Journal : Pontivy Journal
Date : 08/02/2019
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"C’est un mystère vieux de 75 ans qui vient d’être résolu. Alain Laboux, gendarme à la retraite et passionné d’Histoire, vient de résoudre l’énigme du soldat américain dont on avait découvert les restes carbonisés, le 5 août 1944, dans les ruines encore fumantes de l’École supérieure de jeunes filles de Pontivy (Morbihan), aujourd’hui collège Charles-Langlais.

Il s’appelait Edward N. Hunter. Avait 39 ans. Et avait un faux air de Bourvil.
Retour en 1944. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Gestapo et les miliciens s’installent dans l’École supérieure de jeunes filles de Pontivy.
Les caves de l’établissement servent alors de geôle aux personnes arrêtées, qu’elles appartiennent à la Résistance, qu’elles soient de simples citoyens dénoncés, ou des soldats capturés…
Après le débarquement du 6 juin 1944, des troupes alliées se dirigent vers la Bretagne.
Le 3 août 1944, les Allemands quittent Pontivy pour Lorient. C’est la pagaille. Dans l’après-midi, ils mettent le feu à leurs dépôts, dont l’École supérieure de jeunes filles.

L’École supérieure de jeunes filles de Pontivy en 1944
Dans les geôles, il reste encore quelques prisonniers. Un soldat allemand (ou autrichien) aurait alors décidé, de son propre chef, de délivrer les détenus, au nombre de sept ou huit, avant que l’incendie ne ravage le bâtiment.
Un seul prisonnier, qui était enchaîné, reste coincé et meurt brûlé vif.
C’est un gamin qui traînait par là qui a découvert le cadavre, le 5 août. Il a alors averti un officier américain.
Cet officier est le capitaine Stephen Knerly, leader du groupe Jedburgh-Gerald parachuté le 18 juillet 1944 sur le marquis de Guerlogoden, à Kergrist (Morbihan). Le 4 août, Knerly rejoint une colonne de la 6e division blindée américaine qui arrive à Pontivy vers 16 h.
Dans son rapport, le capitaine Knerly déclare qu’une dog tag – plaque d’identité américaine – a été retrouvée ainsi qu’un couteau de fabrication américaine sur le cadavre calciné. Guy Blat, photographe à Pontivy, réalisera un cliché de la macabre découverte.

Le cadavre calciné d'Edward N. Hunter dans les ruines de l'Ecole supérieure de jeunes filles à Pontivy
Le corps est ensuite transféré au cimetière militaire américain de Saint-James, dans la Manche. Puis, sa veuve, Sarah, demandera le rapatriement du corps de son mari dans le cimetière protestant de Cape May où il se trouve depuis le 9 juillet 1948.
À Pontivy, depuis 75 ans, personne ne sait qui est ce soldat. Même les autorités municipales, depuis la Libération, ne parviendront pas à obtenir son identité auprès des affaires civiles américaines. Pourtant, son nom a été donné dès la découverte du cadavre grâce à sa dog tag. Mais les gens n’ont pas compris. Ils ont entendu le mot "parachutiste". Il sera alors désigné comme LE parachutiste américain. En fait, le parachutiste, c’était le capitaine Knerly.
Alain Laboux entend parler de cette histoire pour la première fois en 2013. "Le premier à m’en parler a été Guy Jouan, de Pontivy, dont le père était résistant. Guy voulait trouver le nom de ce soldat mort alors qu’il participait à la libération de la France. Mais ne savait pas comment s’y prendre…"
Commence alors pour Alain Laboux une longue enquête. Chaque jour, le gendarme retraité envoie des mails au Nara (archives américaines), à College Park, près de Washington. Mais aussi à la bibliothèque Dwight-Eisenhower, à Abilene, dans le Kansas, où se trouvent les archives de la 6e division blindée. Sans oublier Fort Nox et Saint-Louis (Missouri), les affaires mortuaires de l’armée américaine.
Alain Laboux récupère des centaines de noms de soldats américains morts début août 1944 en Bretagne. Pour les vérifier un par un, l’ancien gendarme fait alors appel à des réseaux outre-Atlantique. "Je me suis adressé aux consuls de France dans l’Ohio, dans le Kensas. J’ai aussi demandé aux Bretons de New-York et de Saint-Louis, aux Français de Washington de m’aider à aller vérifier dans les archives. J’ai également contacté le fils du capitaine Knerly que j’ai retrouvé à Cleveland, dans l’Ohio… Des volontaires ont accepté d’aller vérifier dans les archives."
Alain Laboux passe en revue tous les noms des soldats tombés en embuscade et/ou morts lors d’accrochages dans les environs de Pontivy.
Le travail est fastidieux. Une centaine de fiches. 20 noms par fiche « à vérifier un par un. » Une véritable enquête policière. "On fait avec ce qu’on a et après on élimine. C’est ce qu’on appelle fermer des portes dans le jargon des enquêteurs."
Arès de cinq ans après le début de son enquête, un nom sur une fiche IDPF (fiche individuelle d’une militaire décédé) retient d’attention d’Alain Laboux : celui d’Edward N. Hunter, 37 ans, membre de la 6e division blindée, décédé le 5 août.
"Cette date est fausse, car elle correspond à la date de découverte du corps. Mais dans le Report of burial, qui a été rédigé lors de la levée du corps à Pontivy, la dog tag est mentionnée ainsi que le couteau."
Alain Laboux contacte alors le maire de Lower. "Enchanté par cette histoire, ce dernier a fait paraître dans la presse locale deux articles mentionnant mes recherches."
C’est ainsi qu’un neveu d’Edward N. Hunter, qui habite d’ailleurs la maison de son oncle et possède son couteau, entre en relation avec Alain Laboux. Grâce à ce neveu, l’ancien gendarme a pu reconstituer l’histoire du sergent Hunter.
Edward N. Hunter résidait à Lower, dans la banlieue de Cape May, dans le New Jersey, jolie station balnéaire sur la côte Est des États-Unis. Il était né le 11 mai 1905. En 1942, il s’était engagé dans la garde nationale du Delaware. Malgré son âge et l’opposition de sa femme, il avait convaincu les autorités américaines de l’envoyer délivrer l’Europe. Il débarque à Utah Beach le 27 juillet 1944. "Il avait écrit une lettre le 2 août 44 disant à sa femme de ne pas s’inquiéter. Quand elle l’a reçue, 15 jours après, il était mort."
Hunter aurait été fait prisonnier par les Allemands entre Plémet et Loudéac (Côtes-d’Armor), le 3 août vers 21 h, et ensuite ramené sur Pontivy.
Le convoi de la 6e DB américaine manquait d’eau potable. "L’équipe chargée d’effectuer cette tâche est tombée dans une embuscade. Certains membres ont réussi à s’échapper, sauf Hunter. Blessé ou non, il a dû être interrogé au cours du trajet vers Pontivy. Dans la précipitation du départ pour la poche de Lorient, les Allemands n’ont pas pris la peine de le fouiller – il a gardé sur lui son couteau – et l’ont enchaîné dans une geôle… Et les Allemands ont mis le feu vers 23 heures."
En juillet dernier, Edward Reeves, autre neveu de Hunter, qui réside dans le Texas, est venu à Pontivy.
"Il voulait absolument voir où son oncle était décédé. Nous avons visité le collège Charles-Langlais ; je l’ai emmené dans le sous-sol où il est mort. Il était très ému. Il avait la larme à l’œil."
Avant de repartir pour les États-Unis, Edward Reeves a remis un drapeau américain à Alain Laboux. Il sera offert au collège Charles-Langlais le jour où une plaque commémorative sera dévoilée en souvenir de Popeye."