Témoignage de Leonard Chandler
Royal Naval Reserve
En décembre 1943, Leonard Chandler s’est présenté à un pensionnat de la Royal Naval Reserve – RNR – (la réserve de la Marine Royale Britannique) où , en plus d’un enseignement classique, les étudiants recevaient une formation navale : navigation, manœuvres, signaux, etc. Le mois suivant, il est devenu manœuvrier. Il a ensuite passé six semaines au Royal Naval College de Greenwich, puis à nouveau 6 semaines à la base navale de Chatham. Quelques temps plus tard, il rejoint son premier bâtiment de guerre : le HMS HEMERALD. C’est un croiseur léger armé notamment de 7 tourelles de 20 millimètres, installées en 1918.
Voici le témoignage de son Jour J :
« Au début juin de l’année 1944, précisément le 4 juin, nous avons navigué le long de la rivière Clyde, accompagné par un autre bâtiment de guerre. Après une heure de manœuvres, le capitaine de l’HMS HEMERALD annonça à l’équipage que nous étions en train de prendre part à l’invasion de l’Europe en Normandie.
Nous faisions route vers le sud quand, à la hauteur de la côte Sud du Pays de Galles, le navire fit un virage de 180 degrés et nous sommes revenus à la case départ : l’invasion venait d’être reportée d’une journée à cause du temps, exécrable en Manche.
Le 5 juin 1944, lorsque nous avons contourné Land’s End nous avons fait route vers l’est, parallèlement à la côte Anglaise. A proximité de Plymouth, nous avons reçu l’ordre : « Poste de combat ! » et chaque membre d’équipage à rejoint son emplacement. Pour ma part, j’étais sur une plate-forme de DCA (Défense Contre-Avions) située au niveau du mât de misaine, juste au-dessus du pont du navire. Un capitaine des Royal Marines avait sous son commandement tous les canons antiaériens d’un des deux bords du navire, je m’occupais de l’autre bord.
Depuis la tourelle de DCA nous avions une vue superbe sur ce qui se passait autour du navire et nous pouvions entendre le haut-parleur du pont (où nous devions vivre pendant environ deux semaines).
Après Plymouth, nous avons commencé à voir des centaines de barges de débarquement, toutes différentes. En atteignant l’Ile de Wight nous avons viré vers le sud. A partir de ce moment jusqu’avant le lever du jour les vaisseaux de guerre ont navigué entre les files de barges de débarquement, puis nous avons, finalement, ouvert la marche.
Notre rôle consistait à protéger les troupes de débarquement destinées à la plage de Gold Beach. Nous avons navigué dans un passage dégagé par les dragueurs de mines et qui, ou peut-être était-ce d’autres embarcations, avaient balisés le chenal que nous devions emprunter à travers la Manche. Il y avait deux autres chenaux similaires à notre gauche (qui se dirigeaient vers les plages de Juno et Sword), ainsi que deux autres à notre droite (pour Omaha Beach et Utah Beach), mais nous ne pouvions en voir aucun de là où nous étions. Il y avait des feux colorés bleus, verts, rouges… installés par les éclaireurs pour indiquer les cibles aux bombardiers qui arrivaient. Quelques temps avant le lever du jour nous étions en vue des côtes françaises et les bateaux de guerre se sont déployés. Il y avait six croiseurs, qui ont jeté l’ancre à environ neuf kilomètres des côtes, gardant entre eux de un à un kilomètres et demi d’espace. Treize destroyers se sont, quant à eux, positionnés à environ sept kilomètres du rivage. L’HMS HEMERALD était en face d’Arromanches-les-Bains, mais à l’époque je ne le savais pas encore.
Nous avions jeté l’ancre, et nous étions tous silencieux et ce pendant peut-être plus d’une heure. Ensuite le bombardement naval commença et il continua pendant environ deux heures. Il n’y avait pas grand chose à voir pour nous excepté les passages de chalands de débarquement. Sur la côte, la brume matinale a laissée place à la poussière puis à la fumée mais, dans tous les cas, on parvenait à voir le rivage entre Port-en-Bessin et Arromanches-les-Bains.
Pendant le bombardement, je me souviens avoir vu de petites silhouettes tomber des falaises. Dans les champs plus loin on pouvait voir d’autres petites silhouettes s’enfuir et, occasionnellement, s’arrêter et ouvrir le feu pour couvrir leur fuite (les tirs des armes étaient indiquées par des échappements soudains de fumée). Je croyais que les tirs de l’HMS HEMERALD étaient dirigés vers une grange et j’ai appris quelques années plus tard, lorsque j’ai recherché cette grange, que notre cible était en fait la batterie d’artillerie côtière située à Longues-sur-Mer. Peut-être que c’est à cet endroit que les petites silhouettes fuyantes ont été bombardées.
Des pilotes, volant à bord de Seafires (un appareil dérivé du Spitfire), repéraient les points d’impact de nos tirs et à un moment, alors que la conversation avec le pilote était retransmise à tout l’équipage grâce aux haut-parleurs, celui-ci indiqua que nous faisions mouche et qu’il pouvait voir des soldats allemands courrir se mettre à l’abri. Nous avons reçu immédiatement après un appel d’un officier qui, depuis la plage, nous demandait de cesser le feu car nos tirs étaient en fait dirigés sur nos propres troupes. Aujourd’hui, on appelle ces erreurs des « Friendly Fire » ou « Tir sur Ami ».
L’HMS AJAX, directement à l’ouest de notre position, était à ce moment pris sous le feu ennemi et dût relever l’ancre pour changer de position. Le croiseur AJAX ne fut heureusement pas touché. Il eut plus de chance qu’un destroyer Norvégien qui fut coulé par des E-Boot allemands provenant de la base du Havre.
Les avions alliés qui nous survolaient avaient des bandes blanches et noires peintes sur la partie inférieur des ailes afin de faciliter la reconnaissance des postes de DCA et ils devaient effectuer un mouvement d’aile lorsqu’ils passaient au-dessus d’un convoi maritime. S’ils ne le faisaient pas, nous avions ordre de les abattre, mais je n’ai pas vu une seule fois une pareille scène se dérouler, bien que j’ai entendu depuis que quelques appareils ont été abattus par erreur : un autre exemple de « Friendly Fire ».
Au Jour J + 5 (11 juin 1944), nous avons été bombardé par un avion allemand, qui a survolé la escadre alliée juste au-dessus des mâts. Le Capitaine des Royal Marines, qui dirigeait les tirs de DCA de son bord du navire, ouvrit le feu. De mon côté, je pris le téléphone et contacta tous les postes DCA dont j’avais la responsabilité pour les prévenir qu’un appareil allait être visible sur notre bord. L’avion allemand lâcha sa bombe qui rebondit sur la surface de l’eau et explosa. Nous ne sommes pas parvenus à descendre l’appareil ennemi – mais lui ne nous a pas non plus touché ! Plus tard, l’équipage a été quelque peu fâché d’apprendre que notre sister ship, le HMS Enterprise, avait été coulé lors d’une attaque aérienne allemande au large d’Utah Beach.
Etrangement, les artilleurs allemands ne nous ont pas tiré dessus pendant toute la journée du Jour J, certainement parce que les calibres de nos canons était bien plus importants que ceux des leurs.
Chaque navire était doté d’un générateur de fumée, qui était, dans notre cas, fixé sur le pont. Lorsque la pénombre du crépuscule s’installait peu à peu, les générateurs étaient mis en route et ainsi tout le navire était recouvert d’une épaisse fumée. Le jour, les Allemands repéraient la position d’un ou de plusieurs navires et la nuit venue, ils tiraient en direction de l’objectif repéré en journée. Mais au crépuscule, nous abandonnions notre position pour nous laisser dériver avec la marée pendant 30 à 40 minutes avant de jeter l’ancre à nouveau. Depuis la plateforme de DCA, j’étais situé au-dessus de l’écran de fumée, créé par le générateur et je pouvais voir, lorsque la lumière du clair de lune le permettait, l’immense armada autour de l’HMS HEMERALD. On pouvait également voir les explosions des obus dans l’eau.
Je me souviens d’un petit rigolo, situé à la plateforme avec moi, qui joignait ses mains comme pour faire une prière et qui disait « S’il vous plait, ne manquez pas Nelson, ne manquez pas Nelson ! » (l’HMS Nelson étant un cuirassé et donc une cible bien plus importante qu’un simple croiseur comme le HMS HEMERALD).