2 septembre 2016 : Les espaces de mémoire face au phénomène « Pokemon Go! »
Auteur : Marc Laurenceau
Le jeu « Pokemon Go » a fait son apparition en juillet 2016 à travers le monde et a remporté un succès immédiat auprès de millions d’utilisateurs. Ces derniers parcourent des kilomètres avec leur smartphone pour découvrir et collectionner des créatures virtuelles. Problème : les fameuses créatures ont également envahi les espaces de mémoire tels que des cimetières militaires et des musées sur l’Holocauste.
Depuis le début de l’été 2016, les responsables de sites mémoriels tels que le cimetière militaire américain d’Arlington (Etats-Unis), le camp de concentration d’Auschwitz ainsi que l’ossuaire de Douaumont près de Verdun s’inquiètent de la présence de « joueurs » qui visitent ces espaces de mémoire non pas pour honorer le souvenir des disparus, mais simplement pour acquérir de manière virtuelle des créatures imaginaires.
En effet, les créateurs du jeu ont utilisé un logiciel pour répartir ces fameux « Pokemon » sur l’ensemble de la planète. Ces créatures apparaissent sur l’écran des smartphones grâce à la réalité augmentée lorsque l’application a été préalablement installée. Mais le logiciel chargé de répartir ces créatures n’a pas pris soin de prendre en compte les bases militaires, où la circulation est bien évidemment restreinte, ainsi que les sites de mémoire. Le débat est désormais ouvert : peut-on accepter les Pokemon dans les cimetières militaires ou encore les sites dédiés à la mémoire des soldats défunts ?
Plusieurs établissements se sont déjà inquiétés du manque de discernement de la part des administrateurs du jeu. Le mémorial de l’Holocauste ainsi que le cimetière national d’Arlington aux Etats-Unis conseillent désormais de ne pas « chasser » les Pokemon sur leur domaine. Plus choquant encore, les développeurs de la société américaine Niantic n’ont pas pensé à retirer les créatures virtuelles du camp de concentration d’Auschwitz. Pawal Sawicki, directeur du musée installé à proximité de cet espace de mémoire, a rédigé une lettre destinée à la société Niantic afin de demander la suppression de la géolocalisation du camp sur l’application. « Nous jugeons ce genre de pratiques déplacé. C’est ici que des milliers de gens ont souffert, des juifs, des Polonais, des Roms, des Russes et d’autres nations », a-t-il expliqué. « Nous voulons sensibiliser d’une manière générale tous les producteurs de jeux au respect de la mémoire des victimes de ce plus grand camp de la mort nazi de la Seconde Guerre mondiale », a-t-il conclu.
Des incidents ont déjà éclatés entre vétérans et joueurs sur les lieux de mémoire, au point d’obliger le Department of Veterans Affairs (ministère des anciens combattants) américain à installer des panneaux avertissant l’interdiction d’utiliser « Pokemon Go » à certains endroits.
La direction des cimetières militaires du Commonwealth (Commonwealth War Grave Commission) a également adressé dès le 25 juillet 2016 un message à destination des utilisateurs du jeu en ligne, leur demandant de respecter les lieux de mémoire où sont enterrés les militaires tombés lors des deux derniers conflits mondiaux.
Si les joueurs de « Pokemon Go » affirment aller à la découverte de lieux différents grâce à la réalité augmentée, certains sont prêts à tout pour compléter leur collection virtuelle, au point de manquer de discernement en poursuivant leurs activités dans certains espaces mémoriels. Plus que jamais, il apparaît comme étant nécessaire de sensibiliser les joueurs sur l’attitude à adopter dans de tels lieux. Mais le rôle des développeurs est tout aussi important : il leur appartient désormais de retirer les géolocalisations des créatures virtuelles des sites qui en ont fait la demande. La société Niantic s’est associée à Nintendo dans un communiqué commun, expliquant avoir choisi les monuments publiques et les musées à travers le monde pour y centraliser des activités du jeu. Un formulaire permettant de demander la suppression de la réalité augmentée Pokemon à certains endroits est désormais disponible sur le site internet de Niantic. Néanmoins, il n’est pas précisé pour le moment si certains espaces mémoriels tels que le camp d’Auschwitz ou les cimetières militaires seront prochainement retirés de la base de données de Pokemon Go.