
Andrée Barbier devant la maison de son enfance, où elle a vécu le Débarquement, à Émondeville.
Après la guerre, les gens n'ont pas parlé aussitôt mais au fil du temps, un objet ou un lieu les font se remémorer. C'est avec ses yeux d'enfant d'Émondeville qu'Andrée Barbier raconte son D-Day.
Pendant la guerre, la moitié de la maison était occupée par les Allemands. Le capitaine avait la grande chambre, son ordonnance la petite à côté. Ils avaient aussi la grande salle à manger, en bas. Ils ne nous embêtaient pas, ils n'étaient pas méchants. À Noël, ils nous offraient même un petit goûter avec du raisin, le pied ! C'était très difficile de trouver de la nourriture. Et encore, c'était plus facile en campagne. Les plus courageux sortaient traire les vaches entre deux bombardements. Quelques hommes tuaient des bêtes en cachette des Allemands. Nous distribuions la viande et, avec le lait, nous faisions de la crème, du beurre. Il fallait partager. Ce que nous avions le plus ? Les grands biscuits pour la soupe, maman avait pensé à faire ces réserves-là.
Mon père était prisonnier en Allemagne pendant la guerre. Nous avions l'impression que tous les soldats étaient là-bas. Il est parti pendant 5 ans. Maman nous lisait ses courriers tous les jours. J'avais une copine juive aussi, une copine d'école. On avait classe de temps en temps, entre les bombardements. L'école se déplaçait souvent dans des grandes salles de ferme ou chez des gens. Un beau matin, maman m'a dit : tu ne reverras pas ta copine, ils sont partis mais on ne sait pas où. Il y a toujours ceux qui vendaient la mèche. Le débarquement approchait et je me rappelle des actions de résistance, de sabotage. Ils avaient fait sauter les lignes téléphoniques allemandes. Mon grand-père était maire d'Émondeville. Dans ces moments-là, le maire était tout de suite pris en otage. Les Allemands l'ont emmené quelque temps puis libéré. C'est incroyable qu'il soit revenu, je me souviendrai toujours du retour de mon grand-père.
J'avais huit ans le 6 juin 1944. Nous sommes partis le matin ou peut-être même la nuit, il faisait à peine jour.. Le ciel par contre était flamboyant, on aurait dit un feu d'artifice. Toutes ces couleurs, c'était en fait les tirs des canons qui visaient les parachutistes. Je suis partie avec maman, mon petit frère dans les bras de l'employée. Nous sommes partis au plus vite, à travers champs. Nous avons dû rebrousser chemin pour nous mettre à l'abri dans les tranchées. Elles étaient en forme de zigzag. Nous nous cachions dans le milieu, comme ça, si une grenade était jetée à l'entrée, elle ne nous atteignait pas. Nous sommes restés enveloppés dans des couvertures, assis sur de la paille pendant deux jours.
La nuit, c'était l'horreur. Les tranchées étaient recouvertes de fagots. Les soldats nous voyaient à travers, ils savaient bien qu'il y avait quelqu'un dessous mais ils nous ont laissés tranquilles. Dans la tranchée, on était sept ou huit personnes, nous et les voisins, blottis les uns contre les autres. La deuxième nuit, ma mère a dit : j'ai trop peur, je rentre à ma maison. Nous nous sommes cachés sous la grosse table de ferme. Un matelas au dessus, un matelas en dessous pour dormir. Nous sommes restés là tout le temps des bombardements.
Quelques jours après le Débarquement, un obus est tombé sur la maison. Il a détruit le côté des Allemands mais ils étaient déjà partis. Il y avait de la poussière, on ne voyait plus rien. Petit à petit, le calme est revenu mais nous sortions avec grande prudence. Et petit à petit, les gens osaient venir voir ce que nous étions devenus. »
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