
La famille Lemière a passé la nuit du 6 au 7 juin 1944 près des fonts baptismaux. | Photo : Ouest-France
Quels souvenirs gardez-vous de cette journée du 6 juin ?
Le mardi 6 juin, à 13 h 30, nous sommes en train de déjeuner. La sirène retentit. Des avions, des points noirs descendent. « C'est pour nous », dit mon père. Nous nous réfugions sous la table. Ma petite soeur, à l'étage, allait être blessée lorsque la maison, de construction assez légère heureusement, s'est écroulée sur nous. On se réfugie chez Mme Appert, la voisine, qui avait une grosse maison. À 16 h 30, deux bombes tombent au même endroit. On se sauve. Rue des Cordes, on entend des cris étouffés sous des ruines. À ce moment, trois soldats allemands surgissent, nous portent, je n'étais pas bien lourd, vers l'église abbatiale. Passant devant l'Institut Lemonnier, à l'emplacement actuel des immeubles des Saint-Pères, j'ai vu des gamins se faire souffler par une bombe. Sont-ils morts ? Je n'en sais rien.
Et ensuite, comment s'est passée la nuit ?
Nous nous sommes réfugiés dans l'église abbatiale. Mon père en était le sacristain et avait les clefs. Je crois que je n'ai pas fermé l'oeil, de 18 h 30 à 7 h du matin, environ. Nous nous sommes installés près d'un pilier. La nuit tombée, je vois les lueurs de l'incendie à travers les verrières. C'est horrible, je sens l'église vibrer, tanguer. La grande porte, si lourde, est soufflée par une bombe. On craint que les voûtes nous tombent dessus. Vers 7 h, nous nous cachons dans le cloître. Là, en compagnie d'autres réfugiés, nous sommes restés une quinzaine de jours, en face de l'escalier d'honneur de l'abbaye, puis descendus dans la cave à la suite de la chute d'une bombe, jusqu'au 9 juillet. Nous avons eu à manger, je ne sais pas comment, pendant cette période. Du 25 juin au 7 juillet, c'était plus calme et nous pouvions sortir, et chaparder ça et là quelques fruits, légumes et... bonbons, confisqués par la mère supérieure !
Étiez-vous nombreux ?
Oui, mais je ne pourrais pas vous dire combien C'est pourquoi je lance un appel aux témoins de cette période. Il y avait des réfugiés dans les deux abbayes. On oublie trop souvent ceux de l'abbaye-aux-Dames.
Source : Ouest-France, 8 février 2014.