Les messages de la BBC annonçaient-ils vraiment le débarquement de Normandie ?

Les fausses légendes du Jour J

Franck Bauer BBC Radio-Londres-Francais parlent aux Francais

Franck Bauer, l’une des fameuses voix de l’émission Radio-Londres diffusée sur la BBC, comprenant les fameux « messages personnels » des Français qui « parlent aux Français ».
Photo : DR.

La première fausse légende du Jour J : « un message de la BBC annonçait le débarquement de Normandie ».

Les « messages personnels » de la BBC (British Broadcasting Corporation) n’ont jamais annoncé le débarquement de Normandie, comme j’ai pu régulièrement le lire ou l’entendre, en particulier lors des périodes de commémorations. Imaginez une seule seconde que les Alliés aient pu envisager de déclarer sur les ondes, et en clair, qu’un assaut de près de 150 000 hommes était imminent, sans la certitude que leur code ne soit pas percé à jour par les Allemands…

Bien évidemment, chaque message était destiné à un groupe de résistants (quand le message n’était pas un faux code destiné à faire travailler les analystes allemands pour rien). Leur signification n’avait rien d’extraordinaire : il s’agissait d’ordonner la destruction d’un pont, de déclencher une embuscade, il annonçait un parachutage ou une livraison d’armes. Les résistants d’un groupe n’avaient pas connaissance de la signification d’un message destiné à un autre groupe, afin d’éviter la fuite d’information en cas de récupération du code par l’ennemi.

Ce qui est extraordinaire durant la semaine précédant le Jour J, c’est la quantité de messages diffusés sur les ondes. Ce n’est pas UN message qui annonçait LE débarquement. Qu’on se le dise une bonne fois pour toutes !


La deuxième fausse légende du Jour J : « la BBC a diffusé les vers de Verlaine pour annoncer le débarquement » .

Le message codé « Les sanglots longs des violons de l’automne… » avait déjà été utilisé en 1943 sur les ondes de Radio-Londres, au profit du réseau de résistance « Butler » dirigé par Jean Bouguennec, alias « Max ».

La première partie de ce message, « Les sanglots longs des violons de l’automne » , est diffusée sur les ondes de la BBC dès le 1er juin 1944 dans le cadre de l’émission « Les Français parlent aux Français ». Ce code précis est destiné au réseau « Ventriloquist » de Philippe de Vomécourt, installé en Sologne (au sud de l’Orléanais). Il met en alerte ses résistants qui doivent se préparer à réaliser des sabotages des voies de communication dans leur secteur, sur ordre et dans les sept jours suivant l’émission du message.

La deuxième partie, « Bercent mon cœur d’une langueur monotone » (écouter la version originale à 1:40 ici : https://www.youtube.com/watch?v=VqXsgujDjOY… ), est diffusée sur les mêmes ondes le 5 juin 1944 à 21h15, heure de Paris, simultanément à plusieurs dizaines d’autres codes. Ce message, toujours destiné au réseau de résistance Ventriloquist, signifie que les actions de sabotages en Sologne doivent être réalisées dans les 48 heures.

Alors, « Blessent » ou « Bercent » ? Il faut noter que les Allemands ont recopié les mots des vers originaux de Verlaine dans leur rapport du 5 juin (version présentée ci-dessous, conservée au musée de Tourcoing), en précisant « Blessent » mais avec une erreur de retranscription – « longueur » au lieu de « langueur » .

Messages de la résistance, conservés au musée de Tourcoing.

Journal allemand des messages de la résistance, conservé au musée de Tourcoing.
Document : Musée de Tourcoing.

Cette différence s’explique notamment par la proximité du poème de Verlaine avec une chanson de Charles Trenet, ce dernier s’en étant inspiré largement pour composer son propre « Chansons d’Automne » en remplaçant « blessent » par « bercent ».

Cette chanson, particulièrement populaire dans les années 1940, est très probablement à l’origine des nombreuses inversions entre « bercent » et « blessent » dans nos livres d’histoire.

Le registre de Charles Trenet a d’ailleurs inspiré un autre code diffusé le 5 juin 1944 sur les ondes de la BBC : « Les enfants s’ennuient le dimanche » .

Malheureusement, le film « Le Jour le plus long » a réalisé son propre enregistrement des « messages personnels » de la BBC, évoquant Verlaine au lieu de Trenet. L’extrait du film est désormais présenté par le musée de Tourcoing, et non celui – original – de la BBC…

Mais ce musée n’est pas le seul à prendre ses libertés avec l’histoire : d’autres que lui font référence à « blessent mon cœur » au lieu de « bercent mon cœur » .

Un véritable travail d’historien a été fort heurement réalisé dans un excellent ouvrage qui explique parfaitement pourquoi la référence est bien celle de Trenet, et non Verlaine : celui de Michael R. D. Foot et Jean-Louis Crémieux-Brilhac « Des Anglais dans la Résistance: Le SOE en France, 1940-1944 » , publié en 2011 aux éditions Tallandier.

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Auteur : Marc Laurenceau – Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur – Contact Webmaster