Origines et objectifs de l’opération Totalize
En ce début de mois d’août 1944, la situation alliée en Normandie est toujours insatisfaisante. Si les Américains, grâce à l’opération Cobra, progressent en Bretagne, les forces anglo-canadiennes sont toujours bloquées au sud-est de Caen face à des divisions allemandes installées en défense ferme et s’obstinant à ne plus reculer d’un pouce. Néanmoins, l’évolution du front sur le flanc gauche pousse les Allemands à réorganiser leur dispositif. Ainsi, ils font basculer trois divisions blindées (la 1ère et 9e S.S. Panzer divisions et la 116e Panzerdivision) vers l’ouest des crêtes de Verrières.
Les lignes allemandes s’étendent désormais sur une plus importante surface et par conséquent se dégarnissent, donnant aux Anglo-Canadiens l’opportunité de percer le front au sud de Caen. Le général Montgomery, commandant en chef des forces terrestres engagées en Normandie, donne ainsi l’ordre au 2e corps canadien commandé par le général Simonds de s’emparer de Falaise, cité natale de Guillaume le Conquérant. La chute de cette ville accélérerait l’effondrement des Allemands en Normandie selon Monty. Le 2e corps est composé des 2e et 3e divisions d’infanterie canadiennes, 51e division d’infanterie britannique, 4e division blindée canadienne, 1ère division blindée polonaise, 2e brigade blindée canadienne et de la 33e brigade blindée britannique.
Face aux Alliés, les Allemands bénéficient d’une situation très favorable avec un terrain propice à la défense, composé notamment de vastes plaines céréalières. Ils se sont retranchés suite à l’opération Spring et ont valorisé leurs positions, en particulier à proximité de la route Caen-Falaise entre Cramesnil et Saint-Aignan-de-Cramesnil : une centaine de pièces d’artillerie de 75 mm et de 88 mm sont en batterie dans un secteur qui n’est large que de 4,8 kilomètres. Les positions sont tenues par les 84e et 85e divisions d’infanterie ainsi que par les survivants de la 272e division d’infanterie. Le 1er corps S.S. Panzer dispose également d’une réserve forte formée par la 12e division S.S. Panzer Division « Hitlerjugend ».
Dans un premier temps, le général Simonds envisage de bombarder les positions allemandes par un raid aérien classique faisait effort sur l’axe Caen-Falaise. Cet axe doit être ensuite emprunté aux premières heures de la nuit par les Alliés progressant avec deux unités de front : à l’est la 51e division d’infanterie britannique composée de la 154e brigade Highlands et de la 33e brigade blindée britannique, à l’ouest la 2e division d’infanterie canadienne composée de la 4e brigade d’infanterie et de la 2e brigade blindée. Une fois la bataille engagée, la 3e division canadienne et la 49e division d’infanterie britannique sont chargées d’attaquer à leur tour la ligne de défense allemande tandis que la 1ère division blindée polonaise et la 4e division blindée canadienne percent en direction de Falaise : le point à atteindre est situé sur les hauteurs au nord de Falaise, à quinze kilomètres de la ligne de départ.
Conscient des échecs rencontrés lors des opérations précédentes dans la région de Caen, durant lesquelles l’infanterie opérait bien souvent sans trop de coordinations avec la cavalerie, le général Simonds a ordonné à ses troupes d’accompagner les unités blindées par de l’infanterie pour que leurs actions soient continuellement communes. A cet effet, il a fait équiper ses unités de Kangaroo A.P.C. (pour Armoured Personnel Carrier), des canons automoteurs M7 Priest capables d’accueillir jusqu’à vingt personnels. Ainsi, Simonds met sur pied l’une des premières offensives à grande échelle de l’histoire de l’infanterie mécanisée. De plus, il fait débuter l’opération Totalize en début de nuit, contrairement aux autres offensives dont le lancement s’effectuait généralement peu avant l’aube.
7 août 1944 : l’équipage d’un char Sherman Firefly du 1st Northamptonshire Yeomanry ravitaille en obus avant le lancement de l’opération Totalize dans le secteur d’Ifs. Photo : IWM
Déroulement de l’opération Totalize
Conformément au plan, six colonnes d’assaut sont formées par les unités terrestres à la tombée de la nuit le 7 août 1944. L’aviation alliée débute le bombardement des positions allemandes à compter de 23h00 et les tirs deviennent roulant trente minutes plus tard. Malgré une confusion initiale liée essentiellement à l’absence de visibilité, des positions allemandes sont bousculées et les premières brèches sont réalisées.
Les villages de Cramesnil, Saint-Aignan-Cramesnil, Garcelles-Secqueville et Tilly-la-Campagne tombent aux mains des Anglo-Canadiens à l’aube, tandis que la ligne de défense allemande s’effondre progressivement : en fin de matinée, les Alliés s’emparent de la totalité de la crête de Verrières. La tactique employée par le général Simonds se révèle particulièrement payante : les Allemands sont bousculés et ne parviennent pas à se ressaisir.
Mais arrivés aux portes de Cintheaux, les Alliés sont fixés par les défenses allemandes, particulièrement efficaces et solidement installées dans ce secteur. Le général Kurt Meyer, commandant la division Hitlerjugend, lance une furieuse contre-attaque avec ses blindés et son infanterie en direction des lignes anglo-canadiennes. A ce même instant, à 12h30, les Alliés ont demandé un bombardement supplémentaire avant la percée que doivent effectuer la 1ère division blindée polonaise et la 4e division blindée canadienne.
Si le bombardement coupe les unités allemandes participant à la contre-attaque en deux parties, des avions larguent leurs bombes trop tôt et les Alliés perdent 300 soldats Canadiens et Polonais. Malgré tout, les blindés entament leur progression le long de la route Caen-Falaise.
Les chars allemands isolés au nord de la zone bombardée forment une poche de résistance au milieu du dispositif allié et combattent sans relâche. C’est à ce moment que le S.S.-Hauptsturmführer Michael Wittmann et son équipage trouvent la mort à bord de leur char Tigre. A 12 heures 55, le S.S.-Hauptscharführer Höflinger signale qu’il se trouve à la droite du char commandé par Wittmann, dans un champ situé à proximité de la route Caen-Cintheaux lorsque le char de Michael Wittmann est détruit. Tous ses occupants sont tués sur le coup. Après les échanges de tirs entre Alliés et allemands, le corps de Wittmann et ceux de l’équipage du Tigre sont enterrés à côté de la carcasse du char. Les causes de sa mort restent inexpliqués : de nombreuses unités, comme la 1ère division blindée polonaise, la 4e division blindée canadienne ou encore la 33e brigade blindée britannique indépendante, revendiquent l’embuscade qui a piégé Wittmann. La version officielle indique que son char a été détruit par une bombe larguée par un avion allié.
Les deux divisions blindées reprennent la progression de part et d’autre de Cintheaux une fois la nuit tombée. Simonds souhaite relancer son action, ralentie en raison des bombardements et ordonne aux chars canadiens commandés par Worthington de s’emparer de la cote 195. Mais ils confondent la cote 140 avec la cote 195, s’exposant alors aux tirs nourris de l’artillerie allemande : l’essentiel des blindés canadiens sont détruits et les survivants sont contraints de se replier.
Le 9 août, la 4e division blindée canadienne progresse de manière impressionnante et libère en route les villages de Gouvix et Urville. Elle atteint en journée la cote 195 et le village d’Estrées-la-campagne, défendus respectivement par la 89e division d’infanterie et par la 12e S.S. Panzer Division. De violents combats de chars tournent à l’avantage de la 5e S.S. Panzer Armee commandée par le général Eberbach et les Canadiens perdent 47 chars sur les 52 engagés dans la région d’Urville. La 1ère division blindée polonaise, commandée par le général Maczek, progresse en direction de la région nord de Rouvres et les 49e et 51e divisions d’infanterie attaquent en direction du sud-est de la région de Caen, entre Vimont et Saint-Sylvain, face aux soldats allemands de la 272e division d’infanterie et de la 12e S.S. Panzer Division « Hitlerjugend« .
Le 10 août, les Anglo-Canadiens se rapprochent peu à peu de la ville de Falaise, distante d’environ dix kilomètres du front en fin de journée. Ils s’emparent définitivement de la cote 195 qui est abandonnée par les Allemands. Au soir du 11 août, les Canadiens ont avancé de près de 10 kilomètres pour cinq jours d’opérations. La 4e division blindée canadienne se rapproche du village de Potigny, situé au nord-est de Falaise, mais de violents combats ont lieu contre la 12e S.S. Panzer division et la 89e division d’infanterie allemande. La 1ère division blindée polonaise progresse également au sud-est du village de Saint-Sylvain et repousse les contre-attaques de la 85e division d’infanterie allemande. L’opération Totalize est suspendue en soirée, alors que les Alliés ont atteint avec la plus grande peine les hauteurs au nord du Laizon.
8 août 1944 : un char Cromwell et une Jeep à proximité d’un canon Pak 43 de 88 mm abandonné pendant l’opération Totalize. Photo : IWM
Bilan de l’opération Totalize
L’opération Totalize a coûté cher en vies humaines aussi bien du côté allié que du côté allemand. 1 256 soldats anglo-canadiens sont mis hors de combats en quelques jours d’offensive, alors même que la ville de Falaise n’est toujours pas atteinte : parmi eux, le général Rod Keller, gravement blessé suite à une erreur de bombardement de la part de l’aviation américaine. Les Allemands ont quant à eux perdu plus de 3 000 hommes : bousculés par les bombardements et la tactique d’une charge mécanisée novatrice, ils ne sont pas parvenus à tenir leurs premières lignes de défense. Obligés de se replier à proximité immédiate de Falaise, ils subissent en plus la pression américaine en provenance de l’ouest.
Les pertes matérielles sont également très élevées : les Alliés ont perdu plus de 146 chars contre plus de 45 pour les Allemands. Si les Anglo-Canadiens sont en mesure de renouveler relativement rapidement leur parc de véhicules et blindés, il n’en est pas de même pour les divisions S.S. Panzer, déjà à court de carburant. Il faut attendre l’opération Tractable (14 août 1944) pour que les Alliés libèrent enfin Falaise et ferment la nasse qu’ils sont en train de mettre en place pour piéger les unités allemandes encore présentes en Normandie.
L’opération Totalize a également eu pour effet de mettre un terme définitif à l’opération Lüttich dans la région de Mortain : les Allemands cessent leur attaque vers Avranches et réorientent à compter du 8 août leurs renforts vers Falaise.