La spécificité de la guerre des haies en 1944

Bataille de Normandie

13 juillet 1944 : des sapeurs et des transmetteurs installent des câbles téléphoniques entre deux haies au nord de Saint-Lô. Photo : US National Archives

13 juillet 1944 : des sapeurs et des transmetteurs installent des câbles téléphoniques entre deux haies au nord de Saint-Lô.
Photo : US National Archives

La Normandie a été le théâtre de furieux combats plusieurs semaines encore après le 6 juin 1944. Après la bataille des plages débute ce que les historiens appellent communément aujourd’hui la « guerre des haies » en référence à la nature particulière du terrain sur lequel vont évoluer les forces belligérantes. La guerre des haies, également connue sous le nom de « bataille du bocage », a débuté dès le lendemain du Jour J et s’est achevée à la fin du mois d’août 1944, lorsque les troupes alliées ont fini de libérer la plus grande partie de l’actuelle Basse-Normandie. Pratiquement deux mois de combats meurtriers et acharnés qui ont mis les hommes à rudes épreuves. Quelles sont les spécificités du combat dans le bocage normand ? Révélatrice de nombreux enseignements tactiques et techniques pour les militaires encore à l’heure actuelle, la bataille des haies mérite une étude précise, qui mêle des domaines tels que la géographie, la tactique ou encore l’armement.

Les haies en 1944

La nature même des haies en 1944 n’est pas la même qu’aujourd’hui, sur un plan physiologique autant qu’utilitaire. Au moment du débarquement de Normandie, les haies sont en moyenne hautes de cinq mètres, une taille moins élevée qu’aujourd’hui. Particulièrement bien entretenues, elles possèdent un rôle économique prépondérant dans la région, qui a largement disparu de nos jours.

Images : Vue aérienne du bocage normand en 1944

Vue aérienne du bocage normand en 1944. Photo : US National Archives

En effet, si les haies servent à délimiter les propriétés et retiennent l’écoulement des eaux, elles servent également à garder les vaches ou encore les chevaux. Apportant des compléments de nourriture non-négligeables grâce à la présence de nombreux pommiers et poiriers dans la région (qui permettent également de produire des alcools traditionnels comme le cidre, le poiré, le pommeau ou encore le calvados) qui sont soit situés au sein même des haies soit dans les vergers qu’elles entourent, cette masse végétale bordées le plus souvent d’orties et de ronces est également une source de bois servant au chauffage.

Difficilement franchissable de part la structure tortueuse des végétaux la formant, la haie est en 1944 en phase avec l’agriculture traditionnelle normande. Très largement répandue et faisant partie du paysage, elle a influencé les tactiques des combattants pendant toute la durée de la bataille de Normandie.

Images : Vue contemporaine d'un chemin dans le bocage normand.

Vue contemporaine d’un chemin dans le bocage normand. Photo : DR

L’intérêt tactique des haies

La structure et l’agencement des haies en Normandie sont particulièrement défavorables aux assaillants.

Un chef de section doit être capable de réaliser trois points : voir, tirer, manœuvrer. Mais dans le cadre d’une offensive pendant la bataille des haies, les assaillants ne pouvaient que très rarement posséder des vues sur l’ensemble du terrain, les haies cachaient également les lignes de tir tandis que leur caractère infranchissable gênait considérablement les mouvements des sections et des groupes de combat.

Images : Grenadiers Allemands de la Hitlerjugend, 12ème SS <em>Panzerdivision</em>, près de la ville de Verson

Grenadiers allemands de la Hitlerjugend, 12e SS Panzerdivision, près de la ville de Verson. Photo : Bundesarchiv

A l’inverse, le soldat en position défensive est en situation de force s’il a bien pris en compte les caractéristiques du terrain. Les Allemands connaissent le bocage normand dans la mesure où celui-ci est occupé depuis près de quatre ans. Les manœuvres se sont multipliées en Normandie et les enseignements pour la Wehrmacht et les divisions blindées sont légions. Les soldats aussi bien que les chefs de char apprennent à tirer profit du terrain, à camoufler le mieux possible leurs positions. D’une part ils font inonder une grande partie des terres au sud et au sud-ouest de la baie des Veys, d’autre part ils évitent judicieusement de toucher aux haies qui forment une muraille naturelle. Seules les haies à proximité immédiate de points d’appui fixes sont coupées pour des raisons évidentes d’observation et de capacité d’ouverture du feu.

Images : Soldats Allemands en position avec une mitrailleuse MG 42 dans le bois de Bavent

Soldats allemands en position avec une mitrailleuse MG 42 dans le bois de Bavent. Photo : Bundesarchiv

Si, comme nous l’avons vu, un chef de section doit être capable de voir, tirer et manœuvrer, pratiquement seule la défense en est capable. Elle peut référencer, avant la bataille, les meilleurs postes d’observation, les meilleures positions de tir capables de fixer et de détruire au mieux l’ennemi et elle peut déjà jalonner d’éventuels chemins de replis pour manœuvrer le plus rapidement et le plus efficacement possible. De nombreux postes d’observations, parfois bétonnés tels les tobrouks, étaient munis avant les combats des coordonnées des lieux à proximité que l’ennemi serait susceptible d’emprunter. Il suffisait simplement de transmettre ces coordonnées à la batterie d’artillerie la plus proche pour stopper la progression ennemie, et ceci dans un délai particulièrement rapide.

Images : Le 28 juin, un tireur isolé de la "Hitlerjugend" est emmené par des soldats de la 49e D.I. Britannique
Le 28 juin, un tireur isolé de la « Hitlerjugend » est emmené par des soldats de la 49e D.I. britannique. Photo : IWM

Pour l’assaillant, en revanche, c’est tout l’inverse. Ne connaissant pas son terrain, il doit progresser d’un compartiment de terrain à l’autre, et chaque haie est une forteresse qu’il faut faire tomber. Les vues sont très limitées et les appuis directs d’infanterie sont par conséquents rendus difficiles. Si la portée de certaines armes alliées est de plusieurs centaines de mètres, le bocage réduit considérablement cette distance. Enfin, la manœuvre, de part la structure même des haies, est extrêmement difficile pour celui qui ne connait pas les détails du terrain, les possibilités d’entrée et de sortie de chaque champ ou de chaque verger. La haie demeure toutefois une protection non-négligeable contre les armes légères d’infanterie, pour l’assaillant comme pour le défenseur.

Images : Soldat américain mettant en action sa grenade à fusil.

Soldat américain mettant en action sa grenade à fusil. Photo : US National Archives

La guerre des haies

La guerre des haies commence à proprement parler aux premières heures du 6 juin 1944 : les parachutistes américains et anglo-canadiens ainsi que les troupes débarquées sont immédiatement confrontés à cette végétation. Les planeurs alliés, chargés d’hommes et de matériel (munitions, petits véhicules, armes lourdes) heurtent les haies de la même manière qu’une voiture lancée à pleine vitesse heurte un mur : les pertes sont inquiétantes, les dégâts matériels le sont également.

Image : Embarquement de parachutistes dans un avion Britannique le 5 juin 1944 au soir

Un planeur s’est écrasé. 8 soldats américains ont été tués au moment du crash. Photo : US National Archives

Dans la journée du 6 juin 1944, les batteries mobiles d’artillerie allemandes utilisent les haies pour accomplir leur mission tout en se camouflant des vues de l’aviation ennemie qui pourrait soit les détruire, soit définir leur position et guider les tirs de l’artillerie embarquée sur les bâtiments de guerre dans la baie de Seine. C’est notamment le cas de la batterie allemande installée à Brécourt près de Sainte-Marie-du-Mont (Utah Beach).

Images : Le 26 juin, des soldats Britanniques observent le centre-ville de Saint-Manvieu

Le 26 juin, des soldats britanniques observent le centre de Saint-Manvieu. Photo : IWM

La fin de la guerre des plages laisse directement la place à la guerre des haies. Ce sont les Américains qui ont été majoritairement confrontés à ce type de combat, car dans la région de Caen (où les Anglo-Canadiens ont progressé) le terrain est essentiellement composé de vastes plaines, propices aux combats de blindés. A l’ouest, en revanche, le Cotentin est très largement compartimenté en petits vergers ou champs cultivés bordés de haies (remarquons également qu’à l’époque, la culture du maïs n’a pas l’importance qu’on lui donne aujourd’hui en Normandie). C’est ce que les géographes appellent véritablement le bocage normand. Les soldats anglo-canadiens ont cependant également rencontré ce type de végétation, mais de manière moins récurrente que pour les Américains.

L’objectif des Américains étant de couper le Cotentin en deux afin d’empêcher les Allemands de ravitailler et de renforcer Cherbourg et son fameux port en eau profonde, le 5e corps du général Collins fonce littéralement à travers le bocage pour rallier la côte ouest de la presqu’île. La progression, volontairement accélérée, sera à l’origine de bien des pertes parmi les troupes américaines souvent prises à partie par des tireurs isolés ou des positions d’artillerie allemandes. Des carrefours ou des ponts sont franchis à toute vitesse et lorsque l’effet de surprise ne fonctionne pas, les Allemands mettent un coup d’arrêt aux forces débarquées en utilisant au mieux les haies.

Images : Soldats américains lors des combats autour de Saint-Lô

Soldats américains lors des combats autour de Saint-Lô. Photo : US National Archives

L’aviation a joué un rôle central pendant toute la durée de la campagne de Normandie. Non seulement elle offrait un appui des troupes au sol, mais elle permettait également de déloger les troupes ennemies de leurs caches ou encore d’assurer la préparation d’offensives par le biais de vastes bombardements, le plus souvent concentrés dans l’espace et dans le temps. L’exemple le plus frappant est l’opération Cobra, qui a vu la réalisation d’un intense bombardement visant à ouvrir des passages entre les lignes allemandes pour percer le front en direction de la Bretagne. Le 25 juillet 1944, les Américains appliquent la stratégie du carpet bombing : le tapis de bombes. 1500 bombardiers de type B-17 et B-25 larguent près de 3300 tonnes de bombes entre Montreuil et Hébécrevon au nord-ouest de Saint-Lô. Mais du fait des mauvaises conditions atmosphériques et de la proximité des forces amies, plusieurs dizaines de soldats américains sont tués lors des bombardements : on dénombre 111 morts et près de 500 blessés.

Image : Un char Sherman doté du dispositif de coupe "Rhinocéros" vacilitant le franchissement des haies

Un char Sherman doté du dispositif de coupe « Rhinocéros » facilitant le franchissement des haies. Photo : US National Archives

Les Alliés doivent faire preuve d’ingéniosité pour mener à bien leurs actions tout en étant un minimum contraint par le terrain. Pour ce faire, ils renforcent les moyens en transmissions reliant le combattant et l’appui artillerie ou encore mettent au point des équipements adaptés au bocage normand, comme par exemple le Sherman Rhinocéros, doté de lames qui lui permettent de franchir plus facilement les haies (cf. photo ci-dessus). Cette invention a permis l’emploi des chars pendant la progression à travers les différents compartiments de terrain, ce qui était difficilement réalisable sans risquer la perte prématurée de ces engins (les embuscades permettant aux Allemands d’attaquer au plus près et donc très efficacement les blindés alliés).

Conclusion

Cette étude de la guerre des haies en Normandie a montré la particularité du combat dans le bocage et l’ascendant tactique de la défense sur l’attaque. La puissance militaire alliée est venue à bout de son adversaire mais au prix de pertes élevées et d’un retard important par rapport aux prévisions. Ces combats ont montré l’importance des armes d’appui (artillerie terrestre et embarquée, aviation) qui ont su généralement dégager les troupes d’assaut de situations bien délicates.

Les Allemands ont joué la carte de l’usure par la prolongation du conflit : ne pouvant pas résister à la machine de guerre alliée, leurs actions ont retardé l’avancée des troupes américaines, britanniques ou encore canadiennes, sans l’arrêter pour autant. Toutefois, les stratèges allemands n’ont pas tiré profit de cette action retardatrice en Normandie. En effet, Hitler attendait la victoire décisive qui pouvait rejeter les Alliés à la mer, alors que ses généraux conseillaient un repli tactique derrière la Seine. Cette absence de lucidité et cette perte de temps a profité aux Alliés qui ont pu s’engouffrer en France et avancer à grands pas vers la libération totale de l’Europe.

Marc Laurenceau

 

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