Témoignage de Leonard Chandler

Royal Naval Reserve

Suite du témoignage de Leonard Chandler :

« Une nuit nous avons eu une « alerte rouge », car certains navires redoutaient une attaque menée par des hommes-grenouilles. Pendant l’alerte, alors que le HMS HEMERALD était laissé à la dérive, nous avons entendu une détonation extrêmement puissante : l’ORP DRAGON, piloté par un équipage Polonais, venait de toucher une mine. Moins d’une heure plus tard, un objet non identifié fut repéré à deux cent mètres de notre bord. Il fut illuminé par un projecteur (je me souviens qu’il y avait beaucoup de brouillard, ce qui limitait le champ de vision) et depuis notre position sur la plateforme, nous étions persuadés qu’il s’agissait de deux hommes assis sur une tôle en plastique. Un fusilier-marin reçut l’ordre d’ouvrir le feu et de les abattre. Il s’agissait en fait de deux survivants de l’ORP DRAGON qui étaient accrochés à un réservoir d’huile de 205 litres. Le lendemain matin, je suis allé rejoindre le pont où ils étaient. L’un d’entre eux était mort, et son uniforme avait été recouvert de l’inscription suivante : « Ils n’étaient pas de notre camp ». Mais bien sûr que si.

Dans le cimetière près de Ryes est enterré un Polonais (j’ai visité ce cimetière le 6 juin 1994) et je me suis demandé s’il n’était pas celui qui avait été tragiquement tué. Encore une fois, « Friendly Fire« . L’ORP DRAGON a été par la suite remorqué et a été coulé au large d’Arromanches, pour servir de brise-lame dans le cadre de la construction du port-artificiel Mulberry. Un jour, il y eut un raid au-dessus de Caen et nous avons observé les 500 bombardiers voler au-dessus de nous. Nous avons vu des roquettes américaines être tirées à Omaha Beach, mais nous n’avons pas su de quoi il s’agissait. Parfois des avions étaient pris en chasse par les projecteurs et toutes les batteries antiaériennes ouvraient le feu, mais ils ne s’aventuraient pas au-dessus de la mer et survolaient uniquement la Normandie. Et il y avait toujours ce brouillard qui ne partait jamais.

Nous sommes restés au large d’Arromanches pendant trois semaines. La portée maximale de nos canons était de 30 kilomètres et au bout de trois semaines, les forces terrestres avaient dépassé cette limite. Nous sommes alors retournés à Portsmouth pour nous y ravitailler pendant quelques jours, puis nous avons retrouvé notre position à Arromanches où nous sommes à nouveau restés pendant trois semaines.

A Portsmouth j’ai entendu mon premier « vieux tacot » (surnom donné par les Britanniques aux fusées allemandes V-1 qui s’écrasaient en Angleterre – en Anglais : « Doodlebug« ) qui faisaient autant de bruit que s’il avait atterri à quelques rues de distance. Avant cet épisode, on en voyait parfois au large d’Arromanches et du Havre, mais on ne savait pas ce que c’était.

Juste après le VE-Day (Victory in Europe Day : le jour de la victoire en Europe : 8 mai 1945), j’ai rencontré un prisonnier de guerre qui était un officier marinier allemand et qui était de garde le Jour J à la base navale du Havre. Il m’a dit qu’il ne s’était pas rendu compte qu’une invasion était en court jusqu’à ce que le brouillard artificiel se dissipe et qu’il aperçoive les navires de guerre et les péniches de débarquement. Je lui ai demandé s’il n’avait pas tout de même entendu du bruit, il m’a répondu oui, mais que lui et ceux qui étaient de garde au même poste avaient entendu du bruit similaire de nombreuses fois auparavant ! »

Leonard Chandler

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Auteur : Marc Laurenceau – Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur – Contact Webmaster