Témoignage du Dr. Robert Buckley
Parmi ceux qui ont survécu au massacre d’Omaha Beach se trouve le commandant Robert Buckley, chirurgien détaché auprès de 116ème régiment d’infanterie de la 29ème division d’infanterie. Ce témoignage, posté en Allemagne le 27 janvier 1945, fait suite à une question du lieutenant-colonel américain Harold A. Cassell du 116ème régiment d’infanterie.
Après la guerre, Robert Buckley a travaillé comme chirurgien dans le privé, avant de rejoindre l’équipe médicale de la Kecoughtan Veterans Administration Hospital. Décoré de la Bronze Star, il est mort subitement à l’âge de 52 ans en 1960.
« Vous m’avez demandé ce que je sais à propos de la mort du commandant John Sours le Jour J, puisque lui et moi étions dans la même péniche de débarquement. Je me souviens très clairement de ce qui s’est passé, et voici comment tout cela a eu lieu.
Très tôt en ce matin du Jour J, après le petit-déjeuner, « Big John » et moi avons fini de préparer nos affaires, et comme nos couchettes étaient l’une en face de l’autre, nous nous sommes aidés à fixer le filet de camouflage sur nos casques. Lorsque l’heure est venue nous avons grimpé sur le pont du navire, ce qui n’était pas facile ce matin-là à cause de la houle et du poids de nos sacs… Malgré tout, nous y sommes tous arrivés (nous étions alors 26) et nous nous sommes éloigné du gros navire dans nos péniches de débarquement. Nous avons un petit peu tourné en rond dans l’eau, puis nous nous sommes dirigé vers le rivage, dont on ne pouvait distinguer qu’un fin tracé à cause de la distance qui nous en séparait.
Le commandant Sours se tenait à ma droite dans la péniche, il était en deuxième position à l’avant de la barge. Tandis que nous arrivions, nous nous sommes dit qu’il serait facile de traverser sous les balles des mitailleuses. Nous étions tous accroupis au fond du navire qui était glissant et recouvert d’eau de mer.
Puis le bateau est resté coincé contre un obstacle de plage qui était surmonté d’une mine type Tellermine. Il y avait environ 80 mètres de distance entre nous et la plage. Les différentes vagues successives ont éloigné la péniche de l’obstacle qui s’est alors dirigée vers la côte, puis nous avons débarqué.
J’ai jeté un coup d’oeil à ma droite, et j’ai pu observer Big John venir dans ma direction. Il me vit le regarder, et me cria : « Comment ça va, toubib ? ». Après avoir atteint un muret étroit qui nous permettait d’être plus ou moins à couvert, j’ai regardé l’affreux paysage en direction de la mer. J’ai alors pu immédiatement repérer deux hommes qui avaient besoin qu’on les sorte de l’eau. Avec un soldat du rang, je suis allé leur porter secours. L’un d’entre eux avait une blessure à la jambe. L’autre, un officier, était étendu, la tête plongée dans l’eau. Lorsque je l’ai soulevé, j’ai alors reconnu le commandant Sours. Il était déjà mort lorsque je l’ai trouvé. De ce que j’ai pu observer, il m’a semblé qu’il avait été tué par une balle de mitrailleuse dans la tête.
J’ai alors aidé le soldat blessé à la jambe à traverser la plage. Alors que nous étions toujours dans l’eau, j’ai repéré un casque qui flottait. Il appartenait à Sours, et avait été traversé par une balle qui était entrée puis ressortie. Aussi rapidement que possible, le corps du commandant Sours a été déplacé à un endroit protégé de la plage. J’ai pris soin de bien le recouvrir, tout comme de nombreux soldats tombés ce jour-là.
Je sais que vous allez raconter tout cela à madame Sours. C’est pouquoi j’aurai aimé rajouter autre chose. Je tenais à lui dire que c’était un homme bien, un homme vraiment très bien, qui avait mérité le respect et l’admiration de tous. Et les gars du régiment qui ont connu le commandant Sours pensent comme moi. »
Robert Buckley, 27 janvier 1945