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Date : 6 juillet 2014
70e D-Day. Libération de Caen. Le journal de Suzanne #1


Recueilli par Jack AUGER.
Suzanne Laporte, épouse Letellier, a consigné dans son journal des années de guerre à Caen, le témoignage émouvant des journées dramatiques de juin et juillet 1944.
Les familles Laporte et Letellier ont traversé toutes les épreuves rencontrées par les habitants de Caen. Les bombardements et la destruction totale de tous leurs biens, la fuite, la vie sans toit, sans vivres, sans eau, les blessures morales et physiques, le désespoir de ne jamais revoir l'un des leurs mort en déportation.A l'occasion du 70e anniversaire de la commémoration de la libération de Caen, ouest-france.fr, vous propose de suivre du 5 au 9 juillet « Le journal de Suzanne

Elle habite le centre de Caen, elle est amoureuse de Jean
Suzanne Laporte a 20 ans en juin 1944. Elle habite 5, rue Pierre Aimé Lair, au-dessus du magasin de lingerie de ses parents. Elle est amoureuse de Jean, un jeune homme de deux ans son aîné, journaliste sportif au Journal de Rouen, en poste à Caen.Dans quelques années Jean deviendra « Tintin », personnalité incontournable du sport bas-normand pour le foot, le basket et le vélo dans les pages d'Ouest-France, du Bonhomme Libre et de Liberté de Normandie. Un journaliste de grand talent qui a surmonté le handicap d'une surdité héritée des années de guerre, par une volonté de fer et une connaissance quasi universelle du sport régional.

« Lundi 5 juin, je vais voir « Véronique » au théâtre »
Suzanne a passé le bac les 2 - 3 juin 1944 et soutenu, le dimanche 4, un grand oral encore plus important. La venue de la famille Letellier chez ses parents, pour un après-midi de fiançailles, même si, vicissitudes de l'époque, la bague est restée en rade à Paris. Nous ouvrons son journal le lendemain, lundi 5 juin 1944:
« Je vais dire bonjour à Jean. Dans l'après-midi l'alerte sonne. Je me dépêche de rentrer par la rue de Geôle. Le soir, je vais au théâtre avec maman voir « Véronique ».Depuis plusieurs mois nous n'avons plus de poste de radio. Il a fallu le déposer à la mairie, décision allemande.Le théâtre, une fois par semaine, sert de distraction ; pas très élevé comme niveau, seulement des opérettes. Ce sont toujours les mêmes acteurs. Ils ont trouvé le bon filon. Travail et ravitaillement. Ils sont complices avec le public, on s'amuse parfois. Le théâtre sent un peu la poussière (...).Il sera entièrement brûlé fin juin 1944. À cette époque, il était dirigé par monsieur Tiberty, qui eût tellement peur lors des bombardements de la nuit du 6 au 7 juin, qu'il retourna rapidement dans son pays natal, Monaco, où il fut la seule victime civile pour cause de guerre.

De chaque côté de la scène, deux tableaux s'allument « ALERTE »
Le 5 juin donc, au milieu de la représentation, de chaque côté de la scène, deux tableaux s'allument « ALERTE » (il n'y aura jamais le panneau « FIN D'ALERTE »). Quelques personnes sortent, des gens de la défense passive, et le spectacle continue. C'est fini. Ils ont chanté « de-ci, de-là, va, trottine, etc, etc... ».Nous sortons du théâtre.Feu d'artifice dans le ciel, fusées éclairantes, lumières rouges, jaunes. Maman contemple, moi, je la presse de rentrer. Ça gronde vers la côte, grondements ininterrompus, comme un gros orage.Papa ne dort pas, on s'allonge sur nos lits, habillés. J'ai sur moi la robe enfilée pour aller au théâtre, une robe marine, très belle, avec un col blanc.Je repense à ce que mon père m'a dit : « Demain, 6 juin, tu descends travailler au magasin, inutile d'attendre les résultats du bac. »
(1) « Sa construction ? Milieu du XIXe environ (1838). Le théâtre de Véronique brûla avec les décors du 1er acte pour la représentation du lendemain, 6 juin (qui devait être la dernière de la saison). Le « TMC » (Théâtre - Maison de la Culture) a été reconstruit sensiblement à la même place. »