Témoignage de Raymond P. Woods

Raymond P. Woods est un marin de l’US Navy à bord de l’USS O’Brien, où il sert en qualité d’opérateur radar, ce qui lui permet de suivre les communications radio. Ce destroyer est engagé au sein de la Task Force O qui escorte les bâtiments de guerre jusqu’à Omaha Beach ; le Jour-J, il s’approche au plus près de la plage pour appuyer de ses feux les soldats Américains en grande difficulté.

« Nous avons atteint la position d’attente entre 08h30 et 09h00 le Jour-J. Nous étions à environ 4 kilomètres au large d’Omaha Beach. Depuis cette position, nous avons assisté au massacre complet des vagues d’assaut successives. Des corps flottaient tout le long du rivage. Des chalands de débarquements sont touchés par des tirs directs tandis que d’autres effectuent des cercles sur place en attendant de pouvoir débarquer les soldats.

Vers 09h00, notre barreur W. W. Outerbridge prend l’initiative de s’approcher au plus près de la plage en direction des falaises de la Pointe du Hoc. A 500 mètres du rivage, le capitaine donne l’ordre de positionner le destroyer parallèlement à la plage et fait ouvrir le feu à nos six canons de 130 mm en direction de la batterie allemande située au sommet du plateau.

J’ai appris plus tard que deux autres destroyers avaient effectué la même manoeuvre devant Omaha Beach sans en avoir reçu l’ordre. Quelques instants après le déclenchement de la première salve, la radio crépite : ce sont nos gars, les Rangers escaladant les falaises du Hoc qui ont atteint le sommet mais qui sont fixés par leurs adversaires. Le barreur répond à la radio : « Est-ce que nous vous avons touché ? » La réponse arrive quelques instants plus tard : « Non, mais levez un petit peu votre tir ».

Nous avons alors corrigé l’orientation de nos tirs et, après avoir progressé en direction du rivage, un nouveau tir est effectué vers le sommet de la falaise. Nous avons détecté des soldats allemands courant en direction d’une construction en arrière de la Pointe du Hoc. Le capitaine a attendu que les soldats aient atteint le bâtiment pour le détruire, ce que nous avons fait en une seule salve.

Durant l’après-midi du Jour-J, la situation s’est progressivement calmée pour l’USS O’Brien. Nous avons patrouillé le long de la plage jusqu’à environ une heure du matin. J’étais à mon poste d’opérateur radar antiaérien lorsque j’ai détecté un contact à environ 100 miles. En raison de la distance, j’avais l’impression qu’il s’agissait de l’intégralité de l’armée de l’air allemande, mais en observant de plus près l’écran, je pouvais voir que les échos radar s’estompaient. Me souvenant de mes cours à Virginia Beach, j’ai supposé que les Allemands utilisaient des leurres en largant des feuilles d’aluminium. Je ne pouvais pas estimer le nombre d’appareils en approche. Il s’avère qu’il ne s’agissait que d’un bombardier allemand Junker.

Les ordres donnés à l’intégralité des bâtiments de guerre étaient de ne pas ouvrir le feu. J’ai alors entendu deux explosions et l’O’Brien s’est mis à trembler. J’ai appelé le pont et je leur ai demandé sur quoi nous étions en train de tirer. Ce à quoi on m’a répondu : « Tirer ? Et bien non, on s’est fait toucher ! ». Même si c’est difficile à croire, la nuit suivante était identique, la même explosion s’est faite ressentir. Un bombardier Junker allemand avait largué une bombe de plus de 100 kg à tribord de l’O’Brien. Le bâtiment s’est penché sur la droite à 45 degrés avant de retrouver son inclinaison normale. Je n’ai pas eu besoin d’appeler le pont cette fois, j’ai compris que nous avions été touché une fois encore.

Pendant des années, je n’ai jamais réussi à comprendre pourquoi, parmi tous les navires présents en face d’Omaha Beach, l’USS O’Brien a été choisi et bombardé deux nuits de suite, probablement par le même avion allemand. Quelques années plus tard, je discutais avec Lonas “Lonnie” Frey qui servait un canon antiaérien de 20 mm à bord de l’O’Brien. Il était originaire d’une ville voisine d’Ottawa : il habitait Pandora et nous nous sommes revus à l’occasion de la réunion des membres de l’Ottawa VFW Post 9142. Je lui ai demandé : « est-ce qu’il y avait des sources lumineuses ou comment expliquer que nous avons été pris pour cible ? » Il m’a répondu que le bombardier allemand avait largué des fusées éclairantes qui illuminaient complètement les environs comme en plein jour. L’O’Brien, ce destroyer de 2 200 tonnes, ressemblait à un croiseur pour les Allemands et représentait une cible de choix. Moi qui pensait qu’une lumière dévoilait la position du destroyer lors des attaques aériennes, ceci mit un terme à ma grande inquiétude de toute la Seconde Guerre mondiale.

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Auteur : Marc Laurenceau – Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur – Contact Webmaster