Marc,
Je te remercie mais ce n'est qu'un travail de "rat de bibliothèque", un peu passionné. Si "j'ai lu tous les livres" ou presque, (je cite Mallarmé, ça nous change du fameux poème de Verlaine

), il me manque d'autres perspectives pour faire oeuvre d'historien. Emmanuel me renvoie justement à la consultation plus ardue des AARs. Tu as connu Maurice Chauvet. Je n'ai pas eu cette chance de m'entretenir avec un ou plusieurs témoins directs. Tu dois t'en douter, j'ai souvent pensé à écrire à des vétérans mais y ai renoncé chaque fois, de peur d'importuner avec mes questions d'honorables vieillards, qui sont aussi des "monuments" intimidants. Mais je me suis déjà trop investi et trop de questions restent en suspens pour que je m'arrête là.
Le passage de N. Hugedé que tu cites est l'un de ceux qui me paraissent les plus intéressants et crédibles. Outre son accord avec l'opinion de M. Chauvet, il est cohérent: le couple d'instituteurs, qui logeait dans une chambre de la mairie/école, a été l'un des premiers réveillé et à comprendre qu'il se passait quelque chose d'"anormal". Le contrôle de ce bâtiment au carrefour, (la "T-junction") était une priorité stratégique pour les Anglais, qui s'y sont précipités dès la prise du pont. Rien de surprenant dans le fait que l'institutrice, alertée, ait pu se rendre chez les Picot. Je saisis l'occasion pour mieux préciser le sentiment que m'inspire le livre de N. Hugedé: il est pour moi une énigme. D'un côté, la forme qu'il adopte, celle du récit, le conduit à des développements qui laissent dubitatif le "chercheur" scrupuleux (voir le passage cité dans ma première réponse). Mais cela contribue aussi à l'immersion du lecteur dans l"ambiance" des évènements, et le rend passionnant à lire. D'un autre côté, comme il ne cite pas ses sources, ou très peu, on éprouve une frustration. Par exemple dans l'épisode que tu reprends, on s'attendrait sous forme de notes à: "d'après le témoignage de X, telle date, etc." Mais, visiblement, ce n'était pas son projet et il faut l'accepter comme tel. Pour résumer, je reprends l'opinion la plus commune concernant l'ouvrage, y compris dans le monde anglo-saxon: s'il est parfois "douteux" concernant la stricte relation des opérations militaires, il propose néanmoins une grande richesse de témoignages civils. Bon, après il faut faire le tri, et malheureusement l'auteur n'est plus là pour nous éclairer sur son travail et ses méthodes, comme tu l'as dit précédemment.
Maintenant, le cas des Gondrée et de leur café. C'est en effet un "cas" qui englobe des conflits d'intérêts privés (quelquefois franchement indignes) jusqu'à rejoindre les rubriques juridiques et même "people" de gazettes régionales et de journaux anglais. Je ne m'engagerai pas dans ces questions qui m'intéressent assez peu, ne serait-ce aussi que pour éviter à ton site les soucis que tu as déjà connus. Cela ne m'étonne pas, de même que l'ostracisme scandaleux dont a été victime M. Chauvet (je l'ignorais), et quelques autres. Pour en savoir les détails, on trouvera facilement sur le Web des articles et témoignages tristement croustillants. Tapez "Arlette Gondrée" sur Google. Chacun se fera son opinion, mais attention quand même aux rumeurs... Je me rappelle avoir lu un article du premier directeur du Mémorial, qui allait jusqu'à remettre en cause la nature du réel engagement des Gondrée dans la Résistance. C'est peut-être aller loin, et on était en pleine polémique. Là encore aucune preuve à ma connaissance, donc Stop!
Comme tu le dis, ce café est une institution. Je comprends que les vétérans anglais y soient toujours restés attachés, jusqu'au point peut-être de fermer un peu les yeux sur certains de leurs souvenirs. Mais il faut des symboles, des lieux de pèlerinage...Les questions de gros sous ne tardent pas à apparaître aussi.
Enfin, il me semble que la question posée est indécidable tant que l'on n'a pas défini ce qu'on entend par "libérer". Est-ce le fait de pénétrer dans un lieu pour vérifier s'il n'abrite pas des ennemis cachés, éventuellement les chasser, puis repartir? Ou pour y laisser un ou deux hommes chargés de prévenir une éventuelle contre-attaque? Dans ce cas oui, le café Picot a bien été la première maison libérée. Et peut-être d'autres bâtiments aussi, "mopped up" car soupçonnés de protéger des soldats qui s'y étaient réfugiés. Par ex: la maison (toujours existante) en face de la mairie a été le théâtre d'une brève fusillade. Tout cela s'est produit AVANT que les Britanniques n'investissent le café Gondrée pour y établir une infirmerie de fortune. Dans les premières heures de la nuit, les soldats sont restés plutôt à l'extérieur des maisons, ordonnant aux habitants qui sortaient de rester à l'abri chez eux. C'est ce qui s'est produit lorsque Georges Gondrée s'est mis devant sa fenêtre afin de savoir ce qui se passait. Ou bien la libération est le fait d'investir un lieu pour s'y établir définitivement , en lui assignant une fonction particulière, ici un centre de premiers secours. Alors oui, Gondrée, si l'on veut.
Pour l'anecdote, des civils Français ont revendiqué ce "titre" parce qu'ils avaient caché un membre des services de renseignement ou un aviateur 2-3 jours avant le D-Day...D'un point de vue purement historique cela est peu important. Mais s'il fallait trancher, je serais plutôt d'accord avec ton idée. D'autres sources vont dans le sens de N. Hugedé ou M. Chauvet (je n'ai pas les références, j'écris de mémoire). Mais le café comme lieu de soins, les liens des Gondrée avec la résistance (et un certain opportunisme?) en ont fait ce lieu symbolique consacré par J. Howard lui-même.
A titre personnel, lorsque je me rends à Bénouville, je ne suis pas plus "édifié" par le café que par d'autres lieux mémorables. Justement, le "mystère" du café Picot, détruit prématurément et dont je n'ai trouvé ni photo ni plan m'intrigue davantage. Qui sait? Des archéologues futurs en retrouveront des vestiges sous l'emplacement de l'horrible brasserie des 3 planeurs, une fois qu'elle aura à son tour été rasée... Et encore de nouveaux copains pour moi!
Cordialement,
Laurent.