Feuilleton : Mister Arizona saute sur la Normandie

Le front de l'Ouest ne se limite pas à la bataille de Normandie : discutez ici des autres grandes batailles !
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Gennaker
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John W. "Johnny" Gibson était né un 27 aout 1921 à Humbolt, Dakota du sud. Il est décédé en Arizona en 2010. Il avait rejoint l'US Army dès le 4 septembre 1942 à Tucson, AZ, et avait demandé à intégrer les paratroops. Il suit sa formation à Toccoa, avant la Parachute school à Benning, au sein de G/506th. Très sportif, il s'intéresse à tout ce qui touche la remise en forme et intègre l'équipe de boxe du régiment.
Il saute avec la 101st sur la Normandie le Jour J. Il est capturé au lever du jour le 6 juin et conduit à Rennes, où les armées de Patton le libèreront le 4 aout 1944. Il pourra ainsi retrouver son unité pour sauter en Hollande, et participer au siège de Bastogne. Il reçoit une balle dans le poumon et dans le foie le 9 janvier près de Noville alors qu'il panse son capitaine Jim Morton. Il sera hospitalisé durant 11 mois, avant d'être démobilisé le 5 décembre 1945 avec grade de sergent. Johnny retournera en Arizona où il se consacrera à sa passion, le fitness, la remise en reforme. Il remportera à deux reprises en 1950 et 1951 le titre de Mister Arizona.

Son expérience du Jour J a été dramatique, cauchemardesque, ainsi qu'en témoigne son récit que je vous propose sous forme de feuilleton:

"Il devait être environ minuit en ce 5 juin 1944 quand j'ai jeté un coup d'oeil par le hublot de notre avion de transport, et ai aperçu une lune magnifique qui jetait des reflets d'argent sur la Manche en dessous de nous. Le miroitement argenté balayait la grande mare et m'aida à retirer de mon esprit les effroyables expériences à venir. Se faire entendre malgré le bruit des moteurs était quasiment impossible, mais j'ai crié en direction de mon voisin ; "Comment te sens tu, Lee?" Après deux essais pour me faire comprendre, sa réponse me parvint, "Mieux que je ne croyais, et toi?"Je lui criai la même réponse qu'il venait de me donner, mais en mon for intérieur, je frissonnais. J'avais l'estomac noué et mes mains ruisselaient d'une sueur froide. J'ai pensé à un milliard de choses alors que nous volions vers la côte française. Je n'oublierai jamais la beauté de cette lune, et combien elle me rappelait celle qui brille si merveilleusement dans le désert près de ma maison en Arizona.
Il y avait aussi des nuages cette nuit là et on les traversait pour tout de suite tomber sur d'autres. Durant ces instants entre deux bancs de nuage, la lune brillait à travers les hublots de l'avion, illuminant l'intérieur. Bien que noircis au charbon de bois, je distinguais les expressions des visages. Certains regardaient droit devant eux, avec les mâchoires serrées, avec un grand sérieux sur leur visage. D'autres semblaient tristes et abattus. Tous semblaient concernés et anxieux. Anxieux d'en terminer avec cette guerre et de rentrer à la maison. Ces hommes qui avaient la réputation d'être les tueurs les plus élitistes de l'armée n'étaient absolument pas des meurtriers. Contrairement aux déclarations allemandes affirmant que les parachutistes américains étaient tous d'anciens taulards condamnés pour meurtre et dénués d'humanité, les visages que je contemplais cette nuit là sous les rayons de lune appartenaient à des hommes qui avaient librement choisi d'effectuer une tâche difficile en réponse à un fort appel intérieur. Ces hommes avaient depuis longtemps prouvé qu'aucune tâche n'était trop ardue pour eux. Il n'y avait pas de missions trop difficile à essayer d'accomplir. Le sentiment de fierté pour leurs proches et pour leur pays, ajouté à leur désir de rentrer à la maison, avaient consolider une forme de courage intérieur qui ne pouvait être détruite.

L'avion était balloté par le vent et chuta de plusieurs mètres dans un trou d'air, puis repris sa formation. Nous volions en formation serrée cette nuit là et on avait l'impression de pouvoir marcher d'un avion à l'autre.
On a changé de cap et en effectuant ce virage, j'ai pu voir sous la lune des avions sur ce qui semblait être des kilomètres et des kilomètres de long. Je savais que je ne voyais là qu'une fraction de la totalité de la flotte, et j'ai réalisé l'ampleur de l'expédition en cours. Je savais que le monde entier avait attendu ce moment durant des mois et des années. Je ne pouvais m'empêcher de ressentir une immense fierté de faire partie de l'avant garde de l'invasion de l'Europe et de déclencher le grand mouvement d libération.
On a poursuivi notre vol jusque vers une heure du matin en ce 6 juin 1944. Puis un des gars a crié : "There she is, boys!" Et j'ai su qu'il voulait dire que nous étions en vue des côtes de France….

TO BE CONTINUED….
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Gennaker
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Les allemands avaient eu 4 ans pour préparer leurs défenses contre l'invasion, et venaient d'ouvrir le feu sur les avions de tête. Nous volions bas et très lentement et une formation aussi serrée offrait aux allemands une cible de choix. Descendre tout un avion rempli de parachutistes surentraînés devait être considéré par l'ennemi comme un véritable accomplissement.
Je vis alors une énorme boule de feu rouge, et un avion s'écraser sur ma droite. L'idée de 18 à 20 hommes s'écrasant au sol dans un enfer de feu n'est pas une pensée agréable. J'essayai de chasser cette idée de mes pensées.
Nous devions voler 9 minutes au dessus du sol de France avant d'atteindre notre zone de largage. La lumière rouge près de la porte s'est allumée et notre jumpmaster a hurlé ; "Stand up and hook up!". On a bondi sur nos pieds et avons rapidement attaché nos static line au long câble d'acier qui court le long de l'aile centrale de la carlingue. Le jumpmaster a de nouveau crié : "Sound off for equipment check!". Les réponses sont venus d'homme à homme : "14 OK, 13, OK, 12 OK…. jusqu'au numéro 1. On s'est recroquevillé, prêt à sauter, dans l'attente crispante de la lumière verte.
Les canons de 20 mm allemands jouaient une drôle de mélodie et leurs boules de feu rouges venaient nous lécher comme la langue d'un serpent en colère. L'air était rempli d'explosions et du bruit des projectiles.
La lumière verte s'alluma enfin et nous nous jetâmes dans un ciel nocturne zébrés de traits rouges. la première partie de notre stick sortit rapidement. Puis un homme s'effondra. Plusieurs secondes furent perdues tandis que l'homme tentait de se redresser aidé par le GI suivant. Plusieurs d'entre nous craignirent que l'avion ne s'écrase et hurlèrent : "Comme on! Let's go!"
Les hommes portaient de lourds équipements dans des "leg packs" et devaient littéralement les trainer le long de la carlingue jusqu'à la porte. Un par un, ils disparurent par la portière et finalement vint le tour de l'homme devant moi de se trainer jusqu'à la porte . Dans un grand effort, il attira à lui son "leg bag" et se jeta dans le courant d'aspiration des moteurs (Prop blast ndlr). Il disparut en une fraction de seconde et je le vis tomber.
N'étant pas aussi chargé que les autres (Gibson est un Medic ndlr), je me lançai avec force dans l'espace. La "prop blast" m'attrapa violemment et m'envoya tournoyer vers la terre. Ma position de saut était très mauvaise et je ressentis un terrible choc à l'ouverture du parachute. Mais j'en fus heureux. A partir de là, et jusqu'à l'instant où j'ai touché terre, je ne sais pas ce qui m'a empêché d'être touché et réduit en lambeaux par toutes ces balles de mitrailleuses. Des balles rougeoyantes passaient en sifflant de chaque côté d émoi et je réalisai machinalement qu'il y avait une balle traçante toutes les 4 balles.
Je touchai le sol en oscillant de dos vers l'arrière, d'abord mes talons puis sur le dos. J'ai tout de suite dégainé mon poignard et suis demeuré immobile. N'apercevant personne, j'ai planté mon poignard dans le sol tout près de moi, afin de pouvoir m'en saisir rapidement si le besoin s'en faisait sentir, et commençai à me libérer de mon harnais. Le ventral d'abord, puis ma Mae West. Enfin le harnais. J'étais prêt….

G/506th à Bragg
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TO BE CONTINUED….
Lipton
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I love it!!!!!!

Congrats Gen'
Mike Ranney à son petit-fils:

-"Grand-père, as tu été un héros pendant la guerre?"
-"Non mais j'ai servi dans une compagnie de héros".
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Gennaker
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Re: Feuilleton : Mister Arizona saute sur la Normandie

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A quatre pattes, j'ai jeté un coup d'oeil périphérique aux alentours et ai réalisé que j'avais atterri dans un petit champs à quelques mètres d'une ferme. Autre que moi, le seul signe de vie discernable était un cheval effrayé. Le rugissement des moteurs et les explosions de tirs l'avaient rendu fou d'excitation. Hennissant et soufflant de la vapeur comme une locomotive, il galopait sans interruption d'un bout à l'autre du champs. Craignant qu'il ne révèle ma position, je me mis en quête d'une cachette. Profitant de la seule protection à ma portée, je me précipitai vers un mur de pierres et découvrit qu'un petit fossé le bordait. Le mur était élevé et bouchait la vue de la ferme. Je pensai un moment l'escalader mais, craignant que la ferme ne soit occupée par des allemands, je laissai vite tomber cette idée. Toujours à bout de souffle, et le coeur au bord des lèvres depuis l'excitation du saut, je m'étendis dans le fossé et essayai de me relaxer. En tant que Medic, je n'étais armé que de mon poignard et je réalisai l'importance de rejoindre rapidement d'autres troopers.

Le signal de ralliement (du 3/506th ndlr) était le son du clairon et des flashes de lumières bleues. Mais avec la chaude réception très inattendue que nous avions reçue, je me doutais que notre colonel ne prendrait pas le risque de révéler sa position (Lt Colonel Bob Wolverton, CO du 3/506th est à cet instant mort, toujours enserré dans son harnais et suspendu à un arbre au nord de St Côme du Mont NDLR)
Le tout nouveau brassard de la Croix Rouge que je portais au bras gauche semblait briller comme un néon dans la nuit. Je l'enlevai prestement et le fourrai dans ma poche. L'autre un peu plus sale sur mon bras droit ne se voyait pas autant…
J'ai observé le mur et le fossé devant moi, sans discerner quoi que ce soit. Juste pour me sentir en sécurité, je fis demi tour et observai l'autre côté. Ce que je vis fit bondir mon coeur dans ma poitrine. J'empoignai mon poignard. Projeté sur mur je discernai une grande ombre qui progressait vers moi. Tenant mon couteau dans une main, et mon clicker en métal dans l'autre, j'attendis que l'ombre ne soit plus qu'à trois mètres. J'actionnai mon clicker à deux reprises et une seconde plus tard, je reçus la réponse. L'homme s'approcha rapidement. C'était Lee, avec qui j'avais parlé dans l'avion. Il avait sauté juste derrière moi. "Bon Dieu " dis je, "Tu m'a foutu une sacrée trouille!" Il me répondit que le sentiment était partagé. On échangea quelques mots à propos de la nécessité de trouver d'autres Gis. On entendait au loin les claquements rapides des mitrailleuses allemandes, auxquelles répondaient les détonations plus lentes et plus sourdes de nos .30 cal. Nous avions des ordres pour ne pas tirer avant le lever du jour."Evitez d'engager l'ennemi" nous avait on dit, "jusqu'à ce que vous soyez en nombre suffisant." Personne n'avait envisagé l'intensité du feu que nous avions reçu.Le platoon ennemi, que nos renseignements nous avaient annoncé, ressemblait plus à une division entière…"

Captain Harold van Antwerp, CO G/506th, mort noyé près de Carentan…
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TO BE CONTINUED
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Gennaker
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Lee m'indiqua la direction générale où la majeure partie de nos gars avait atterri. On s'est mis en route avec la plus grande prudence. Au bas d'une haie, et sous le couvert de quelques arbres, nous découvrîmes George Rosie. Il explosa de joie en nous voyant. Selon ses propres mots, "Putain que j'étais heureux!". Rosie était un ancien joueur de foot US. Il était le plus costaud, et l'homme le mieux bâti de tout le 81 mm mortar platoon. Ce platoon était connu pour ses hommes forts. Lee par exemple, pouvait glisser ses deux bras dans des tubes de mortier de 81 mm, et les tenir à l'horizontale, le corps en croix. A trois, nous nous sentîlmes un epeu plus en sécurité. Ne sachant pas dans quelle direction aller, nous sommes demeurés immobiles un mollement, à écouter ce qui se passait. Les mitrailleuses étaient toujours en action et les trançantes montaient vers le ciel, puis perdaient de la vitesse et s'éteignaient. Après ce moment d'écoute, Rosie leva le nez et dans un murmure dit : "Regardez!" A plusieurs centaines de mètres de nous, volant à environ 240 mètres d'altitude arrivait un de nos avions de transport, dont le moteur gauche était en feu. Il effectuait un demi cercle et perdait de l'altitude. Il arrivait droit sur nous. A environ 200 mètres d'altitude, les flammes léchant la portière, les troopers et l'équipage commencèrent à sauter. Le dernier parachute s'ouvrit à moins de 60 mètres de hauteur. L'avion, totalement dévoré par les flammes passa au dessus de nos têtes et s'écrasa dans le champs près de celui où nous nous trouvions. Il explosa en un million de petits morceaux incandescents et éclaira tout le secteur sur plusieurs centaines de mètres à la ronde. Je me demandais pourquoi les gars n'avaient pas sauté dès qu'ils avaient vu que l'avion prenait feu. La seule réponse à cette question est probablement qu'ils voulurent attendre jusqu'au dernier moment afin d'être le plus près possible de la zone de rassemblement au sol.
Quatre hommes arrivèrent en courant à toute vitesse venant de la direction où brulait la masse de ferraille du C-47. Ils arrivèrent à quelques mètres de nous et s'arrêtèrent à cause d'un fossé trop large pour être franchi d'un seul bond. Nous les reconnûmes comme étant de notre stick et leur murmurâmes aussi fort que possible de venir nous rejoindre. Ils pataugèrent dans la boue et les herbes folles et se hissèrent de l'autre côté du fossé pour nous retrouver. Ils étaient trempés, plein de boue et très excités. L'avion en feu avait failli les écraser. Nous fûmes heureux d'avoir ainsi réuni un petit groupe de 7 hommes. Un tel groupe nous permettait de mieux nous couvrir les uns les autres et réduisait les chances de tomber dans une embuscade…
En utilisant notre compas, nous nous mîmes d'accord sur un azimuts qui devait nous rapprocher de notre objectif (les deux ponts de Brévands et le ferry). Abbey, l'homme qui nous commandait, était un excellent éclaireur et nous arrêtait souvent au moindre bruit. Nous progressâmes en suivant les fossés et les haies pour nous cacher des regards. A mi chemin au milieu d'un pré, le fossé que nous suivions commença à se rétrécir et finalement disparu entièrement. Sur la gauche du fossé se trouvait une route de terre qui était bordée d'un haut talus. Ce talus était recouvert de hautes herbes qui nous parurent être notre meilleure cachette. Abbey, notre principal scout, passa la barrière du champs et s'engagea sur la route. Ronzani atteignit la barrière. Le jour commençait à se lever. Je ne sais plus qui le vit en premier, mais il était là : un casque allemand dépassait des hautes herbes!
Ici et pour les besoins de l'illustration, photo du Chalk Number 66 du Serial 12. Le C-47 #42-93095 appartenant au 439th Troop Carrier Group - 91st Troop Carrier Squadron piloté par le 1st Lt. Harold Capelluto
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Gennaker
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Soudain, provenant de l'autre côté du talus, une centaine de voix allemandes commencèrent à baragouiner avec excitation. Plus d'une douzaines d'entre eux se redressèrent brusquement au beau milieu des hautes herbes et et ouvrirent le feu avec leur mitraillettes. Nous étions pris dans une position intenable. Abbey et Ronzani furent truffés de plomb, et littéralement découpés en morceaux par la volée de balles. Je fis demi tour et plongeai dans le fossé, en rampant avec une vitesse dont jamais je ne me serrai senti capable, sur mes coudes et mes genoux. Les Allemands réalisèrent combien notre nombre était réduit et dévalèrent le talus en horde. Rosie fur l'un des premiers à être capturé. Puis Swanson fut attrapé à son tour. La bretelle de son brellage avait été sectionnée net par une balle, sans qu'il ne fut blessé. Lee parvint temporairement à s'échapper. Il devait y avoir là toute une compagnie de ces bâtards, allongés en silence et qui attendaient le lever du soleil, ou que quelqu'un se présente. Il n'y avait plus que deux d'entre nous dans le fossé et les allemands nous donnèrent la chasse, baïonnette au canon. En entendant leurs voix si proches, je fis une ultime tentative pour me dissimuler. Je repérai un étroit fossé qui partait perpendiculairement à celui dans le quel je me trouvais. Il était aussi étroit que mon corps et était en partie recouvert d'herbes et de mottes de terre. Je me glissai sous les touffes d'herbe. Les voix allemandes résonnaient tout autour, et je me trouvai rapidement le nez face à une baïonnette. L'allemand me commanda de sortir en hurlant. Je me mis debout et me tint devant lui. Je n'avais pas d'armes. Les medics de première ligne n'en portent habituellement pas. Mon coeur battait la chamade et je levai à demi les bras. Il ne fit aucune tentative pour me tirer dessus ou pour utiliser sa baïonnette. Une excitation extrême agitait son visage et faisait trembloter sa voix. Il s'éloigna et regarda dans le fossé. Un autre très jeune allemand prit son pistolet et le fixa entre mes deux yeux, à 5 cm de mon front. J'ai pensé que j'étais foutu. Mais il rangea son pistolet. Un autre "Kraut" me frappa à trois reprises entre les omoplates du plat de la main, puis me frappa juste assez fort de la pointe de sa baïonnette pour déchirer mes vêtements. Ce traitement brutal d'un médic désarmé était trop pour moi. Il s'éloigna pour fouiller les fossés. J'étais furieux et décidai de me venger. J'avais toujours mon petit canif dans sa poche secrète. Il était aiguisé comme un rasoir et pointu comme une aiguille. Je l'observai de côté et vit l'instant où je pourrai le poignarder au niveau de la jugulaire. Mais il s'éloigna, et je réalisai que cette tentative aurait signifié la mort immédiate pour les quatre d'entre nous. je chassai cette idée de ma tête et m'approchai pour voir si je pouvais encore faire quelque chose pour Abbey et Ronzani. Le spectacle de leurs corps était sanglant. Tous deux respiraient encore avec difficulté. Chaque fois que je m'agenouillai près d'eux, j'étais refoulé brutalement par les allemands. C'était difficile à comprendre pour moi. Je réessayai et fus de nouveau repoussé. Abbey et Ronzani furent de nouveau truffés de plomb au niveau de la poitrine par une rafale de mitraillette. Ils étaient morts, et les quatre d'entre nous étions prisonniers. On nous fit traverser la route et nous étendre sur le dos, avec nos doigts entrelacés derrière la tête. Un petit fossé n'offrait qu'une médiocre cachette. Deux très jeunes allemands s'allongèrent sur le ventre et pointèrent leurs fusils sur nos têtes. Lee ouvrit le feu sur eux depuis un petit bosquet à une quarantaine de mètres. Les balles faisaient un drôle de bruit à travers les hautes herbes. Les deux gardes se tortillèrent, et les balles leurs arrivaient droit dessus. J'ai de nouveau cru que nous étions cuits. Quatre allemands décidèrent de prendre Lee à revers. Ils partirent en courant en direction de Carentan, puis revinrent sur leurs pas en faisant un détour. J'entendis des tirs, de nombreuses détonations tandis qu'ils achevaient notre pauvre ami Charles Lee. Trois hommes de notre groupe de sept étaient morts à présent, et les quatre d'entre nous restant furent séparés. Je marchai en direction de Carentan, suivi par mes gardes. Dans le fossé en bord de route se trouvaient deux troopers morts, leurs uniformes toujours propres, et leurs bottes bien cirées. Je ne les reconnus pas. Mon boulot consistait à garder tout le monde en vie. Mon nécessaire à pharmacie et tous mes biens m'avaient à ce moment été retirés. Chaque putain de "Kraut" que je croisais me piquait un petit quelque chose. J'entrai dans les faubourgs de Carentan, les bras harassés et les doigts gourds d'être ainsi entrelacés sur ma nuque. Pour montrer son soutien à la cause des allemands, une femme française m'insulta copieusement et me cracha au visage. Avec de telles attitudes, je me demandai si nos efforts et nos sacrifices étaient bien justifiés. Mais en progressant à l'intérieur des terres, l'attitude des français changea. Beaucoup se montrèrent attendris à la vue de ces premiers américains venus botter les allemands hors de France…

TO BE CONTINUED…
Trooper mort près du Holdy…
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alain2904

Re: Feuilleton : Mister Arizona saute sur la Normandie

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Super ,c'est malin maintenant tu m'a mis l'eau à la bouche :)
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Gennaker
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Re: Feuilleton : Mister Arizona saute sur la Normandie

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Alors que je marchais ainsi dans Carentan, les civils français étaient très calmes et un peu curieux, à part la dame qui m'avait craché dessus. A leur visage, je voyais que certains me montraient de la sympathie pour ma situation critique. Ils ne pouvaient pas savoir que je venais de perdre trois hommes de mon petit groupe de sept. La tristesse était dure à encaisser. On m'a baladé une grande partie de la journée sans but apparent, me passant de gardien en gardien. J'ai croisé à un moment donné Charles K. Lewis qui faisait partie de notre équipe de boxe du régiment. Il avait une jambe arrachée et était assis à l'arrière d'une remorque tirée par un cheval. Il était très pâle et avait un besoin urgent d'aide médicale. Je n'avais aucun médicament, et je ne pus le voir qu'un court instant. Charles était Indien, de Trensed dans l'Idaho. Il ne revint pas vivant de la guerre.
Ce soir là, à la tombée de la nuit, on me mit dans un abri à cochons, avec une toute petite porte. Un paratrooper se trouvait là dont la jambe était sectionnée juste sous le genou. Il disposait d'une petite quantité de plasma, mais je ne parvins pas à la faire s'écouler dans ses veines. Il tremblait et était livide. L'abri à cochons était sale, et j'essayai de tenir sa jambe blessé dépourvu de pansement hors de portée de la saleté. Ce fut une longue nuit, et nos deux gardes avaient du mal à demeurer éveillé.
Au lever du jour, on nous sépara, et je fus placé avec un groupe de 29 allemands blessés mais ambulatoires. Deux paratroopers nous rejoignirent bientôt. J'étais le seul de ce groupe hétéroclite non blessé. Tous pouvaient marcher, mais certains boitaient bas et devaient utiliser un morceau de bois en guise de cane ou de béquille. Certains avaient de gros bandages autour de la tête.

Nous arrivâmes dans un petit village fraichement bombardé par les avions américains. Nous marchâmes le long de la rue principale bordée de gravas. C'était une vue très désolante. J'étais totalement assoiffé, et, en faisant des signes , je demandai la permission d'aller chercher quelque chose à boire dans un magasin dont la devanture était éventrée. la permission me fut refusée, ainsi que celle d'aller boire l'eau d'un fossé.
A midi, nous nous arrêtames près d'un grand bâtiment vide. Notre groupe de 32 hommes se tassa dans une pièce exiguë. Je m'assis, abasourdi par tous ces événements. Les pertes de Ronzani, Abbey, Lee, et les deux corps que j'avais vus dans le fossé me remplissaient de tristesse. Je tournai mon visage vers le mur et pleurai en silence. Personne ne me vit ni m'entendit. Le désespoir m'avait envahi. Je n'avais pas d'autre choix que de le surmonter…"

Johnny poursuivra sa longue marche à travers la Normandie, souvent mitraillé par les avions alliés. venant de Mortain, il arrive au Stalag 221 de rennes le 30 juin. Il y demeurera jusqu'à sa libération le 4 aout par les troupes de Patton.

Il reprendra son rôle de Medic au sein de HQ 3/506th, et sautera en Hollande dans le cadre de Market. Puis viendra Bastogne, et sa terrible blessure du 9 janvier 45.

De retour aux Etats Unis, et après de longues hospitalisations, il récupérera et deviendra en 1950 et 1951, MISTER Arizona.
THE END
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Gennaker
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Re: Feuilleton : Mister Arizona saute sur la Normandie

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Pour info, la DZ"D" au sud d'Angoville a été un véritable enfer pour le 3/506th. les allemands y avaient incendié une grange au beau milieu de la DZ, et les troopers étaient illuminés comme en plein jour lors de leur descente…
Le 3rd Battalion 506 parachute Infantry saute en Normandie peu après 1 heure du matin (BSDT) sur la DZ "D" à l'est de St Côme. Dès les premières minutes de l'assaut, le bataillon est littéralement décapité, quand son CO le Lt Col Robert Wolverton est tué dans son harnais avant même de toucher le sol. Son XO, le Major George Grant, subit le même sort. Wolverton avait dès son arrivée en Angleterre eut la prémonition qu'il ne reviendrait pas.Il avait écrit 21 lettres à son tout jeune fils, à n'ouvrir qu'en cas de décès, et une pour chaque année jusqu'au 21ème anniversaire de son fils. Il disait à ses hommes juste avant l'embarquement à Exeter :
"Nous n'allons pas au combat effrayé. Nous ne cherchons pas à connaitre notre destin. Nous demandons seulement ceci, si nous devons mourir, de partir comme des hommes, sans plainte, sans supplique, et avec la certitude que nous avons donné le meilleur de nous même pour une cause que nous croyons juste..."


Pour la petite histoire, Major Grant était un descendant d'Ulysses Grant, 18ème président de Etats Unis, et chef de l'armée de l'Union durant la guerre de Sécession.
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Chester44
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Re: Feuilleton : Mister Arizona saute sur la Normandie

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Merci beaucoup pour ce récit Gennaker, si tu en a d'autres je suis preneur :super:
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