On apprend la mort de Pierre Schoendoerffer ce matin, mercredi 14 mars 2012, à l'âge de 83 ans, à l'hopital militaire de Percy. On le savait, depuis quelques jours, gravement malade.
Cinéaste et romancier, Pierre Schoendoerffer (1) est le témoin d'une époque, celle de la fin des guerres coloniales. Ses ouevres ont profondément marqué l'imaginaire de toute une génération, au risque de la diviser entre les inconditionnels de la 317 ème section et ceux du Crabe-tambour. On se gardera d'oublier son oeuvre de journaliste de télévision, absolument remarquable, comme en témoigne "la section Anderson". Un livre vient de paraître, qui lui est entièrement consacré, sous la plume de Bénédicte Chéron (CNRS-Editions).
"Pierre Schoendoerffer n'est jamais revenu de Dien Bien Phu. Un demi-siècle après la bataille, l'auteur de la 317e Section et du Crabe Tambour n'aimera pas cette phrase. S'il la lit, il la trouvera irrespectueuse, non pour lui-même certes, mais pour tous les soldats français morts dans la cuvette et les camps vietminh. Et dont, lui, le caporal-chef cameraman a réchappé. Pourtant, il n'est jamais rentré d'Indo. Ses romans, ses films, ses documentaires, son univers le retiennent quelque part dans la boue entre les points d'appui «Eliane» et «Béatrice». Il avait alors 26 ans.
A 76 ans, il sort son dernier film, Là-haut. Encore une histoire où il est question de soldat, d'honneur et d'Indochine. Un film en forme de testament, «qui boucle la boucle», dit-il, et qui ne convaincra que les aficionados . C'est une histoire qui ressemble aux livres de Jean Lartéguy que d'ailleurs plus personne ne lit. Les fidèles iront voir Là-haut par nostalgie, les autres préféreront Monica Bellucci et Vincent Cassel en Agents secrets. Un film de Frédéric, fils de Pierre.
Pierre, fils de Georges. Le protestant Schoendoerffer aimera peut-être ces mots, car ils pourraient lui rappeler les longues généalogies de la Bible. Sa famille compte dans ses rangs des pasteurs, des musiciens, des architectes. Ce sont des protestants d'Alsace qui ont quitté leur province en 1871 pour ne pas devenir allemands. De la graine de solides patriotes. Ses parents se rencontrent en 1919 à Strasbourg, lors de la cérémonie marquant le retour de l'Alsace à la France. «ça oblige», note-t-il sobrement. Au hasard de la carrière d'ingénieur de son père, Pierre naît dans le Puy-de-Dôme, à Chamalières. Il aura une enfance itinérante, avec comme point de repère la maison familiale au pied du col de la Schlucht. Beaucoup de difficultés scolaires. «J'étais lent et attardé. Dyslexique, en réalité. Je n'ai toujours aucune orthographe, ce qui fait que je renâcle à écrire la moindre lettre», confesse-t-il.
Pensionnaire au lycée technique d'Annecy pendant la guerre, il lit Fortune carrée de Joseph Kessel. Le livre le sort de sa déprime, en lui indiquant le chemin de «la vraie vie». Tout à son rêve de devenir marin, lui qui n'a jamais vu la mer, il embarque sur un chalutier à voile. Après guerre, il réussit ensuite à se faire embaucher comme matelot sur un cargo suédois et fait du cabotage dans la Baltique et la mer du Nord. «Un soir, je rêvassais à la barre. Je me suis dit que j'avais envie de raconter des histoires. Vu mon niveau scolaire, l'écriture était exclue et j'ai décidé de faire du cinéma.» Retour en France : le bachot, le service militaire dans l'infanterie alpine (Schoendoerffer aime préciser ce genre de choses), puis il va se cogner à toutes les portes en essayant d'entrer dans le cinéma. Finalement, l'une d'entre elles s'ouvre : celle du Service cinématographique des armées (SCA). En 1951, il s'engage pour apprendre son métier.
ça a marché. L'homme, qui nous reçoit cinquante-trois plus ans tard dans son appartement des beaux quartiers de Paris, a réussi. Cinéaste et romancier, il crée en double commande. De la même histoire, il écrit un livre puis réalise un film. Cela rythme deux temps de son existence : la solitude de l'écriture puis la bande du cinéma. «Quand je fais un film, je suis capitaine», avoue l'ancien matelot. Tout a commencé avec la 317e Section, un récit à hauteur de fantassins au Laos. Ses acteurs fétiches, Jacques Perrin et Bruno Cremer, sont déjà là. Le Nouvel Obs' parle alors de «chef-d'oeuvre». Schoendoerffer récidive avec le Crabe Tambour, une histoire de marins digne de Conrad ou de Kipling. On se souvient de l'escorteur Jauréguiberry filmé dans la tempête par Raoul Coutard le chef op' de la Nouvelle vague .
Le Crabe tambour est inspiré d'un personnage réel, Pierre Guillaume. Cet officier de marine prit part au putsch des généraux en 1961 et finira sa vie comme chroniqueur à Radio Courtoisie. Les soldats perdus des guerres coloniales font fantasmer l'extrême droite. Celle-ci n'a eu de cesse de récupérer le réalisateur de l'Honneur d'un capitaine. «Ils essaient de me mettre sur le dos un sac qui n'est pas le mien», dit-il. Schoendoerffer n'est pas d'extrême droite. De droite, sans l'ombre d'un doute, même si cela ne l'intéresse guère. A peine reconnaît-il, à propos de l'Algérie, qu'il aimait bien «ces petits drapeaux français flottant sur le djebel». Lecteur de Pascal, ses interrogations sont d'abord spirituelles. Dans son village du Finistère, ce parpaillot va à la messe. Sans doute à la recherche d'un recteur breton qui ressemblerait à Jacques Dufilho.
Schoendoerffer est aujourd'hui un vieux monsieur, toujours un peu timide. Le cheveu en bataille, les mains légèrement tremblantes, il fume ses cigarettes blondes à la chaîne et, s'il boit désormais de la bière sans alcool, c'est sans doute qu'il a jadis beaucoup trop fréquenté les spiritueux. «Pat», son épouse depuis 46 ans, veille soigneusement sur lui. Patricia, fille de Jean Chauvel, ambassadeur à Londres, soeur de Jean-François Chauvel, le grand reporter des années 60, lui-même père de Patrick, actuel photoreporter. On touche là au troisième univers de Schoendoerffer, le journalisme. Photographe pour Life et Match au Vietnam, puis participant à l'aventure de Cinq colonnes à la une. Pour la télé, Lazareff lui demande de retourner au Vietnam. En 1966, il partage la vie de militaires américains. Ce qui l'intéresse n'est pas de «ramasser une somme d'anecdotes, mais d'accéder au mystère de la condition humaine». Sa méthode : l'imprégnation. Les premiers jours, il tourne sans pellicule, pour laisser le temps aux hommes de s'habituer à sa présence. Il filme les visages, ne réalise aucune interview, rend compte des accrochages comme Fabrice à Waterloo. Le film la Section Anderson est immédiatement diffusé aux Etats-Unis.
Son intégration chez les GI avait été facilitée par son passé d'ancien de l'Indo. Il y était arrivé au printemps 1952, caméra militaire au poing. Le 18 mars 1954, il saute sur Dien Bien Phu pour remplacer un collègue qui vient de perdre une jambe. Il filme la bataille et la chute du camp retranché. Fait prisonnier par les troupes du général Giap, il réchappe de quatre mois de camp, où le cinéaste soviétique Roman Karmen qui reconstitue la bataille pour la propagande communiste demande à rencontrer son homologue de l'armée française. Libéré à l'automne 1954, Schoendoerffer entame un tour du monde. A Hongkong, il fume de l'opium avec... Joseph Kessel. La première boucle était bouclée. La plus grande commençait. Pour Pierre Schoendoerffer, elle s'achèvera Là-haut.
(1) Selon la famille, le nom se prononce «Cheunedeurfère».
Pierre Schoendoerffer en 8 dates
1928- Naissance à Chamalières (Puy-de-Dôme).
1951- S'engage au Service cinématographique des armées.
1954- Saute sur Dien Bien Phu, où il sera fait prisonnier.
1963-64- La 317e Section. Le livre, puis le film.
1966- La Section Anderson.
1976- Le Crabe Tambour. Le livre et le film.
1981- Là-haut, le livre.
1992- Dien Bien Phu. Le film.
Source : http://www.marianne2.fr/blogsecretdefen ... _a544.html
Disparition de Pierre Schoendoerffer
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