QUI EST RESPONSABLE DE LA DEFAITE DE MAI 1940 ?
| Nicolas BERNARD & Matthieu BOISDRON | en ligne depuis : Mai 2000 | ©
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Avant Propos : Il est des légendes qui sont tenaces. L'explication de la défaite de l'armée française en 1940 en est un parfait exemple. En effet, la "thèse populaire" la plus répandue consiste à affirmer qu'au delà des bévues des généraux et des actions de la "5e colonne" (...), l'armée française souffrait d'un manque cruel d'armes et surtout de matériels (chars). Cet état de fait serait la résultante d'une politique de désarmement intensive menée par le Front Populaire dans les années 1936-38. C'est d'ailleurs cette explication qui sera reprise par les accusateurs de Vichy lors du célèbre procès de Riom, visant à juger les coupables de la défaite. Voici pour vous forger une opinion sur la question quelques éléments de réflexions livrés par Nicolas Bernard et Matthieu Boisdron. - Le webmaster - Yannis KADARI.
LE FRONT POPULAIRE ET LA DEFENSE
Au Conseil des Ministres du 07 septembre 1936, un Plan quadriennal pour l'armement terrestre est adopté. L'Etat-Major demandait neuf milliards de francs. Quelle somme est accordée par le gouvernement ? 14 milliards. Mieux : le Conseil des Ministres lance un plan visant à la mise sur pied de 1500 avions de combat. Et un programme naval de trois ans est adopté quelques semaine plus tard. Deux ans plus tôt, le Gouvernement Doumergue accordait 3 milliards et 415 millions. Qui était alors Ministre de la Guerre ? Le Maréchal Pétain. Cette politique de réarmement a d'ailleurs été considérablement freinée dès 1935 par une politique de déflation menée par un Président du Conseil qui n'était autre que... Pierre Laval.
Le Front populaire sacrifie ainsi de nombreuses promesses électorales à la politique de réarmement. En 1938, les crédits militaires englobent 8,6 % du revenu national (Allemagne : 17 % et Grande-Bretagne : 08 %). Encore ne faut-il pas oublier les autres contraintes : manque de coopération (pourtant indispensable, au vu de la Constitution de la IIIe République) du Sénat, fuite des capitaux, etc. En outre, de nombreux membres de l'opposition s'opposent aux programmes de réarmement : selon eux, le Front populaire est inféodé au Kremlin. Que veut le Kremlin ? Dominer le monde. Comment y parvenir ? En détruisant l'Occident. Comment faire ? Amener la France et l'Allemagne à se déclarer la guerre. "Le communisme, c'est la guerre", dit un slogan. Réarmer, c'est faire le jeu de Moscou et aboutir à une nouvelle boucherie comme 14-18.
Ainsi le Front Populaire a-t-il fourni les capitaux, au risque de saboter son programme social. Mais la production ? Suit-elle ?
On a accusé (et parmi les accusateurs, Alfred Sauvy...) la loi des 40 heures d'avoir ralenti la production. Il est vrai que cette idée est confirmée par les statistiques opérées à cette époque et après la guerre. Cela dit, d'autres facteurs doivent entrer en considération.
Le programme d'armement aérien, par exemple. Les usines en question ne disposent déjà pas d'un matériel de qualité et ignoraient la signification des termes "production en série" ; on en est encore au stade des petites manufactures... En outre, des difficultés se posent dès lors qu'il s'agit de passer de la construction de nouveaux modèles, les ateliers devant déjà achever la fabrication des anciens et n'étant pas adaptés, d'un point de vue technique, à ces nouvelles commandes. Le Ministre de l'Air, Pierre Cot procède à des nationalisations (une quarantaine d'entreprises) et aux modernisations qui s'imposent. Ainsi, dans une usine, la durée de fabrication d'un chasseur Morane Saulnier Ms 406 passe de 30.000 heures en 1936 à 8.500 heures à la fin de l'année 38.
Toujours est-il qu'il est certain que la loi des 40 heures est l'une des causes essentielles du ralentissement de la production militaire. Encore ne faut-il rien exagérer : la France aligne autant (d'aucuns disent plus) de chars que l'Allemagne en 1940. En outre, les investissements massifs concernent la ligne Maginot. On ne peut alors pas reprocher au Front Populaire d'avoir préféré le social au militaire. En fait, les reproches devraient concerner les choix opérés dans l'allocation des crédits. Rétrospectivement, il est évident qu'il aurait fallu renforcer l'aviation à la place de la Ligne Maginot... Mais ce n'est qu'un raisonnement a posteriori.
Pour conclure, l'accusation portée contre le Front Populaire est fausse. Ce dernier a mené un intense programme de réarmement, qui n'a pas été sans conséquence sur les difficultés budgétaires et à terme sa popularité. Ce programme est seulement arrivé trop tard, dans un contexte politique et économique difficile. Et il n'a pas porté forcément sur les bons domaines. Mais là, ce n'est plus le Gouvernement qu'il faut accuser. L'Etat-Major (Pétain, Gamelin, Georges, Vuillemin), de par les doctrines qu'il a mises en place, a une bonne part de responsabilité.
PETAIN EST-IL INDIRECTEMENT RESPONSABLE DE LA DEFAITE DE 1940 ?
Au lendemain de la première guerre mondiale se pose le problème de la politique a tenir vis-à-vis de l'Allemagne. Le montant des réparations est fixé à 132 milliards de marks-or. Face à l'Allemagne qui ne considère qu'elle ne peut payer que 30 milliards, les troupes françaises envahissent la Rhénanie dès 1921 pour "se servir". A partir de là, quelle attitude tenir face au vaincu ? Doit-on évacuer la Rhénanie pour contenter les alliés ou au contraire se maintenir là bas afin de se rembourser en nature tout en affaiblissant l'Allemagne économiquement et diplomatiquement ? En effet, une "république Rhénane" relativement autonome permettrait de disposer d'une zone tampon en cas de tensions tout en considérant l'appui belge dont les intérêts vont dans le même sens que ceux de la France. Au lendemain de la guerre se pose également le problème de l'armée. De quelle manière faut-il la réorganiser ?
Foch prône une attitude offensive basée sur l'attaque préventive. Celle-ci serait donc fortement présente sur le Rhin et ferait de la sorte porter une menace d'invasion immédiate sur la Ruhr c'est à dire la richesse allemande dans sa majeure partie. Malgré l'importante place de Foch dans le début de la guerre 1914-1918 et le relatif prestige qu'il a conservé après-guerre, c'est le vainquer de Verdun, Pétain qui garde "le haut du pavé" et qui réussit à imposer ses vues au gouvernement et aux parlementaires du Bloc National.
En effet, Pétain est vice-président du Conseil supérieur de la Guerre en 1920. En 1922, il est inspecteur général de l'armée et il en détient, en outre, le commandement. De plus, les chefs d'état-major lui sont très favorables. Dans cette optique, Pétain cherche à épargner des vies humaines en mettant sur pied une attitude militaire basée sur la défensive et qui permettrait de contenir l'ennemi, en épuisant ses propres forces et en préservant le potentiel français. Pétain parle alors de "l'inviolabilité absolue du territoire". C'est par le biais de l'IGU (Instruction provisoire sur l'emploi tactique des Grandes Unités) de 1921 que sont posés les principes défensifs. "L'inviolabilité absolue du territoire" doit être assurée par un système de fortification au Nord, Nord-Est. Le sentiment pacifiste de l'époque permet d'imposer ce raisonnement sans trop de difficultés. Après Vauban, c'est au tour de Maginot de faire ses preuves.
Toutefois, cette armée ainsi organisée, porte en elle de terribles carences. Les classes 19 et 20 sont libérés plus tôt et la loi de 1923 ramène de 3 ans à 18 mois le service militaire qui passera à 1 an en 1928. On peut également remarquer qu'il n'y a que très peu de dialogues entre les trois corps d'armée (Armée, armée de l'air et Marine Nationale) qui sont indépendants les uns des autres. Ceci a pour conséquence d'affaiblir l'autorité au sein de l'armée et de compliquer très fortement les prises de décisions.
LES SOURCES :
Robert Frank - "Le Front populaire a-t-il perdu la guerre ?" in L'Histoire : "Les années 30 : de la crise à la guerre" - Seuil 1990.
Jean-Paul Brunet - "Histoire du Front populaire (1934-1938)" - PUF Collection "Que sais je ?" 1991.