Graignes-Mesnil-Angot (Manche)
Les villes de Normandie pendant les combats de 1944
Libération : 10 juillet 1944
Unités engagées :
74th Transport Carrier Squadron, 53rd Transport Carrier Wing, 9th Troop Carrier Command
113th Cavalry Group
501st Parachute Infantry Regiment, 101st Airborne Division
507th Parachute Infantry Regiment, 82nd Airborne Division
SS-Panzergrenadier Regiment 38, 17. SS Panzer-Division « Götz von Berlichingen »
Historique :
En 1944, le village de Graignes est autonome (la commune a fusionné en 2007 avec le village de Mesnil-Angot pour donner naissance à Graignes-Mesnil-Angot).
Le 6 juin 1944 à 2 heures 38, les derniers appareils devant larguer des parachutistes se présentent au-dessus du Cotentin. Très peu de ces appareils Douglas C-47 sont alors équipés du système de localisation GEE ou du système Eureka-Rebecca. Les équipages, désorientés par les tirs de canons antiaérien, dispersés par des vents de plus de 40 kilomètres par heure, obligés de respecter le silence radio et de revenir en Angleterre sans leurs parachutistes, se retrouvent dans des situations critiques et la proximité de la Manche qui entraîne la crainte de larguer les hommes dans la mer occasionne de très mauvaises décisions. Des parachutistes du 3ème bataillon du 507th Parachute Infantry Regiment (82nd Airborne Division) aux ordres du lieutenant-colonel Arthur A. Maloney ainsi que quelques éléments du 501st Parachute Infantry Regiment (101st Airborne Division) sont largués par erreur à hauteur de Graignes au lieu d’atterrir sur leur zone de saut initialement prévue, plus de 23 kilomètres au nord. A 3 heures 54, un planeur Waco appartenant au 74th Transport Carrier Squadron (53rd Transport Carrier Wing du 9th Troop Carrier Command) est lui aussi largué par erreur au-dessus de Graignes : ses pilotes, le Flight Officer Irwin J. Morales et le 2nd Lieutenant Thomas O. Ahmad, parviennent à s’extraire de la carcasse de l’appareil après l’atterrissage avec deux soldats, Norwood Lester et George A. Brown.
Totalement perdus et isolés du reste de leur régiment, ces hommes attendent le lever du jour pour se repérer et décident de rester dans la localité et de s’y barricader en attendant les renforts. A 10 heures du matin, 25 parachutistes dirigés par le capitaine Leroy D. Brummitt s’installent dans le village de Graignes où ils sont bientôt renforcés par d’autres soldats du 3ème bataillon menés par le Major Charles D. Johnston : les Américains disposent de deux mortiers de 81 mm et de quatre mitrailleuses Browning de calibre 30. Ils valorisent leurs positions, creusent des trous de combat et préparent des positions de tir comme ils l’ont appris à l’entraînement. Le clocher de l’église est utilisé pour l’observation tous azimuts, le groupe mortier s’installe à proximité du cimetière et des sonnettes sont placées le long des axes d’approche du village. Les parachutistes disposent également de mines antichars qu’ils mettent en place sur les axes.
Le Sergeant Benton J. Broussard, un acadien de Louisiane qui parle le cajun, prend aussitôt contact avec la population locale et notamment avec le maire, Alphonse Voydie, qui apporte son aide son réserve. Le Major Johnston, qui est l’officier le plus gradé dans le village, installe son poste de commandement dans l’école de garçons et redirige tous les parachutistes perdus qui continuent d’affluer : vers 17 heures 30, des éléments de la compagnie de commandement du régiment (composée notamment des 1st Lieutenant Elmer F. Farnham, 1st Lieutenant Lowell C. Maxwell et 1st Lieutenant Frank Naughton) viennent renforcer la position du village de Graignes. Ils sont accompagnés par un groupe de parachutistes appartenant à la compagnie B du 501st Parachute Infantry Regiment (101st Airborne Division) également largués au mauvais endroit et menés par le capitaine Loyal K. Bogart qui est blessé. Toute la nuit et toute la journée suivante, d’autres parachutistes isolés arrivent à Graignes et les Américains sont 182 au total (dont 12 officiers). Cette situation rappelle aux parachutistes l’histoire du Fort Alamo, une caserne défendue par 189 Texans contre 1 800 soldats et cavaliers mexicains durant la révolution texane en 1836.
Durant la journée du 7 juin 1944, un problème apparaît rapidement : n’étant pas ravitaillés, les Américains doivent obtenir des réserves de nourriture et de munitions dans les plus brefs délais. Conscient de la situation et du fait qu’il faut arriver à nourrir 182 bouches supplémentaires, le maire Alphonse Voydie rassemble les habitants dans l’église et leur demande d’apporter toute l’aide nécessaire aux soldats américains, en particulier dans le domaine du renseignement et du ravitaillement. Dans un élan extraordinaire, les villageois font tout leur possible pour aider ces militaires dont ils comprennent le caractère désespéré de leur situation. Les habitants prennent cette décision de manière unanime et en connaissance de cause : ils savent qu’ils risquent l’emprisonnement, la torture ou encore la mort en apportant leur aide inconditionnelle aux parachutistes. L’épicière du village, Germaine Boursier, met à profit ses provisions ainsi que sa maison (surnommée la « maison rouge » qui fait également café) pour préparer les rations des parachutistes. Avec l’aide de plusieurs autres femmes du village, Germain Boursier fait tout son possible pour préparer deux repas par jour pour chaque soldat. Des munitions et des armes supplémentaires, parachutées par erreur dans le secteur, sont récupérées dans les champs et les vergers des environs par les habitants et sont rapidement cachés dans les maisons au profit des Américains.
Pendant les jours suivants, les Américains font profil bas afin de ne pas éveiller les soupçons des Allemands. Ce sont uniquement les habitants de Graignes qui récupèrent les munitions et les équipements tandis que les parachutistes restent camouflés dans le village. Le Major Johnston commence à croire que les renforts parviendront à les rejoindre sans qu’ils n’aient à défendre leurs positions. Mais progressivement, les villageois s’aperçoivent que l’activité allemande dans la région augmente de jour en jour et l’heure de la confrontation semble inévitable.
Durant l’après-midi du 10 juin, une patrouille véhiculée allemande prend la direction du village et atteint la position tenue par le 1st Lieutenant George Murn de la compagnie B du 501st Parachute Infantry Regiment (PIR). Attendant le dernier moment pour engager le combat, le lieutenant Murn fait ouvrir le feu et ses hommes tuent quatre soldats Allemands. Dans la nuit du 10 au 11 juin, les bruits de déplacements de véhicules dans le secteur sont de plus en plus nombreux et plusieurs combats de faible envergure s’engagent contre des patrouilles adverses. Un document est retrouvé dans l’uniforme d’un officier allemand tué pendant la nuit, indiquant le type d’unité auquel les Américains font face : il s’agit du SS-Panzergrenadier Regiment 38 appartenant à la 17. SS Panzer-Division « Götz von Berlichingen ». Insuffisamment armés pour lutter contre ce genre d’adversaire, les parachutistes craignent de subir un assaut de chars et mettent en alerte tout leur dispositif pendant les heures suivantes.
Au lever du jour, le dimanche 11 juin, les Américains ne décèlent pas d’activité ennemie dans leur secteur. En conséquence, le Major Johnston autorise ses hommes à assister à la messe de l’abbé Albert Leblastier qui débute à 10 heures. Mais au même moment, les Allemands lancent un assaut au sud du village et certains d’entre eux pénètrent jusqu’à moins de deux cent mètres de l’église, causant la panique dans le dispositif américain et les habitants s’abritent chez eux ou dans l’église. Les parachutistes gagnent leurs positions et engagent un furieux combat. A 10 heures 20, l’assaut est terminé et les Allemands récupèrent leurs blessés et leurs morts qui sont nombreux avant de se replier vers le sud. Désormais, Johnston impose à ses hommes de rester à leur poste de combat, s’attendant à de nouvelles attaques. Vers 14 heures, les Allemands déclenchent un tir de mortier sur Graignes en préparation à un nouvel assaut : le dispositif défensif américain tient bon mais les premières pertes sévères sont enregistrées, aussi bien dans les rangs des parachutistes que parmi la population civile. Les blessés sont transportés dans l’église où ils sont soignés par le capitaine Sophian ainsi que par l’abbé Leblastier, le père Louis Lebarbanchon et plusieurs habitants (en particulier Eugenie Dujardin et Madeleine Pezeril). Suite à cette deuxième attaque, le Major Johnston décide de replier tous les postes de combats situés à l’extérieur de Graignes à l’intérieur du village. Des recomplètements en munitions sont effectués mais les quantités restantes sont inquiétantes.
De nouveaux bruits de véhicules blindés sont décelés et Johnston, s’attendant à un assaut général de leurs adversaires, demande aux habitants de fuir le village vers 19 heures. Au même moment, des canons de 88 mm ouvrent le feu sur les positions américaines et sur les habitations, touchant plusieurs bâtiments. Le clocher de l’église où se trouve le lieutenant Farnham est touché et il est tué sur le coup. Avec la destruction de ce poste d’observation, les Américains sont incapables de corriger les tirs de mortiers ; malgré tout, les servants réalisent du tir « a priori ». Un obus de 88 mm atteint ensuite le poste de commandement, tuant le Major Johnston et le lieutenant Maxwell. Le capitaine Brummitt prend alors le commandement. Dans la foulée du tir d’artillerie, les fantassins allemands passent à l’assaut : rapidement, la ligne de défense s’effondre. Les Américains ne parviennent plus à défendre un front homogène et ils se retranchent dans différents postes qui sont isolés les uns des autres. Progressivement, les parachutistes sont submergés par l’adversaire ; ils rompent le contact et se replient dans le désordre à la faveur de la nuit, laissant plusieurs blessés derrière eux. Côté allemand, les pertes enregistrées du 10 au 11 juin 1944 sont impressionnantes : elles sont estimées à environ 500 tués et 700 blessés, ce qui est difficilement vérifiable.
Une fois le village de Graignes sous leur contrôle, les SS font sortir les blessés et le capitaine Sophian de l’église et les divisent en deux groupes ; le premier, composé de 9 parachutistes, prend la direction du sud tandis que le deuxième, avec 5 parachutistes, est escorté vers un étang. Ces derniers, une fois arrivés à hauteur de l’étang, sont exécutés à la baïonnette et jetés dans l’eau. Le premier groupe marche jusqu’au hameau de Mesnil-Angot situé à quatre kilomètres plus au sud où les 9 parachutistes blessés doivent creuser une tranchée : une fois celle-ci terminée, ils sont abattus d’une balle dans la tête et leurs corps sont jetés dans la fosse. Les Allemands s’en prennent également aux villageois soupçonnés d’avoir apporté leur aide à ceux qu’ils considèrent comme les « terroristes américains ». Les deux hommes d’église, l’abbé Leblastier et le père Lebarbanchon sont froidement exécutés devant leur maison. Madeleine Pezeril et Eugenie Dujardin (âgée de 80 ans), réfugiées chez elles, sont tuées dans leur lit. Plusieurs villageois (44 au total) sont rassemblés et les Allemands leur ordonnent de dénoncer ceux qui ont aidé les parachutistes : aucun habitant ne prononce le moindre mot. En représailles, plusieurs d’entre eux sont alors conduits vers le sud pour transporter les corps des soldats allemands tués durant les combats, une opération qui se prolonge durant toute la nuit.
Le 12 juin 1944 au lever du jour, les habitations sont fouillées et pillées par les Allemands : les objets de valeur sont volés, les objets intransportables sont détruits. Pendant ce temps, les parachutistes qui ont fui le village errent à travers les marécages. Non loin de là, Odette Rigault quitte la ferme de ses parents et découvre le lieutenant Frank Naughton en chemin. Elle le conduit jusqu’à une grange où sa famille a stocké des munitions parachutées le Jour-J. Plusieurs parachutistes convergent vers cette grange durant la journée ; ils sont 21 au total. La famille Rigault accepte sans hésiter de les aider : ils les cachent et les nourrissent, espérant une percée au plus vite des troupes américaines dans le secteur. Le lieutenant Naughton quitte la ferme ce même jour et prend la direction de Carentan. En chemin, il rencontre le capitaine Brummitt à la tête d’un groupe de parachutistes. Plusieurs soldats américains font de même, isolés ou à plusieurs.
Le 13 juin, les SS mettent le feu au village ainsi qu’aux corps de l’abbé Leblastier, du père Lebarbanchon, de Madeleine Pezeril et d’Eugenie Dujardin dans l’église. Sur les 200 constructions que compte Graignes à ce moment, seules 2 habitations sont épargnées. Les 21 parachutistes cachés dans la grange de la ferme des Rigault quittent les lieux le 15 juin à 10 heures accompagnés par le jeune Joseph Folliott, âgé de 15 ans, qui les transporte à bord d’une embarcation sur des canaux en direction de Carentan. Ils atteignent sains et saufs leur destination : les paras lui tendent des billets de la monnaie d’invasion, mais il n’accepte rien. Sur les 32 soldats américains tués à Graignes, 17 ont été exécutés par les SS.
Graignes n’est définitivement libéré que le 10 juillet 1944 par les Américains du 113th Cavalry Group et du 60th Infantry Regiment (9th Infantry Division), après le repli des Allemands.
En 1984, quarante ans après ces terribles journées de combat, Naughton et « Pip » Reed, tous deux lieutenants au moment du débarquement, sont de retour à Graignes et ils y retrouvent Marthe et Odette Rigault : ce n’est qu’à ce moment que les deux sœurs apprennent le sort des soldats qu’elles ont aidé et abrité temporairement dans la grange de la ferme familiale. De 1984 à 1986, Naughton et Reed ont effectué des demandes pour que plusieurs habitants soient récompensés par une décoration officielle et le 6 juillet 1986, dans les ruines de l’église de Graignes, onze villageois (dont six à titre posthume) sont décorés de la Distinguished Civilian Service pour leur aide apportée aux parachutistes américains.
Cartes de Graignes-Mesnil-Angot :
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