Bataille de Normandie
Opération P.L.U.T.O.
Aux origines de PLUTO
Le programme P.L.U.T.O. (pour Pipe-Line Underwater Transport of Oil) est imaginé en 1942 par des ingénieurs britanniques, en liaison avec des militaires alliés, afin de subvenir aux besoins en carburant des forces armées dans le cadre d’une opération amphibie. L’objectif est de mettre sur pied un pipeline sous-marin à travers la Manche entre la Grande-Bretagne et la Normandie après le débarquement de Normandie. Les ravitaillements effectués par les navires-pétroliers sont en effets soumis à l’évolution de la météorologie ainsi qu’aux éventuelles attaques de sous-marins allemands.
Composition du câble HAIS équipant certains des pipelines de PLUTO.
Arthur Hartley, ingénieur en chef de la compagnie pétrolière Iranian Oil, est le responsable du projet sous le contrôle du Petroleum Wellfare Department. A terme et en fonction des résultats obtenus, ce pipeline doit également être utilisé dans le Pacifique. Il imagine alors d’adapter un câble téléphonique sous-marin déjà existant pour le transformer en pipeline. Au début de l’année 1942, deux types de tuyaux sont élaborés : le modèle HAIS (mot obtenu à partir des initiales de son inventeur) puis le modèle HAMEL (mot composé par la première syllabe des noms des inventeurs) de 75 millimètres de diamètre chacun, qui sont testés au mois de mai dans la rivière Medway en Grande-Bretagne, puis en juin dans l’océan Atlantique au large de l’Ecosse, dans le Firth of Clyde. La production du tuyau s’effectue dans la foulée des essais par l’entreprise Siemens Brothers, aussi bien en Grande-Bretagne qu’aux Etats-Unis.
Le tambour « conundrum » autour duquel est enroulé le pipeline. Photo : IWM
Le pipeline est mis en place par bateau : après avoir été enroulé autour d’un immense tambour métallique, appelé « conundrum » (énigme en anglais) et abrégé « conus ». Le tuyau est ensuite déroulé à la surface et se pose au fond de la mer à mesure que le navire progresse. Des bateaux de commerce sont réquisitionnés pour être transformés afin de recevoir les kilomètres de pipeline à déployer et un premier essai en mer est effectué par le bâtiment de guerre HMS Holdfast (spécialement modifié pour l’occasion) du 26 au 30 décembre 1942, afin de relier Swansea à Ilfracombe sur une distance de cinquante kilomètres : c’est une réussite totale.
Les ingénieurs décident toutefois d’augmenter la taille du tuyau et le font passer à 76 mm. Des usines sont réquisitionnées pour produire à plein régime ces pipelines : seize kilomètres de tuyaux sont alors fabriqués quotidiennement et les Britanniques se dotent de 550 kilomètres de stock.
Enroulement du pipeline autour du « conundrum ». Photo : IWM
D’autres navires sont alors modifiés afin d’être équipés du pipeline. C’est notamment le cas de l’HMS Sancroft et de l’HMS Latimer, capables de transporter 160 km de tuyau. Une véritable flottille est spécialement dédiée à la mise en place du PLUTO, forte de cent officiers et environ mille matelots, techniciens et ouvriers. Ces hommes, basés principalement à Southampton, sont commandés par le capitaine de vaisseau J. F. Hutchings.
Schéma de conditionnement du pipeline autour du « conundrum ».
Opération Bambi
En 1943, l’opération Bambi est lancée : il s’agit pour les Alliés de se doter de tout le matériel nécessaire afin de relier l’île de Wight et le port de Cherbourg après le débarquement en Normandie. Les oléoducs et les pompes chargées de propulser le carburant à travers les pipelines sont alors installés dans les ruines du Royal Hotel de Shanklin ainsi que dans des bâtiments civils en bord de mer, volontairement neutres et maquillés en magasins afin de ne pas attirer l’attention.
Déroulement du pipeline en mer lors d’essais. Photo : IWM
Une répétition générale de l’installation du PLUTO vers la Normandie est réalisée afin de relier les localités de Swansea et Watermouth, distantes de 83 km.
Déroulement du pipeline en mer lors d’essais. Photo : IWM
L’installation du PLUTO vers la Normandie
L’opération PLUTO en Normandie se décline en trois phases : dans un premier temps, des pétroliers effectuent les aller-retour entre la Grande-Bretagne et les côtes normandes, ravitaillant les forces alliées grâce à des oléoducs disposés entre la côte et le large. Dans un deuxième temps, des pipelines sous-marins sont installés au fond de la Manche et relient directement la Grande-Bretagne et la Normandie. Enfin, dans un troisième temps, un nouveau réseau d’oléoducs (opération Bambi) est mis en place entre l’île de Wight et Querqueville, à l’ouest de Cherbourg, évitant ainsi aux pétroliers de multiplier les traversées. Le dispositif de Cherbourg est également connu comme étant le « Major System« .
Déroulement du tuyau à bord de l’HMS Latimer. Photo : IWM
Les communes désignées pour accueillir les dépôts de carburant de la deuxième phase de l’opération PLUTO sont Port-en-Bessin et Saint-Honorine-des-Pertes, situées au centre géographique des plages de débarquement alliées. Les travaux d’installation de ce « Minor system » y débutent dès le 9 juin 1944 et après plusieurs semaines de travaux, le ravitaillement par oléoduc peut s’effectuer.
Du 12 au 21 août 1944, plus de deux mois après le Jour J, le pipeline entre Shanklin Chine (sur l’île de Wight) et Querqueville est installé, reliant la Grande-Bretagne à la Normandie sur une distance de 130 km. Le réseau de pipelines se développe ensuite sur terre, suivant l’évolution de la ligne de front et alimentant des dépôts de carburant comme La-Haye-du-Puits, Lessay, Saint-Lô ou encore Vire.
L’approvisionnement des pipelines en Angleterre, protégé des vues et des attaques aériennes. Photo : IWM
En Normandie, le service des Essences allié peut ainsi se servir directement à la pompe et des milliers de jerricans sont alignés afin de recevoir le précieux carburant. Une fois chargés sur des camions, les jerricans sont distribués aux unités opérationnelles et le circuit de ravitaillement se poursuit ainsi.
Par la suite, pas moins de dix-sept pipelines sont mis en place (onze modèles HAIS et six modèles HAMEL) entre la Grande-Bretagne et le Pas-de-Calais (de Dungeness à Ambleteuse).
Pipelines de modèle HAMEL installés en France. Photo : US National Archives
En janvier 1945, ce sont 305 tonnes de carburant qui franchissent quotidiennement la Manche, puis 3048 tonnes en mars et 4000 tonnes en mai. Au total, entre août 1944 et mai 1945, 781 000 mètres cubes de carburant ont effectué le trajet sous-marin Grande-Bretagne-France.
En septembre 1946, les opérations de désengagement des pipelines débutent, à l’aide des bâtiments HMS Latimer (rebaptisé Empire Ridley après la fin de la Seconde Guerre mondiale), HMS Holdfast (rebaptisé Empire Taw), Empire Tigness et Redeemer. La vente des câbles récupérés a fait plus de bénéfices que prévu et a très largement couvert les frais de désengagement.
Un « conus » laissé à l’abandon sur une plage de Grande-Bretagne après la guerre. Photo : IWM
Aujourd’hui, des vestiges du pipeline PLUTO subsistent encore, notamment des dizaines des mètres d’éléments de l’opération Bambi au fond de la Manche, ainsi que sur l’île de Wight. En effet, 10% de l’ensemble des oléoducs n’ont pas été récupérés.