Le modèle de guerre américain et le débarquement de Normandie (3)

Les dossiers du débarquement de Normandie

Troisième partie : la mise à l’épreuve du modèle américain face au Mur de l’Atlantique

A. L’exploitation des enseignements tirés des retours d’expériencesLe déroulement du Jour J.

Les parachutages. Le but des parachutistes est de désorganiser les troupes allemandes, d’empêcher ou de rendre difficile l’arrivée de renforts et sécuriser des axes permettant d’élargir les têtes de pont réalisées par les troupes qui débarquent quelques heures plus tard. Les premiers parachutistes sont des éclaireurs qui balisent les zones de saut peu avant minuit. Dans les premières heures du 6 juin, les vagues d’avions largeurs et de planeurs chargés d’hommes et de matériel se succèdent au-dessus de la Normandie, à l’est (6e division aéroportée britannique) et à l’ouest (82e et 101e divisions aéroportées américaines) des plages de débarquement.

Les bombardements. D’abord l’aviation (à partir d’une heure du matin) puis la marine de guerre (à partir de cinq heures du matin) ont la mission de détruire et de désorganiser par une série de bombardements massifs les installations allemandes sur la côte et à l’intérieur du territoire normand. Ces opérations de destruction doivent s’échelonner toute la nuit et s’arrêter au moment exact où les troupes débarquées posent le pied à l’aube sur les plages.

Le débarquement. A 6h30 pour les Américains (sur les plages nom de code Utah et Omaha) puis à 7h30 pour les Anglo-canadiens (sur Gold, Juno et Sword), l’assaut amphibie commence, le décalage entre les deux horaires s’expliquant par l’adaptation aux marées. Rapides et efficaces sur la quasi-totalité des secteurs engagés (qui s’étirent sur une distance de près de 100 kilomètres), les Alliés rencontrent toutefois de sérieuses difficultés en deux points : à Omaha où piétinent les 1ère et 29e divisions d’infanterie américaines face à la résistance acharnée de la 352e division d’infanterie allemande, et à Juno, secteur dédié aux Canadiens, où la houle coule nombre de péniches et chalands de débarquement.

Les jonctions. Une fois les débarquements réalisés et les défenses côtières sous contrôle, les parachutistes doivent réaliser la jonction avec les troupes débarquées, et les troupes débarquées doivent réaliser leurs jonctions entre elles. Ils participent ensuite à la consolidation de la tête de pont.

B. Un succès limité

Une situation précaire au soir du 6 juin 1944.

Il y a une nette différence entre les objectifs initialement prévus et la situation au soir du Jour J. En effet, à titre d’exemple, la ville de Caen devait être sous contrôle des soldats alliés le 6 juin 1944. Mais, en raison d’une progression inégale entre l’infanterie et la cavalerie, les Alliés doivent s’arrêter à quelques kilomètres au nord de la ville. Le contrôle total de Caen ne se fera que le 21 juillet, soit 45 jours après le D-Day.
A Omaha, où le débarquement a manqué de peu d’échouer, les Américains contrôlent à minuit une tête de pont profonde d’un kilomètre seulement à l’intérieur des terres. Aucune jonction n’a été réalisée avec les soldats débarqués à Utah et à Gold. Cette situation est particulièrement alarmante pour les Alliés qui possèdent plusieurs failles au sein de leur dispositif.
Si les objectifs initialement prévus sont encore loin d’être atteints, la situation alliée le 6 juin à minuit n’est pas aussi précaire que les prévisions les plus pessimistes. Tout dépend encore de la rapidité de l’arrivée des renforts et de la réaction allemande.

Apparition des premières lacunes dans la préparation et la conduite des opérations.

Sur un plan matériel, les moyens sont encore largement perfectibles. Voici quelques exemples pour illustrer ce propos.
Les bombardements par les appareils alliés ont atteint inégalement leurs cibles : les défenses côtières d’Omaha Beach ont été presque entièrement épargnées par les bombardiers américains comme britanniques, les bombes étant tombées quelques kilomètres plus au sud. La masse nuageuse à induit en erreur les pilotes, qui ont manqué leurs cibles pour quelques secondes de retard seulement.
Ceci a eu des conséquences désastreuses pour les vagues d’assaut américaines sur cette plage, les Allemands étant parfaitement capables de défendre leurs positions.
Les parachutistes alliés ont connu des problèmes identiques dans la mesure où un grand nombre de parachutages ont échoué. Certains paras américains ont même été largués à quarante kilomètres de leurs objectifs : les parachutages étaient une science encore moins exacte à l’époque qu’ils ne le sont aujourd’hui.
Les chars spéciaux, les fameux « funnies » du général Hobart, n’ont pas remporté un vif succès auprès des stratèges américains qui n’ont adopté que le char amphibie (duplex drive), tandis que les Britanniques ont adopté l’intégralité des modèles. Environ cinquante « chars flottants » ont été mis à l’eau au large d’Omaha mais en raison de la houle, beaucoup d’entre eux ont coulé à pic, parfois avec leur équipage. Incapables de naviguer par mauvais temps, ils ont été dans l’impossibilité d’accomplir leur mission, à savoir appuyer l’infanterie sur la plage. Certains navires de transport ont préféré s’échouer sur la côte pour débarquer leurs blindés plutôt que de les regarder couler. De plus, le manque d’autres engins spéciaux a aggravé la situation : les soldats américains auraient accueilli avec un grand soulagement d’éventuels chars démineurs, poseurs de pont ou lance-flammes.

Sur un plan humain, les efforts dans le domaine du renseignement n’ont pas pu relever toutes les tâches d’ombre du terrain ennemi. Bien des informations qui auraient été vitales pour les Alliés ne leurs sont pas parvenus. A titre d’exemple à nouveau, les Allemands avaient fait venir en mai 1944 au nord de Bayeux la 352e division d’infanterie : de retour du front russe, c’était une unité aguerrie et qui avait fait ses preuves à l’est. La résistance française a bien envoyé plusieurs messages pour en avertir Londres, mais ceux-ci ne sont jamais parvenus. Des moyens militaires supérieurs auraient été envoyés si les Alliés avaient eu conscience de ce changement de dernière minute, changement qui s’est avéré être un facteur prépondérant expliquant les difficultés rencontrées par les Américains à Omaha Beach.

Conclusion.

Les points clés du modèle de guerre américain reposent sur quatre effets majeurs.
– Une préparation minutieuse, bénéficiant d’un maximum d’enseignements tirés des expériences antérieures. Même si cette préparation, qui consistait en une anticipation des moyens, des besoins et des réactions de l’adversaire, a été particulièrement poussée, le facteur du hasard de la guerre n’a pu être entièrement contrôlé. Toutefois, ses effets ont été limités.
– Concentration, quantité et qualité des moyens afin de réduire efficacement et rapidement la capacité opérationnelle de l’adversaire. Si bien des équipements étaient novateurs, il faut remarquer que les Américains ont souvent privilégié la quantité à la qualité.
– L’audace : il en fallait effectivement pour réaliser une telle opération face à tant de paramètres hasardeux (et ce malgré l’intensité de la préparation en amont). Cela participe de l’effet de surprise : ils frappent là où on ne les attend pas.
– La volonté de vaincre. Les rapports prévisionnels alliés prévoyaient un taux particulièrement élevé de pertes lors de l’assaut de la « forteresse Europe » et les chances de réussites étaient assez maigres, mais ils se sont malgré tout lancés dans la bataille. Si les premiers rapports se sont révélés terrifiants (notamment chez les parachutistes et les soldats débarqués à Omaha Beach), la volonté des hommes et de leurs chefs sur le terrain a conduit à la victoire.

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Auteur : Marc Laurenceau – Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur – Contact Webmaster