Montgomery et l'évolution du front de la 21st Army
Posté : 05 nov., 18:45
Voici un sujet dédié à Montgomery et les différences de progression entre les 1ère et la 2ème armées alliées pendant la bataille de Normandie.
Je viens de terminer l’édition Heimdal de 2006 du livre « Goodwood, Normandie 1944 » de George Bernage et Philippe Wirton (lien bibliographie : http://www.amazon.fr/gp/product/2840481 ... 2840481898). Si cet ouvrage (comportant toujours des fautes de frappe et d’autres erreurs comme souvent chez Heimdal , avec par exemple des « juin » à la place de « juillet », ce qui est regrettable pour des ouvrages pointus de ce genre) est plutôt même essentiellement centré sur les forces allemandes, avec les témoignages forts intéressants de Hans von Luck, une partie (tout au début) m’a donné l’envie d’écrire ce post, à savoir celle dédiée à Bernard Law Montgomery, commandant en chef de la 21st Army.
Je cite (page 2) : « Les thuriféraires* de Montgomery ont affirmé, après lui, pour justifier la lente progression de ses troupes, qu’il avait pour mission d’attirer les divisions de panzer dans le secteur de Caen afin de faciliter la percée américaine sur l’aile droite. C’est une thèse construite a posteriori après le succès de la percée américaine. »
*Thuriféraire : un clerc chargé de l'encensoir, sous-entendu quelqu’un qui voue un culte.
Dans la suite de l’article, les auteurs font un état des forces allemandes dans le secteur américain et le secteur britannique, puis un état de l’expérience tactique des uns et des autres, puis un état des capacités technologiques des armées belligérantes et enfin un état du moral des troupes. Je ne voue pas de culte à Monty, mais je tiens à donner mon avis sur certains points.
La question des effectifs :
Concernant les forces allemandes, George Bernage et Philippe Wirton expliquent qu’elles sont équitablement réparties en Normandie et que les Anglo-Canadiens n’ont pas, face à eux, plus d’Allemands que les Américains.
Or, à la fin du mois de juin 1944 dans le secteur de Caen, six divisions de panzers (dans l’ordre les 1ère, 9ème, 10ème, 12ème, 21ème S.S. Panzer ainsi que la Panzer Lehr jusqu’au 2 juillet) et trois bataillons de chars lourds sont engagés. Face aux Américains au même moment, les Allemands alignent trois divisions de panzers (la 2ème et la 17ème S.S. Panzer, la 2ème Panzer) et sont donc renforcés à compter du 2 juillet par la Panzer Lehr. Dans les faits, il faut être honnête, l’essentiel des blindés allemands et en particuliers les chars lourds, sont déployés dans le secteur de Caen, face à la 2ème armée alliée. S’il est clair que ce n’était pas l’objectif de Monty au mois de mai 1944, les Allemands ont de facto concentré leurs efforts sur Caen, et le déploiement tardif de la Panzer Lehr face aux Américains n’y change rien. Dans l’article, il est écrit « Monty a menti », je pense que c’est un peu fort. Selon moi Monty s’est adapté à la réaction allemande et a effectivement profité de la situation pour fixer les chars de ses adversaires autour de Caen.
Voilà pour les effectifs. Monty n’a pas fait fuir les blindés lourds vers les troupes américaines, il en a fixé la majeure partie.
La question de la qualité psychologique et technologique des belligérants :
Cette différence d’évolution du front par rapport aux plans initialement prévus et arrêtés en mai 1944 ne remet pas en question selon moi la qualité des soldats britanniques, qui d’après les auteurs (je trouve cela insuffisamment justifié) ont plus souffert psychologiquement que leurs homologues de la 1st Army, connaissant un certain nombre de mutilations volontaires et de défections dans leurs rangs au combat. Il est clair qu’à la guerre, rien ne se passe comme prévu mais il faut effectivement s’en tenir au maximum aux objectifs initialement désignés. C’est le fameux « brouillard de la guerre » de Clausewitz : les armées sont condamnées à s’adapter par rapport aux plans initialement prévus. Et si la 2ème armée n’a pas progressé aussi rapidement que prévu, Monty doit-il nécessairement être condamné ? Les délais n’ont pas été respectés, certes, mais ce n’est pas une raison pour blâmer Monty, ses armées ont quand même remporté la victoire.
Concernant l’état technologique des armées belligérantes, je suis entièrement d’accord avec les auteurs, ce n’est pas discutable : les chars allemands sont nettement plus redoutables que les Sherman ou les Churchill. Il ne faut pas non plus oublier le rôle majeur des batteries de 88 mm et des Pak déployés dans le secteur de Caen, qui ont stoppé plusieurs escadrons britanniques et canadiens en quelques heures seulement. De plus, et c’est abordé plus loin dans l’ouvrage, l’infanterie n’est pas appuyée par les chars et inversement. C’est un point majeur de la tactique de la bataille de Normandie, l’absence régulière de coordinations entre chars et infanterie qui occasionne de terribles pertes dans les rangs alliés (et qui les empêche également de prendre Caen dans la soirée du Jour J). La solution est partiellement apportée lors de l’opération Totalize le 8 août 1944 par le général Simonds commandant le 2ème corps canadien avec la modification d’obusiers M7 Priest leur permettant de transporter jusqu’à vingt fantassins : le Kangaroo A.P.C. est le premier véhicule blindé de combat d’infanterie et son engagement marque les débuts de l’infanterie mécanisée.
La question du terrain :
L’un des points abordés dans cet ouvrage est la question du terrain. L’étude de ce dernier aurait mérité un peu plus, car c’est ici la clé de voûte du débat sur la progression de la 2ème armée en Normandie. Selon les auteurs, les Américains ont face à eux le terrain le plus délicat de Normandie : le fameux bocage. Une région très compartimentée, favorable à la défense, limitant l’observation et l’emploi des chars (pour en savoir plus sur le sujet du combat des haies : http://www.dday-overlord.com/guerre_haies.htm). Tout est dit. Voilà également l’une des explications pour lesquelles les Allemands ont peu employé les chars : les haies sont de véritables pièges pour les blindés car ce sont des masques et les chars peuvent alors être approchés au plus près par l’infanterie adverse. Le bocage est un terrain de l’infanterie, facilitant les infiltrations à pieds, les embuscades et les débordements. Si la défense a l’avantage de pouvoir y valoriser son secteur, l’attaquant a l’avantage de pouvoir y manœuvrer de multiples manières.
En revanche, et quel dommage cela n’est pas véritablement développé dans cet ouvrage, la région de Caen est propice aux combats de rencontre, aux batailles de chars et aux duels d’artillerie, du fait des importants découverts et des points hauts permettant l’observation. Les Allemands ont pris possession des points clés du terrain (par exemple la cote 112 et les hauteurs de Bourguébus) et aussi bien leurs blindés que leur artillerie freinent toute possibilité de progression anglo-canadienne. Les quelques positions qui ont été enlevées (comme l’aéroport de Carpiquet) l’ont été au prix de pertes catastrophiques, rappelant les combats de la Grande Guerre. A mon sens, contrairement à ce que l’on peut penser, c’est la nature même du terrain (plutôt que la qualité combattante des hommes), dont les effets sont accentués par les différences matérielles des deux camps, qui est à l’origine de la faible progression de la 2ème armée dans la région de Caen.
Conclusion :
Monty, face à ce terrain tout particulièrement bien valorisé par les Allemands, a tenté de faire sauter le verrou de la Plaine de Caen avec de multiples opérations (Opération Perch, 7 juin 1944 - Opération Epsom, 26 juin 1944 - Opération Windsor, 4 juillet 1944 - Opération Charnwood, 7 juillet 1944 - Opération Goodwood, 18 juillet 1944 - Opération Spring, 25 juillet 1944 - Opération Bluecoat, 30 juillet 1944 - Opération Totalize, 8 août 1944 - Opération Tractable, 14 août 1944). Mais face à la concentration et la qualité des moyens adverses, un terrain ne lui permettant pas de profiter pleinement de ses effectifs et la crainte d’atteindre des sommets en matière de pertes humaines (une préoccupation qui est toute à son honneur), Monty a fait porter l’effort sur les troupes américaines de la 1ère armée, adaptant le plan initialement prévu à l’ensemble de ces paramètres. D’autant plus que l’effort allié au lendemain du débarquement porte bien sur la prise de Cherbourg en secteur américain. Entre-temps, les Allemands veulent reprendre Caen et y sont fixés par des troupes britanniques qui tiennent bon sous les bombes et les violentes contre-attaques adverses.
Bien cordialement.
Je viens de terminer l’édition Heimdal de 2006 du livre « Goodwood, Normandie 1944 » de George Bernage et Philippe Wirton (lien bibliographie : http://www.amazon.fr/gp/product/2840481 ... 2840481898). Si cet ouvrage (comportant toujours des fautes de frappe et d’autres erreurs comme souvent chez Heimdal , avec par exemple des « juin » à la place de « juillet », ce qui est regrettable pour des ouvrages pointus de ce genre) est plutôt même essentiellement centré sur les forces allemandes, avec les témoignages forts intéressants de Hans von Luck, une partie (tout au début) m’a donné l’envie d’écrire ce post, à savoir celle dédiée à Bernard Law Montgomery, commandant en chef de la 21st Army.
Je cite (page 2) : « Les thuriféraires* de Montgomery ont affirmé, après lui, pour justifier la lente progression de ses troupes, qu’il avait pour mission d’attirer les divisions de panzer dans le secteur de Caen afin de faciliter la percée américaine sur l’aile droite. C’est une thèse construite a posteriori après le succès de la percée américaine. »
*Thuriféraire : un clerc chargé de l'encensoir, sous-entendu quelqu’un qui voue un culte.
Dans la suite de l’article, les auteurs font un état des forces allemandes dans le secteur américain et le secteur britannique, puis un état de l’expérience tactique des uns et des autres, puis un état des capacités technologiques des armées belligérantes et enfin un état du moral des troupes. Je ne voue pas de culte à Monty, mais je tiens à donner mon avis sur certains points.
La question des effectifs :
Concernant les forces allemandes, George Bernage et Philippe Wirton expliquent qu’elles sont équitablement réparties en Normandie et que les Anglo-Canadiens n’ont pas, face à eux, plus d’Allemands que les Américains.
Or, à la fin du mois de juin 1944 dans le secteur de Caen, six divisions de panzers (dans l’ordre les 1ère, 9ème, 10ème, 12ème, 21ème S.S. Panzer ainsi que la Panzer Lehr jusqu’au 2 juillet) et trois bataillons de chars lourds sont engagés. Face aux Américains au même moment, les Allemands alignent trois divisions de panzers (la 2ème et la 17ème S.S. Panzer, la 2ème Panzer) et sont donc renforcés à compter du 2 juillet par la Panzer Lehr. Dans les faits, il faut être honnête, l’essentiel des blindés allemands et en particuliers les chars lourds, sont déployés dans le secteur de Caen, face à la 2ème armée alliée. S’il est clair que ce n’était pas l’objectif de Monty au mois de mai 1944, les Allemands ont de facto concentré leurs efforts sur Caen, et le déploiement tardif de la Panzer Lehr face aux Américains n’y change rien. Dans l’article, il est écrit « Monty a menti », je pense que c’est un peu fort. Selon moi Monty s’est adapté à la réaction allemande et a effectivement profité de la situation pour fixer les chars de ses adversaires autour de Caen.
Voilà pour les effectifs. Monty n’a pas fait fuir les blindés lourds vers les troupes américaines, il en a fixé la majeure partie.
La question de la qualité psychologique et technologique des belligérants :
Cette différence d’évolution du front par rapport aux plans initialement prévus et arrêtés en mai 1944 ne remet pas en question selon moi la qualité des soldats britanniques, qui d’après les auteurs (je trouve cela insuffisamment justifié) ont plus souffert psychologiquement que leurs homologues de la 1st Army, connaissant un certain nombre de mutilations volontaires et de défections dans leurs rangs au combat. Il est clair qu’à la guerre, rien ne se passe comme prévu mais il faut effectivement s’en tenir au maximum aux objectifs initialement désignés. C’est le fameux « brouillard de la guerre » de Clausewitz : les armées sont condamnées à s’adapter par rapport aux plans initialement prévus. Et si la 2ème armée n’a pas progressé aussi rapidement que prévu, Monty doit-il nécessairement être condamné ? Les délais n’ont pas été respectés, certes, mais ce n’est pas une raison pour blâmer Monty, ses armées ont quand même remporté la victoire.
Concernant l’état technologique des armées belligérantes, je suis entièrement d’accord avec les auteurs, ce n’est pas discutable : les chars allemands sont nettement plus redoutables que les Sherman ou les Churchill. Il ne faut pas non plus oublier le rôle majeur des batteries de 88 mm et des Pak déployés dans le secteur de Caen, qui ont stoppé plusieurs escadrons britanniques et canadiens en quelques heures seulement. De plus, et c’est abordé plus loin dans l’ouvrage, l’infanterie n’est pas appuyée par les chars et inversement. C’est un point majeur de la tactique de la bataille de Normandie, l’absence régulière de coordinations entre chars et infanterie qui occasionne de terribles pertes dans les rangs alliés (et qui les empêche également de prendre Caen dans la soirée du Jour J). La solution est partiellement apportée lors de l’opération Totalize le 8 août 1944 par le général Simonds commandant le 2ème corps canadien avec la modification d’obusiers M7 Priest leur permettant de transporter jusqu’à vingt fantassins : le Kangaroo A.P.C. est le premier véhicule blindé de combat d’infanterie et son engagement marque les débuts de l’infanterie mécanisée.
La question du terrain :
L’un des points abordés dans cet ouvrage est la question du terrain. L’étude de ce dernier aurait mérité un peu plus, car c’est ici la clé de voûte du débat sur la progression de la 2ème armée en Normandie. Selon les auteurs, les Américains ont face à eux le terrain le plus délicat de Normandie : le fameux bocage. Une région très compartimentée, favorable à la défense, limitant l’observation et l’emploi des chars (pour en savoir plus sur le sujet du combat des haies : http://www.dday-overlord.com/guerre_haies.htm). Tout est dit. Voilà également l’une des explications pour lesquelles les Allemands ont peu employé les chars : les haies sont de véritables pièges pour les blindés car ce sont des masques et les chars peuvent alors être approchés au plus près par l’infanterie adverse. Le bocage est un terrain de l’infanterie, facilitant les infiltrations à pieds, les embuscades et les débordements. Si la défense a l’avantage de pouvoir y valoriser son secteur, l’attaquant a l’avantage de pouvoir y manœuvrer de multiples manières.
En revanche, et quel dommage cela n’est pas véritablement développé dans cet ouvrage, la région de Caen est propice aux combats de rencontre, aux batailles de chars et aux duels d’artillerie, du fait des importants découverts et des points hauts permettant l’observation. Les Allemands ont pris possession des points clés du terrain (par exemple la cote 112 et les hauteurs de Bourguébus) et aussi bien leurs blindés que leur artillerie freinent toute possibilité de progression anglo-canadienne. Les quelques positions qui ont été enlevées (comme l’aéroport de Carpiquet) l’ont été au prix de pertes catastrophiques, rappelant les combats de la Grande Guerre. A mon sens, contrairement à ce que l’on peut penser, c’est la nature même du terrain (plutôt que la qualité combattante des hommes), dont les effets sont accentués par les différences matérielles des deux camps, qui est à l’origine de la faible progression de la 2ème armée dans la région de Caen.
Conclusion :
Monty, face à ce terrain tout particulièrement bien valorisé par les Allemands, a tenté de faire sauter le verrou de la Plaine de Caen avec de multiples opérations (Opération Perch, 7 juin 1944 - Opération Epsom, 26 juin 1944 - Opération Windsor, 4 juillet 1944 - Opération Charnwood, 7 juillet 1944 - Opération Goodwood, 18 juillet 1944 - Opération Spring, 25 juillet 1944 - Opération Bluecoat, 30 juillet 1944 - Opération Totalize, 8 août 1944 - Opération Tractable, 14 août 1944). Mais face à la concentration et la qualité des moyens adverses, un terrain ne lui permettant pas de profiter pleinement de ses effectifs et la crainte d’atteindre des sommets en matière de pertes humaines (une préoccupation qui est toute à son honneur), Monty a fait porter l’effort sur les troupes américaines de la 1ère armée, adaptant le plan initialement prévu à l’ensemble de ces paramètres. D’autant plus que l’effort allié au lendemain du débarquement porte bien sur la prise de Cherbourg en secteur américain. Entre-temps, les Allemands veulent reprendre Caen et y sont fixés par des troupes britanniques qui tiennent bon sous les bombes et les violentes contre-attaques adverses.
Bien cordialement.