L'année 2014 : le choc des mémoires

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Marc Laurenceau
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L'année 2014 : le choc des mémoires

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Le décret doit paraître au Journal officiel d'ici quelques jours. Il prévoit la création d'une "mission des anniversaires des deux guerres mondiales". Présidée par le ministre délégué aux anciens combattants, celle-ci aura pour objet de "concevoir, animer et coordonner les initiatives à caractère international ou national propres à rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont lutté pour la défense de la France pendant la première guerre mondiale et pour sa défense, sa libération et la victoire sur le nazisme pendant la seconde guerre mondiale". Associer 1914 et 1944 dans un même mouvement commémoratif ? Avant même la parution du décret, le projet suscite un certain nombre de réserves, le tout sur fond de débat autour des enjeux propres au centenaire de la Grande Guerre.
Les craintes viennent de plusieurs fronts. Celui des élus, d'abord. Dans les régions marquées par le souvenir des deux conflits mondiaux, plusieurs personnalités de premier plan disent ne pas comprendre le sens d'une telle association. C'est le cas de Christian Namy, sénateur radical et président du conseil général de la Meuse. Dans une lettre que Le Monde s'est procurée, adressée à Jean-Marc Ayrault le 5 octobre, deux jours après la présentation en conseil des ministres du dispositif arrêté par le gouvernement en vue du double anniversaire de 1914 et 1944, il se dit "particulièrement inquiet de ce choix pour le moins surprenant". Qualifiant d'"inadaptée" la structure envisagée, il redoute qu'elle soit "source de confusion pour les Français et pour nos partenaires étrangers", dans la mesure où "les enjeux des deux événements ne sont en aucun cas les mêmes".

"BROUILLER LE MESSAGE"

La fronde vient également des rangs socialistes, dont certains n'hésitent pas à afficher publiquement leur désaccord avec le projet du gouvernement, comme Yves Daudigny, sénateur et président du conseil général de l'Aisne. "Je ne vois pas où est le lien entre 1914 et 1944. Laissons respirer le centenaire de façon autonome", explique-t-il au Monde.

Dans le département voisin de la Marne, Adeline Hazan, maire socialiste de Reims, défend la même position. "On risque de brouiller le message. Ce qu'il faut, c'est préserver la spécificité du traitement du centenaire de 14-18, sans chercher à construire un programme global sur les deux guerres", explique le cabinet de Mme Hazan.

Aux voix de ces élus se mêlent celles d'historiens. C'est le cas de Nicolas Offenstadt. Maître de conférences à l'université Paris-I, ce spécialiste de la première guerre mondiale, auteur d'une étude sur la mémoire de celle-ci dans la France contemporaine (14-18 aujourd'hui, éd. Odile Jacob, 2010), se dit "inquiet" du choix du gouvernement, qu'il qualifie de "régression mémorielle".

Il avance pour cela quatre arguments. Le premier est pédagogique : "Mettre les deux guerres sous le même sceau administratif, c'est risquer de les mélanger ou tout au moins de faire comme s'il y avait entre elles une parfaite continuité. A une époque où on s'inquiète de la disparition du sens du temps chez les jeunes, est-ce vraiment judicieux ?" Le deuxième argument est mémoriel : "Un centenaire est un anniversaire colossal, qui écrase tous les autres. En 1989, on a célébré le bicentenaire de la Révolution française, sans chercher à l'associer à un autre événement", rappelle Nicolas Offenstadt.

Il ajoute un argument structurel lié à la "grande vivacité de la demande sociale liée à 14-18", dont témoignent notamment le succès des souvenirs de poilus, la vogue des recherches généalogiques dans les familles ou l'attrait pour le tourisme des champs de bataille. "Une telle demande sociale nécessite une structure autonome", estime l'universitaire, qui pointe un dernier problème : le risque de "brouillage pour les autres pays déjà impliqués dans la préparation du centenaire, en particulier vis-à-vis de l'Allemagne, qui ne peut se retrouver dans un tel mélange".

"UNE TRADITION QUI DÉPASSE DE GAULLE"

Face à ces réserves, le gouvernement justifie son choix. Associer les deux événements ? A ceux pour qui un tel lien renvoie à une vision datée, celle en l'occurrence du général de Gaulle qui voyait la période 1914-1944 comme une "guerre de trente ans" et avait pour cela décidé en 1964 de commémorer les deux guerres, le cabinet du ministre délégué aux anciens combattants rappelle qu'il s'agit en réalité d'une "tradition qui dépasse de Gaulle", et que "la célébration commune des deux anniversaires a été faite avant lui, dès 1954, et après lui, jusqu'en 1984".

A ceux qui soulignent l'importance exceptionnelle, pour ne pas dire exclusive, d'un événement tel qu'un centenaire, un autre argument est opposé. S'appuyant sur l'engouement suscité en 1994 et 2004 par les célébrations du débarquement des alliés en Normandie, et anticipant sur le fait que 2014 marquera la dernière commémoration décennale en présence des témoins de l'époque, le ministère ne veut pas d'un 70e anniversaire de la Libération au rabais.

"Ce sera un anniversaire très fort d'un point de vue émotionnel. En outre, il aura lieu juste après les élections municipales : pour les nouveaux maires, ce sera la première cérémonie qu'ils présideront, c'est donc important", dit un connaisseur du dossier, qui assure que "la polémique n'a pas de fondement rationnel, dans la mesure où il est évident qu'il ne s'agit pas de nier la spécificité de la guerre de 1914". Ce à quoi l'Elysée se dit également "attentif".

Si la chose est tellement "évidente", comment expliquer, dès lors, les craintes qui s'expriment aujourd'hui ? A la dimension intellectuelle de l'affaire s'ajoute en réalité une dimension politique. Dans son montage administratif, la "mission" installée aujourd'hui vient en effet en coiffer une autre, fondée au début de l'année 2012 et dont le périmètre se limitait au centenaire de la première guerre mondiale. Après l'élection présidentielle, l'avenir de celle-ci fut un temps mis en cause : la gauche la considéra d'abord comme un instrument au service de la vision "sarkozyenne" de l'histoire, et le ministère délégué aux anciens combattants voyait d'un mauvais oeil cette structure autonome qui échappait à son périmètre. L'habileté de son secrétaire général, Joseph Zimet, qui a su s'entourer d'un conseil scientifique rassemblant des personnalités de toutes tendances politiques, appartenant à toutes les écoles historiographiques spécialisées dans l'étude de la première guerre mondiale, et présidé par un historien connu pour ses convictions de gauche, Antoine Prost, a permis à la structure de survivre à l'alternance.

SIX GRANDS RENDEZ-VOUS COMMÉMORATIFS

Reste aujourd'hui à savoir dans quelle optique se préparera ce centenaire. Pour faire leurs propositions, les 34 membres du conseil scientifique disposent d'une base de travail, le rapport que Joseph Zimet a remis à Nicolas Sarkozy à l'automne 2011. Dans ce document de cent pages, six grands rendez-vous commémoratifs sont proposés pour 2014 : un rassemblement des chefs d'Etat européens à Sarajevo le 28 juin, un siècle jour pour jour après le fameux attentat qui précipita le continent dans la guerre ; un défilé du 14 Juillet réunissant des soldats des pays belligérants, avec une parade géante mise en scène par la troupe du Royal de Luxe, sorte de pendant de ce que fut le spectacle de Jean-Paul Goude le 14 juillet 1989 à l'occasion du bicentenaire ; la célébration du centenaire de l'assassinat de Jean Jaurès, le 31 juillet ; la commémoration décentralisée de la mobilisation générale et de l'entrée en guerre, le 2 août ; celle de la bataille de la Marne, en septembre ; enfin l'entrée au Panthéon de l'écrivain-combattant Maurice Genevoix (1890-1980), le 11 novembre.

A ce calendrier commémoratif s'ajoutent plusieurs projets, dont l'un, s'il est retenu, nécessitera beaucoup de doigté politique : il s'agit du dossier, jamais refermé, de la mémoire des 620 soldats condamnés à mort et fusillés pendant la Grande Guerre. Autant de questions qui devront trouver des réponses rapidement. Car pour le centenaire de cette guerre qui la priva d'1,4 million d'hommes, la France n'est guère en avance. En Grande-Bretagne, par exemple, le premier ministre, David Cameron, a annoncé le 11 octobre que l'Etat débloquerait 50 millions de livres (62 millions d'euros) pour le centenaire.

Source : http://www.lemonde.fr/politique/article ... 23448.html
Marc Laurenceau
Webmaster du site DDay-Overlord et du forum
Auteur du livre Jour J Heure par Heure

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