Heureusement les juges ont fait justice.
BORDEAUX (AP) -- La cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé mardi matin le jugement du tribunal administratif de Toulouse qui avait condamné la SNCF pour le transport de quatre membres de la famille Lipietz dans des wagons à bestiaux, entre Toulouse et Drancy, les 10 et 11 mai 1944.
Les magistrats bordelais ont estimé que la juridiction administrative n'est pas compétente en la matière. Selon l'arrêt, «le présent litige met en cause une personnalité morale de droit privé», en l'occurrence la SNCF, et «relève donc de la juridiction du droit privé» et non du droit administratif.
Pour la Cour, «la SNCF ne peut être regardée comme ayant assuré l'exécution d'un service public administratif, ni comme ayant disposé des prérogatives de puissance publique. «Elle estime notamment que «la composition des trains, leur aménagement, le mode de fermeture des wagons étaient fixés par l'occupant et mis en oeuvre par l'autorité de l'Etat».
Elle reprend donc ainsi les arguments de la SNCF, qui affirmait avoir agi par contrainte et sur réquisition. A l'audience le 21 mars, son avocat, Me Michel Guénaire, avait pour la première fois fourni des documents évoquant une réquisition, mais concernant des convois au départ de Nice, et non de Toulouse.
Le commissaire du gouvernement, Didier Péano, avait lui aussi plaidé en faveur de l'annulation de la condamnation, évoquant également la prescription des faits qui remonte selon son analyse au 17 août 1974, 30 ans après la libération de Drancy des membres de la famille Lipietz. Me Rémi Rouquette, avocat des Lipietz, avait pour sa part plaidé l'imprescriptibilité d'un crime contre l'humanité et nié l'excuse de contrainte avancée par la SNCF.
La responsabilité de la SNCF avait été retenue en première instance par les magistrats toulousains le 6 juin 2006, car si la SNCF se prévaut d'avoir agi sur réquisition en vertu de l'armistice de juin 1940, «elle n'a jamais émis d'objection pour l'exécution des transports», bien qu»'informée de la nature et de la destination des convois».
De plus, «alors qu'elle facturait systématiquement ces prestations de transports à l'Etat au tarif de 3e classe, et qu'elle a continué à réclamer les paiement de telles factures après la Libération, la SNCF utilisait à cette fin des wagons de transports de marchandises ou d'animaux, dont ses agents avaient eux-mêmes obstrué les ouvertures, sans fournir aux personnes transportées ni eau, ni nourriture, ni conditions minimales d'hygiène».
Pour les magistrats toulousains, la SNCF ne faisant pas «état d'une quelconque contrainte susceptible de justifier de tels agissements, ceux-ci présentent un caractère fautif et engagent sa responsabilité entière».
La SNCF avait été condamnée conjointement avec l'Etat par le tribunal administratif de Toulouse, à verser respectivement 5.000 et 10.000 euros à chacune des quatre victimes. Seule la SNCF avait fait appel de ce jugement. L'enjeu est d'autant plus important pour elle que 1.800 victimes de transports de déportation par la SNCF ont engagé une requête à son encontre depuis le jugement de Toulouse. AP