5 juin-15 juin 1944, Kwajalein
Kwajalein était un point de passage pour les hommes de la flotte. Saipan était le prochain arrêt sur la route de Tokyo, et la flotte devait être prête pour ceci.
Le Relief n'avait pas revu l'île depuis le jour de l'attaque. Les hôpitaux avaient guéri leurs blessés. Maintenant, la plage était aménagée d'une ligne de cabanes. Les pontons des quais atteignaient le lagon. L'aérodrome comprenait de nombreux avions en ligne et on entendait un ronronnement régulier à cause du son de leur moteur lorsqu'ils décollaient et se posaient. Les hommes sur l'île avaient même construit une petite chapelle, avec un clocher sur le toit et des bancs d'églises dessous.
Le travail principal du Relief à Kwajalein était de débarquer les patients restés à bord et de partir pour Eniwetok, ou il devait attendre pour l'attaque de Saipan.
16 juin-21 juin 1944, Eniwetok
Pour se préparer à Saipan, le Relief augmenta ses capacités avec des provisions médicales. En même temps, il continuait ses traitements routiniers sur les patients de la flotte.
Les frappes aériennes sur Truk avaient commencé. Un après-midi, l'officier du pont regardait un Liberator revenir de sa mission. Il vit l'avion descendre pour atterrir sur l'aérodrome, puis chanceler et s'écraser dans la mer à 90 mètres de la plage. Le navire pompier et de l'aide arrivèrent immédiatement sur la scène du crash. L'équipage de l'avion fut récupéré et envoyé sur le Relief. Le jour suivant, l'équipage était à nouveau en pleine forme et il put repartir au combat. Le pilote du bombardier expliqua que le réservoir d'essence avait été touché au dessus de Truk et au retour, le fuel avait fui. Un quart de plus de gasoil les aurait amené en sécurité sur l'île.
Une nuit, à minuit, le capitaine a été réveillé par le Signal Man. Un message urgent était arrivé et le capitaine devait en faire un rapport au directeur du port. L'attaque sur Saipan allait commencer. Avant le lever du jour, le navire est parti, faisant tout son possible pour naviguer le plus rapidement possible.
24 juin-26 juin 1944, Saipan
A Saipan, l'équipage savait à peu près à quoi s'attendre. Le navire entier était organisé sur une base d'évacuation. Les équipes de transfusions furent réorganisées, une cagnotte pour les hommes non en service fut instituée, les superstructures du pont du navire furent gréées avec des lits de camp et l'équipage se porta volontaire pour organiser une banque de sang. Leur sang était classé et la banque s'est construite. L'équipage savait exactement combien de plasma il leur faudrait et la quantité de sang dont il allait avoir besoin.
Don de sang à bord d?un navire-hôpital
Tous les équipements de sécurité, les gilets de sauvetage et les casques étaient prêts pour une utilisation immédiate. Chaque partie du bateau et la routine du travail était revérifiée et intensifiée.
Le Relief avait un rendez-vous et devait avancer vers l'île à partir de là. Mais au point de rendez-vous, le plan fut annulé et le Relief avança seul en direction des plages de Saipan.
Saipan est une île, non un atoll. Elle paraît imposante à l'horizon. Son immense masse apparaissait hors de la brume et prenait forme à mesure que le navire approchait. La fumée du bombardement naval apparut ainsi que le feu de l'artillerie plus bas. Des bombes fendaient l'air et plongeaient en se lamentant au dessus de l'île pour traquer impitoyablement ce qu'avaient creusé les japonais. Près de l'île, les radios retransmettaient la voix des pilotes parlant aux hommes qui dirigeaient les tirs depuis les navires et aux conducteurs de chars. C'est le dialogue du prix de la guerre, le son le plus dramatique du monde.
Les japonais avaient tenu l'île plus de vingt ans; les cartes marines de la zone de mouillage étaient rares. Alors que le navire approchait de l'île, le capitaine se tourna vers le navigateur et il déclara : "J'avance par supposition et grâce à dieu; je ne trouve pas les positions et les distances". Il les obtint finalement, et le navire jeta l'ancre devant la plage de Charan-Kanoa.
Les navires ayant des pertes commencèrent à venir vers le Relief. Les hommes blessés étaient récupérés là ou ils avaient été touchés, et on les apportait jusqu'à la plage grâce à des jeeps, des camions, des charrettes à boeufs et tout ce qui pouvait servir. De là, ils étaient transportés dans des appareils de transport de toute sorte : tracteur amphibie, camions amphibies, barges de débarquement, LCVP, LCM et parfois même, les propres chaloupes des navires. Les bateaux formaient une chaîne ininterrompue de la plage jusqu'aux côtés du Relief. Les hommes arrivaient saignants, estropiés, paralysés ou inconscients. Beaucoup reçurent du plasma et des transfusions de sang entre la plage et le Relief.

Infirmière de la Navy au milieu des blessés à bord du Relief
Le navire se remplit constamment jusqu'au soir. Juste après la tombée de la nuit, les avions japonais arrivèrent. Un écran de fumée fut établi dans le port, mais le vent changea de direction, et la fumée passa de chaque côté du Relief. Tandis que la flotte de Saipan était dissimulée sous la fumée, le Relief miroitait dans le port, blanc et seul. Les avions japonais se dirigèrent immédiatement sur le navire mais ils ne larguèrent pas de bombes, on ne vit que quelques flashs. S'ils avaient pris des photographies, les japonais durent croire que le support entier du débarquement à Saipan était un navire-hôpital.
Les hommes sur le pont mirent le moteur en marche dès que l'alarme sonna, annonçant l'arrivée des avions japonais. Ils continuèrent leur travail tandis que le son des avions se faisait entendre. Quand les fusées éclairantes furent larguées, tout le pont du navire fut éclairé en une demi seconde et le navire tanguait au dessus de l'eau sous la lumière. Le capitaine demanda la vitesse standard et il commença à sortir du port. La fumée était toujours épaisse dans la zone de mouillage. Le capitaine du Relief fit traverser le navire à travers la fumée, à travers les navires à l'ancrage et il l'emmena précautionneusement en mer.
Le navire se dirigeait vers Kwajalein pour débarquer les patients.
29 juin-1er juillet 1944, Kwajalein
Le Relief resta autant de temps à Kwajalein qu'il en fallait pour débarquer les blessés de Saipan, sur les ponts des docks, et il partit à Eniwetok pour se ravitailler.
1er juillet-2 juillet 1944, Eniwetok
A Eniwetok, le Relief se ravitailla en fournitures médicales, en réserve et en provisions et il fut prêt à repartir en mer. Alors il se dirigea a nouveau vers Saipan.
3 juillet 1944, en route vers Saipan
Le 3 juillet, le Relief quitta Eniwetok pour Saipan. Un jour plus tard, il reçut l'ordre par radio de retourner à Eniwetok. Un sous-marin japonais l'attendait sur la route de Saipan. C'était invraisemblable car c'était des eaux que le navire n'arrêtait pas d'emprunter et un sous-marin s'y baladait.
4 juillet-11 juillet 1944, Eniwetok
Encore, le navire se prépara pour un autre voyage à Saipan.
L'équipage prit à bord deux orphelins de guerre japonais, natifs de l'île de Saipan. Ils avaient été récupérés par un transport pendant le combat et on les avait ramené à Eniwetok. Le Relief avait été désigné pour les prendre et les ramener à Saipan afin de les confier aux autorités chargés de retrouver leur famille, et si possible, leur maison. Un était un garçon de sept ans et l'équipage l?appela "Butch". L'autre était une fille de douze ans et elle fut surnommée "Susie". Ils avaient été blessés quand les américains avaient envahi l'île et ils avaient été récupérés par les Marines.
La première fois qu'ils vinrent à bord, ils furent terriblement apeurés. On leur avait donné une chambre séparée dans les quartiers des officiers malades, et un homme s'occupait en permanence d'eux. Ils étaient les seuls patients sur la route à Saipan. Le navire n'eut jamais de patients comme eux. Japonais ou non, ils étaient des enfants impuissants, épouvantés et seuls, jetés soudainement dans l'horreur brutale de la guerre. L'équipe médicale entière se dévouait corps et âme pour les aider. Les infirmières leur fabriquèrent des vêtements et les membres d'équipages leur apportèrent de la glace. Quelqu'un donna à Butch un yo-yo. Les infirmières confectionnèrent à Susie une poupée habillée. Butch était tellement habitué à dormir sur le sol que les hommes eurent un mal fou à le garder dans un lit. L'homme restait derrière les portes de leur chambre jusqu'à ce qu'ils s'endorment. Une nuit, quand il regarda si tout se passait bien, Butch avait disparu. Il avait grimpé par le hublot à bâbord et on le retrouva assoupi dans les voies d'eau dures du pont.
15 juillet-19 juillet 1944, Saipan
Le navire était organisé de la même façon qu'à son premier voyage à Saipan. L'île n'était pas encore sécurisée, mais la bataille progressait et la plupart des montagnes appartenaient aux Marines.
Le 7 juillet, une grande partie des 22 000 civils avait participé à une charge suicide contre les américains. Ceux-ci avaient été présenté par la propagande japonaise comme des monstres et des cannibales, et le gouverneur de Saipan avait reçu un message du Palais Impérial l'informant que tout civil qui mourrait en se battant contre les Américains se verrait accorder les mêmes privilèges après leur mort que les soldats morts pour l'empereur. Les civils japonais se jetèrent donc dans cette bataille avec la force du désespoir, mais une tragédie commença lorsque les japonais comprirent que les américains allaient gagner la bataille sur l?île. Au fur et à mesure que les américains avançaient, les civils qui ne combattaient pas fuyaient. Lorsque les Américains atteignirent le nord de l'île, des milliers de civils, hommes femmes et enfants se trouvèrent bloqués par les falaises qui dominaient la mer. Des suicides de masse commencèrent alors. D?abord, ce fut les militaires. Le lieutenant général Yoshijo Saïto, gouverneur de l?île et le vice-amiral Chuichui Nagumo, commandant les forces navales japonaises dans le Pacifique central. Saïto, trop faible pour s?administrer lui-même le seppuku traditionnel, se fit exécuter par un aide. La plupart des soldats survivants se donnèrent la mort à la grenade. Quelques centaines d?entre eux fuirent à la nage en direction des récifs coralliens, ou un officier japonais décapitait ses propres hommes. Puis ce fut au tour des civils : plutôt que de se rendre aux Américains, des milliers se suicidèrent alors en sautant du haut des falaises. Des femmes tranchaient la gorge de leurs enfants avec une lame de rasoir avant de se jeter dans le vide. Des interprètes réussirent à en dissuader, mais on estime que 8 000 civils se suicidèrent en sautant de lieux qui portent maintenant les noms de Suicide Cliff et Banzai Cliff.
Des interprètes tentèrent de dissuader les civils japonais de se suicider
Quand le Relief approcha des côtes de Saipan, des corps flottaient de chaque côté du navire. L?équipage, effaré et muet, les observait dériver au gré des courants.
Le Relief prit à bord 276 japonais blessés, en plus des victimes américaines. En plus des blessés japonais s?ajoutaient des troupes coréennes. Ils voulaient à tout prix faire savoir qu'ils étaient coréens. Ils répétaient " Chrétien coréen, comme vous" et pointaient les japonais du doigt en disant " Nippons". Ils pensaient qu'ils allaient recevoir un meilleur traitement. Mais sur un navire-hôpital, il n'y a pas de japonais, d'américains, d'allemands ou de coréens. Un homme blessé est un homme blessé, sans différenciation selon la race, la croyance ou la couleur.
Parmi les japonais, il y en avait plusieurs qui parlaient anglais. Un était diplômé de la High School McKinley à Honolulu, à Hawaï; un autre était diplômé d'une université d'Hawaï. Un des japonais était appelé "Good time Charlie' par l'équipage. Il souriait tout le temps, s'inclinait sans arrêt et répétait à l'équipage qu'il voulait se rendre utile. Les hommes le mirent au travail pour nettoyer les têtes, servir les repas, aider les docteurs à changer les robes et le mieux de tout, pour agir comme interprète. Il put ainsi aider les docteurs à déterminer la nature et l'étendue des blessures parmi les blessés japonais.
Au début, les japonais étaient nourris de la même façon que les américains. Après quelques jours, il devint évident que la nourriture américaine était trop riche pour leur estomac. En effet, leur ration de garnison comprenait 560g de riz ou d?orge, et de l?argent pour s?acheter viande, poisson ou légume. Quant à leur ration de combat, elle comprenait quelques 200g de nourriture, dont 50% de riz, mais aussi des légumes et de la viande. La ration de combat des américains était la ration K, du nom de son créateur, le docteur Keyes. Son apport, qui s?élevait à 3000 calories, entendait satisfaire aux besoins du soldat sans que celui-ci ait à transporter une charge trop lourde. Les blessés japonais demandèrent donc du riz.
Parmi les japonais, il y avait beaucoup de cas de Tétanos. En revanche, pas un seul américain. Les japonais ne vaccinaient pas leurs troupes contre le tétanos; les américains le faisaient.
Beaucoup de japonais demandaient à ce que la chirurgie radicale soit appliquée soir eux. Une blessure sur le bras ou la jambe et les japonais demandaient à ce que les docteurs amputent alors que les américains auraient demandé à ce que l'on sauve leur membre. L'équipe médicale apprit que la chirurgie radicale était courante parmi les médecins militaires japonais. Les japonais à bord du Relief, cependant, étaient traités en accord avec les standards américains.
Un officier de la Marine Intelligence demanda aux japonais s'ils comptaient retourner au Japon après la guerre. Presque tous répondirent qu'ils ne voudraient jamais revenir au Japon s'ils pouvaient lui être utile. Ils avaient goûté au bonheur que leur interdisait le régime japonais et ils ne voulaient plus retourner dans leur pays.