Le modèle de guerre américain et le débarquement de Normandie (2)

Les dossiers du débarquement de Normandie

Deuxième partie : le modèle de guerre américain pendant le débarquement de Normandie

Les réussites du modèle de guerre américain le 6 juin 1944 en Normandie.

1. Les moyens matériels du modèle de guerre américain : une clé de la réussite.

La multiplicité des moyens.

Lors de l’opération Torch, les Américains ont fait face à un cruel manque dans le domaine des engins spécialisés pour les opérations amphibies. Précisons qu’au début de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés ne possèdent aucune péniche de transport de chars ou de personnels avec leur équipement pour un débarquement à grande échelle. Les ingénieurs britanniques et américains mettent alors au point une série d’engins divers, accomplissant aussi bien des débarquements de chars, de véhicules légers, de matériels et d’équipements, de sections et de compagnies d’infanterie, certains dotés en armements.

Les innovations et prouesses techniques des ingénieurs alliés ne se limitent pas simplement aux transports maritimes. De nouveaux types de chars ainsi que de nouveaux véhicules ont vu le jour en vue notamment du débarquement en Normandie. Ces unités doivent faciliter le franchissement des obstacles sur les plages et à proximité immédiate du rivage : bulldozers pour dégager des axes, chars « fléaux » pour ouvrir un passage dans un champ de mines, chars pour combler les fossés, poser des ponts ou encore empêcher l’ensablement des roues ou des chenilles des véhicules, chars lance-flammes ou chars mortiers pour appuyer l’action de l’infanterie… une quantité impressionnante d’unités connues généralement sous le nom de « funnies ». Les Alliés doivent un grand nombre de ces créations à l’ingénieur anglais Percy Hobart.

Les Alliés sont à l’origine de nombreuses autres créations innovantes, comme les mannequins parachutistes qui ont été largement utilisés par les Américains pendant la phase initiale de l’assaut en France, afin d’induire les Allemands en erreurs sur leurs réelles intentions.

La quantité des moyens déployés.

Si la qualité des moyens est importante pour les Américains, ils privilégient encore plus la quantité, contrairement aux Allemands qui se sont ruinés à chercher continuellement l’arme ultime qui serait capable de mettre un terme au conflit. Se sachant en supériorité numérique nette en mer et dans les airs, les Américains n’en ont pas limité pour autant le nombre d’hommes et de matériels déployés. Au soir du 6 juin 1944, 156 000 soldats alliés ont débarqué. 195 701 personnels (marins et combattants) au total ont pris part à l’opération amphibie (nom de code Neptune). 11 590 appareils (chasseurs, bombardiers, avions de transport et de reconnaissance, planeurs) ont volé au-dessus de la Normandie pendant la journée du mardi 6 juin. 6939 navires ont traversé la Manche. Ces chiffres impressionnants illustrent à la fois la stratégie de la concentration des forces comme évoqué plus haut et la volonté à toute épreuve de remporter la victoire pour les Américains.

De profondes innovations technologiques

A la quantité et la qualité s’ajoute la nouveauté. En effet, l’innovation technologique étant l’une des clés de la réussite à l’heure de la guerre industrielle, les Alliés accordent une place particulière aux nouvelles créations matérielles visant à mieux s’adapter au terrain et faciliter la progression à travers le territoire ennemi. Dans le cadre de la préparation à ce qu’ils appellent une invasion, les généraux alliés font un état des lieux des problèmes posés par les plans d’Overlord. L’un des problèmes majeurs est l’absence de ports en eau profonde au sein des plages de débarquement : seuls Le Havre et Cherbourg, éloignés de la future tête de pont, sont dotés d’installations portuaires susceptibles de recevoir à toute heure d’immenses bateaux de transport. Afin d’alimenter massivement en vivres, équipements et carburants les troupes alliées, une solution est trouvée : fabriquer de toutes pièces deux ports artificiels, les remorquer à travers la Manche et les installer immédiatement après la sécurisation de la tête de pont. Ils seront installés devant les localités d’Arromanches (pour les Anglo-canadiens) et de Saint-Laurent-sur-Mer.

Autre problème : l’appui feu. Certes, les troupes d’assaut bénéficient d’un appui massif de la part des forces aériennes et maritimes, mais leur efficacité et surtout leur précision reste aléatoire. Les obstacles du mur de l’Atlantique sont nombreux et les Alliés cherchent à développer des véhicules blindés capables d’appuyer l’infanterie au plus près (d’autant que l’impact psychologique de telles unités pour l’adversaire est fort). Un général britannique, Percy Hobart, a imaginé quantité de blindés susceptibles de remplir différentes missions : dégager une voie dans un champ de mines, franchir des fossés, réduire au silence des positions retranchées, poser des ponts… Des chars amphibies sont mêmes imaginés, il s’agit de blindés capables de naviguer en mer par temps calme grâce à une toile gonflable et une hélice de propulsion. Ces différents véhicules sont surnommés les « funnies » par les soldats.

Pour alimenter ces unités en carburant, il faut trouver une solution supplémentaire à celle des ports artificiels. Les Alliés imaginent alors de dérouler un pipe-line sous-marin posé au fond de la Manche et reliant directement l’Angleterre à la Normandie : c’est le programme nommé PLUTO (initiales de Pipe-Line Under The Ocean).

2. Un travail préparatoire titanesque.

Le choix de la Normandie et l’effet de surprise.

L’un des enseignements du raid sur Dieppe en août 1942 est l’importance de l’effet de surprise. Les Allemands sont pré-positionnés à des endroits clés : ils protègent les grands ports, les grandes villes côtières et sont en alerte dans les régions du nord de la France dont les plages sont à proximité immédiate de l’Angleterre. Les Alliés sont conscients qu’un débarquement dans le Pas-de-Calais serait une erreur stratégique, ils s’intéressent alors aux autres possibilités s’offrant à eux ; les côtes bretonnes sont trop éloignées et parsemés de rochers dangereux pour les navires, le littoral hollandais est inondé par des nombreux marécages qui empêchent de renforcer de manière conséquente une tête de pont, d’autant plus que la mer au large de la Hollande est régulièrement agitée. La Normandie apparaît comme idéale pour les Alliés, d’autant plus que les Allemands ne les y attendent pas.
Cette réflexion participe de l’élaboration d’un effet de surprise pour renforcer au maximum les chances de succès de l’opération Overlord.

La course aux renseignements et l’intoxication des forces allemandes (opération Fortitude).

Dans le cadre des travaux de préparation de l’attaque en Normandie, les Alliés accordent une place importance à la recherche de renseignements : ils veulent connaître un maximum d’éléments sur leurs adversaires avant de les engager. Pour ce faire, tous les moyens sont bons : ils font appel aux réseaux de résistance en Normandie et en Bretagne qui communiquent à Londres les informations sur les troupes allemandes présentes sur place, leurs positions, leurs effectifs, leur moral. Les Alliés utilisent également massivement l’armée aérienne pour le renseignement : nombre d’appareils sont équipés de matériels photographiques de pointe qui filment les positions allemandes le long des côtes normandes. Ces photographies sont étudiées ensuite en Angleterre et servent à l’élaboration des opérations, les objectifs sont marqués et mémorisés par les commandants des différentes unités. Certaines fortifications sont parfois reconstituées à l’échelle 1/1 en Angleterre avec les moyens du bord et les soldats alliés s’en servent de base pour leurs entraînements.
D’autre part, les Alliés organisent une vaste opération d’intoxication des services de renseignement adverses. En effet, ils mettent au point une série de mesures réunies sous l’appellation « Fortitude » visant essentiellement à faire croire aux Allemands que le débarquement aura bel et bien lieu dans le Pas-de-Calais. Pour ce faire, ils créent une armée factice faite de canons, chars et camions gonflables en caoutchouc qu’ils placent tout le long du sud-est de l’Angleterre faisant face au nord de la France, en prenant bien soin de laisser les avions-espions allemands survoler cette région anglaise.
Au moment du débarquement, ils prévoient également de larguer dans le ciel, toujours au large du Pas-de-Calais, des petites lamelles métalliques qui sont sensées tromper les opérateurs allemands chargés de la surveillance. En effet, ces lamelles de quelques centimètres de long apparaissent comme de véritables escadrilles sur les radars adverses.

Ces mesures d’intoxication ont été particulièrement efficaces dans la mesure où les Allemands ont cru, plusieurs semaines encore après le 6 juin 1944, à un débarquement allié de plus grande envergure dans le Pas-de-Calais, laissant près de 150 000 hommes stationnés dans cette région.

Un entraînement intensif depuis 1942.

L’Angleterre doit servir de point de départ à l’opération Overlord. Ainsi, les Anglais accueillent sur leur territoire des dizaines de camps militaires où sont hébergés plusieurs milliers d’hommes servant du côté allié : cette opération est surnommée « Round-up » (rassemblement) . Ces soldats sont non seulement hébergés mais également préparés au combat qui les attend : exercices de débarquement, de franchissements, d’aguerrissement, de jour comme de nuit et par tous les temps. Ces préparations, attachent une importance égale à la formation physique et à la préparation mentale, de manière à ce que les militaires alliés entretiennent une volonté farouche de combattre et de vaincre leurs adversaires.

Dans un premier temps, dans le cadre de la préparation de l’invasion, les armées alliées doivent s’équiper, se former, s’entraîner, pour mener à bien des missions diverses et précises. Les troupes américaines et canadiennes profitent des installations militaires sur leur sol, mais il faut déjà penser à l’acheminement du matériel et des hommes en Angleterre, base de lancement pour l’attaque en Normandie.
A partir de la fin 1942, les premiers navires de transports quittent le continent nord-américain et gagnent la Grande-Bretagne. Une lutte intense anti-sous-marine commence dans l’Atlantique entre les navires de surface alliés et les sous-marins U-Boot allemands.

Mais à partir de 1943, la bataille semble gagnée par les Anglos-américains qui coulent de plus en plus de bâtiments appartenant aux forces de l’Axe, alors que les officiers mariniers allemands détruisent de moins en moins de convois alliés.
Une fois débarqués en Angleterre, les soldats alliés sont installés à divers endroits du pays, tandis que le matériel (char, véhicules de transport, canons…) est stocké dans des bases tenues soigneusement secrètes.
Dans le cadre des préparatifs du Jour-J, le programme économique du prêts-bails bat son plein, et les Américains livrent des centaines de véhicules, des bâtiments de guerre, et de l’armement individuel aux Britanniques, en l’échange de l’utilisation de terres occupées jusqu’alors par les troupes du Commonwealth. Le parc militaire britannique s’agrandit, tandis que les industries de l’armement situées aux Etats-Unis fonctionnent à plein régime.

Le 28 avril 1944, des vedettes rapides allemandes ont attaqué un convoi de navires de transport lors d’un entraînement de débarquement grandeur nature réalisé par les Alliés dans la région de Slapton Sands (opération Tiger) en Angleterre, avant de se replier et de disparaître dans la brume. 749 soldats américains ont trouvé la mort et 600 ont été portés disparus lors de cette triste affaire, longtemps gardée secrète par les Alliés qui n’ont pas voulu alarmer leur opinion publique ni porter préjudice à la préparation d’Overlord.

3. Les aboutissements de multiples enseignements.

Concentration des forces.

Les Alliés savent que c’est en concentrant leurs forces qu’ils sont le plus susceptibles de remporter la victoire, selon le principe stratégique énoncé par le maréchal Foch. Ils sont conscient que plus leurs forces sont éloignées les unes des autres, plus les saillants sont susceptibles d’être nombreux, ce qui représente autant de failles où l’adversaire peut s’engouffrer. De plus, concentrer ses forces permet de réduire les intervalles devant être parcourus par la logistique.
Ils décident initialement la répartition des plages de débarquement selon l’ordre suivant : une plage pour les Américains (Omaha), deux pour les Britanniques (Gold et Sword) et une enfin pour les Canadiens (Juno). Avec la nécessité stratégique de mettre la main le plus rapidement possible sur un port en eau profonde, à savoir Cherbourg, le général Montgomery conseille la création d’un nouveau secteur de débarquement directement dans le Cotentin. Les Alliés choisissent la côte située à proximité du village de Sainte-Marie-du-Mont, au nord-ouest de l’embouchure de la Vire : il s’agit d’Utah, deuxième secteur américain.
Le front prévu s’étale sur une distance de moins de 150 kilomètres, les forces d’assaut sont appuyées par la plus importante flotte de guerre jamais réunie et un nombre impressionnant d’avions.

Supériorité aérienne.

C’est en 1941 que l’armée de l’air allemande, la Luftwaffe, s’est cassée les dents contre le courage des pilotes britanniques ainsi que des différents volontaires ayant rejoint la Royal Air Force. Ses forces ont été considérablement réduites à la suite des bombardements au-dessus de l’Angleterre, et seuls 150 appareils de chasse couvrent un territoire s’étalant de la Hollande jusqu’à la Bretagne.
Le 6 juin 1944, les Alliés affichent une supériorité aérienne indéniable. 11 590 appareils sont prévus pour réaliser l’intégralité des opérations nécessaires, c’est-à-dire : bombardements massifs ou ponctuels, chasse aérienne, transport de parachutistes, appui aux troupes au sol, transport par planeurs. Au total, pendant les 24 heures de la journée du Jour J, 10 750 sorties sont enregistrés sur l’intégralité des bases aériennes alliés.
Afin de consolider cette supériorité et rendre encore plus efficace son action par l’agrandissement de son rayon d’action, des ingénieurs militaires sont chargés d’installer des aérodromes directement après le débarquement. Les blessés peuvent ainsi être évacués, les appareils en détresse n’ont plus à retraverser la Manche pour se poser et la chasse peut intervenir plus loin et plus rapidement.

 

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Auteur : Marc Laurenceau – Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur – Contact Webmaster