui devaient sûrement être encore tous à bord.

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Auteur : Marc Laurenceau – Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur – Contact Webmaster