Témoignage de D. Zane Schlemmer – 3/4

« Le Jour J, j’étais un Sergent de 19 ans appartenant à la Compagnie du Quartier Général, Second Bataillon du 508ème régiment d’infanterie Parachutiste, 82ème division aéroportée. J’étais un observateur avancé d’une section de mortier de 81 mm. Voici mon histoire, mon D-Day. »

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J’ai trouvé étrange le fait de ne pas avoir entendu cette masse enflammée s’écraser contre le sol, mais quoi qu’il en soit, plus tard, au moment où la lumière du Jour J éclairait les alentours, j’ai vu l’épave informe et enflammée d’un C-47 dans un marais de la rivière Merderet. Je n’ai jamais vraiment su s’il s’agissait bien de l’avion touché que j’avais vu piquer.

Trois éléments ne nous avaient pas été communiqués, et nous nous en sommes très vite aperçus. Premièrement, la zone où j’avais été parachuté était occupée par les Allemands de la 91ème division, qui était relativement redoutée. Le poste de commandement de la division était situé au bord de notre « drop zone » (point de chute), et il semblait que les Allemands occupaient toutes les grandes fermes françaises de la partie Ouest de la rivière Merderet.
Deuxièmement, personne ne nous avait informé de la taille des immenses haies françaises. Nous avions été, bien entendu, prévenu que la région était parsemée de parcelles entourées par des haies, et nous nous étions fait à l’idée qu’il s’agissait d’une végétation identique à celle rencontrée en Angleterre, sachant les chasseurs à cour pouvaient facilement passer au-dessus des haies britanniques.

Troisièmement, personne ne nous avait prévenu que les terres à proximité de la rivière Merderet ou encore de la rivière Douve étaient inondées. Au lieu de ça, on nous avait parlé d’un simple parterre humide identique à ceux que l’on peut trouver sur la plupart des fleuves et courts d’eau. Ces marais étaient comme des lacs peu profonds qui s’étendaient sur de longues distances.

Nous devions apprendre plus tard que les Allemands avaient eux-mêmes inondés les vallées bordant les rivières, dans le but de prévenir toute attaque de type aéroportée. Les marais étaient en général trop profonds pour les traverser, et des fossés de drainage empêchaient l’eau de s’écouler. L’eau des marais était ainsi assez sale, on ne pouvait pas voir le fond qui était boueux, et, par la présence de grandes mauvaises herbes qui poussait dans cette zone, il était très difficile voire impossible de traverser ces marais.

J’étais seul et je n’avais pas la moindre idée de l’endroit dans lequel je me trouvais, à part d’être en France. Il ne m’était pas possible de rejoindre mon groupe, parce que les Allemands occupaient les bâtiments d’une ferme situés à proximité du chemin. J’ai alors rapidement déposé la mine anti-char que je portais sur le petit chemin de campagne, je l’ai camouflé derrière des branchages, puis je l’ai armé avant de partir vers le sud afin de flanquer le point fortifié allemand.

Près du verger suivant, j’ai rencontré un sergent de la 101ème Airborne Division, qui apparaissait autant déconcerté que moi d’être là où il se trouvait. Nous étions tout deux bien loin de nos objectifs respectifs. Nous avons ensuite entendu des tirs d’armes de poing en direction du Sud et je me suis dit qu’il devait y avoir d’autres paras comme nous parmi ceux qui tiraient, alors nous avons emprunté une route orientée Est-Ouest.

Au fond du fossé situé le long de cette route, nous avons trouvé deux câbles parallèles. Il s’agissait apparemment de câbles militaires de communication, et nous les avons ainsi coupés, avant de reprendre notre marche et de couper les câbles à nouveau une centaine de mètres plus loin, et nous avons jeté la partie détachée derrière une haie afin qu’elle ne soit pas réutilisée.

Au-devant de nous, on pouvait voir qu’un virage se dessinait, et qu’au-delà de ce virage, le chemin rejoignait une route plus importante qui traversait les marais. Une grande maison était à proximité, derrière un groupe d’arbres d’où provenaient la plupart des tirs. Il s’agissait à première vue d’un autre point fortifié allemand, alors nous avons poursuivi notre progression le long de la route. Nous sommes arrivés près d’un petit pont maçonné, de quelques maisons situées le long de la route et nous avons finalement atteint une intersection de chemins de fer. Je me suis alors souvenu que le seul village dans notre zone disposant d’un réseau de chemin de fer était appelé Chef-du-Pont.

Le pont, le village, le chemin de fer… Je pouvais enfin visualiser ce qu’on nous avait dit lors du briefing de la veille. En m’orientant, je suis parvenu à repérer que j’avais atterri à environ 2 ou 2,5 kilomètres au sud-est de mon point de chute initialement prévu (ce qui était plutôt chanceux, comparé à d’autres parachutistes) et que j’étais à présent sur la mauvaise rive de la rivière Merderet.

Le sergent de la 101ème Airborne décida de continuer la progression en direction de sa zone de parachutage, située au sud-est mais moi, sachant que j’étais du mauvais côté de la rivière Merderet, je l’ai laissé et j’ai voulu retraverser le petit pont. A ce moment, les tirs allemands dans ma direction se multipliaient depuis cette grande maison, qui était un château, et j’étais obligé de trouver un autre passage au-dessus de la zone inondée, ce que je fis, au nord de la route principale. Il y avait des tirs sporadiques d’armes automatiques dans toutes les directions, mais je n’étais pas capable de savoir s’il s’agissait d’amis ou d’ennemis.

Alors que j’atteignais le bord des terrains inondés, j’ai entendu un planeur s’écraser contre de grands arbres bordant un champ à quelque distance de ma position. On nous avait informé que de nombreux planeurs, transportant chacun un petit bulldozer, devaient atterrir avant l’aube afin de préparer les terrains d’atterrissage pour les autres planeurs. Le bruit de cet engin heurtant les arbres était comme celui provoqué par des milliers d’allumettes que l’on allumerait en les grattant d’un seul coup et je pensais à ce pauvre pilote de planeur avec un petit bulldozer derrière lui.

J’ai soudainement eu froid et je tremblais. Soit en raison de l’humidité des marais et de la fraîcheur de la nuit, soit à cause de la peur que j’avais à ce moment, je ne le savais pas exactement. Rapidement après, en utilisant le cricket, j’ai rejoint un groupe de trois autres personnes. L’un d’entre eux était déjà blessé, un autre avait la jambe cassé à cause de son saut, ainsi nous leur avons apportés une assistance médicale et nous les avons installé dans le fossé d’une route, sous une imposante haie, et je suis reparti avec le troisième soldat.

A l’aube, nous avons quitté la route et les petits chemins, et nous avons poursuivi notre progression à travers les champs, comme on nous l’avait indiqué lors de l’instruction. En effet, nous devions nous tenir à distance des routes et des habitations à causes des actions de l’artillerie. Ainsi, on concédant ces zones aux allemands, nous pouvions mieux contrôler le champ de bataille, en attaquant à la manière des Indiens d’Amérique lors de la conquête de l’ouest. Ainsi, durant tous jours passés en Normandie, je n’ai pas une seule fois été à l’intérieur d’une ferme ou d’un bâtiment, sauf après avoir reçu ma blessure quelques temps plus tard, quand l’on m’a transporté dans un bâtiment à l’arrière transformé en un hôpital de campagne.

Nous avons rencontré d’autres parachutistes dans différents champs qui préparaient des embuscades contre les troupes allemandes sur les routes et les chemins de campagne. Ces champs devenaient de véritables champs de bataille isolés les uns des autres. Avant d’entrer dans un verger, il fallait l’examiner à travers les haies. S’il s’y trouvaient des vaches, nous étions rassurés parce qu’elles étaient d’excellentes indicatrices, car elles assimilaient les personnes avec la traite et se tenaient en face du premier individu repéré en attendant le début de la traite. Depuis toutes ces années, j’ai conservé une place dans mon coeur pour ces magnifiques vaches normandes, avec leurs grands yeux et leurs grosses mamelles.

Nous étions très habitué au bruit que faisaient les bottes allemandes en claquant sur les pavés des routes normandes, alors que nos bottes de parachutistes étaient en caoutchouc, et faisaient un son très différent. Ainsi, nous étions capables d’attaquer par surprise de très nombreuses patrouilles ennemies et de plus, nous étions avantagés par les haies qui nous camouflaient, étant bien trop larges et trop fournies pour voir au travers. Nous avons très vite appris à reconnaître les différentes armes utilisées par les soldats allemands, simplement en entendant la cadence de tir et le bruit qu’elles faisaient.

Aux alentours de dix heures du matin le Jour J, des dizaines de parachutistes nous avaient rejoint, certains d’entre eux étaient blessés, mais nous ne disposions d’aucun mortier, de très peu de mitrailleuses lourdes, quelques bazookas, quelques radios, un peu de matériel médical (excepté ceux portés par chaque parachutiste), quelques médecins pour donner les premiers soins aux blessés, et pourtant, nous avions tous nos propres armes et celles prises aux camarades touchés.

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