Les objectifs de l’opération Epsom
La ville de Caen est un des objectifs majeurs des armées britanniques engagées en Normandie. De durs combats s’engagent dès le 6 juin au soir pour la conquête de cette ville qui devait justement tomber aux mains des Alliés le Jour J, conformément aux plans initialement prévus. Le général anglais Montgomery concentre ses efforts et décide de la mise sur pied de plusieurs opérations afin de conquérir Caen dans les semaines qui suivent le début du débarquement de Normandie.
Le déroulement tactique imaginé par les généraux britanniques consiste à percer le front allemand en contournant la ville de Caen par l’ouest tout en prenant les ponts sur la rivière Odon. Pas moins de trois corps d’armées britanniques sont engagés dans l’opération : le 1er corps, le 8ème corps et le 30ème corps.
Ce sont les Allemands de la 12ème S.S. Panzerdivision Hitlerjugend qui défendent le secteur, à savoir le 26ème S.S. Panzergrenadier-Regiment (sur la ligne Fontenay-le-Pesnel et Saint-Manvieu) appuyé par le 12ème S.S. Panzer-Regiment, le 101ème S.S. Panzer-Abteilung et le III. Flak-Korps. Depuis le début de l’opération Overlord, ils ont valorisé d’excellentes positions défensives, reconnu tous les itinéraires d’accès et préparé de multiples catalogues de tirs pour leur artillerie. La division compte dans ses rangs 58 Panzer IV et 44 Panther le 25 juin 1944.
Le terrain est composé de vastes plaines céréalières favorables à un combat de blindés en raison des possibilités d’observation à grande distance. Les herbes et plantes céréales sont hautes en ce mois de juin et gênent la progression de la troupe ; elles permettent toutefois de se dissimuler aux vues de l’adversaire. Les compartiments de terrains sont majoritairement plats et découverts, parsemés irrégulièrement de haies (moins fréquentes que dans le Cotentin) et de bois. Si le relief n’est pas important, de très basses collines parsèment tout de même la région comme les cotes 112 et 113. Plusieurs villages et hameaux se trouvent dans le secteur ainsi que des fermes isolées et des ponts sur la rivière Odon dont les berges ne permettent pas aux véhicules de traverser en s’affranchissant des ouvrages d’art : ces derniers permettent d’accéder aux plaines sud de Caen. En somme, c’est un espace de manoeuvre favorable à la défense, en particulier pour les observateurs d’artillerie et les tireurs embusqués.
Initialement prévue pour le 19 juin 1944, l’opération Epsom est reportée du fait de la tempête qui, du 18 au 20 juin, retarde les débarquements en ravitaillements, en hommes et en équipements. En effet, les ports artificiels alliés ne sont plus en état de fonctionner au lendemain des violentes conditions météorologiques : le port d’Arromanches peut être réparé, mais celui de Saint-Laurent est entièrement détruit par la houle. Malgré tout, le 24 juin, Montgomery estime que ses forces (près de 60 000 soldats) sont suffisantes pour lancer Epsom.
Les Ecossais du 6th Battalion Royal Scots Fusiliers progressent dans la brume normande. Photo : IWM |
Lancement de l’opération Epsom
Le 24 juin, les sapeurs canadiens débutent l’ouverture discrète de brèches pour permettre aux Alliés de déboucher au moment de l’offensive. Le 25 juin, les troupes anglo-canadiennes (représentant un total de 60 000 hommes et 600 chars) se mettent en place sur leur base de départ.
Le 26 juin 1944, l’attaque des troupes au sol précédé par un tir roulant d’artillerie qui commence à 07h30 et qui progresse de 90 mètres toutes les trois minutes. L’infanterie et les blindés suivent à distance, mais les avions alliés ne peuvent décoller, en raison de conditions atmosphériques désastreuses : il n’y a pas d’appui de la troisième dimension en cette matinée d’attaque.
La 49ème division d’infanterie britannique West Riding attaque ainsi en direction de Fontenay-le-Pesnel, mais dans les environs, la Panzer Lehr n’abandonne rien, à l’image du village de Rauray, situé au sud-ouest de Tilly, qui est fermement défendu par le 1er corps blindé SS et où de durs combats s’engagent pour le contrôle de cette localité. Les pertes sont importantes et les Anglo-Canadiens sont également retardés par les tireurs isolés allemands et les champs de mines.
26 juin, durant l’opération Epsom, les Ecossais du 6th Battalion Royal Scots Fusiliers sont en action. Photo : IWM |
Les adversaires des Britanniques, les fanatiques Jeunesses Hitlériennes, se battent jusqu’à la mort et multiplient les contre-attaques qui désorganisent les troupes britanniques. Les pertes sont élevées des deux côtés du front. Lors de cette première journée d’intenses combats, les hameaux du Haut du Bosq, La Gaule, Colleville sont libérés et les Canadiens se rapprochent de Saint-Manvieu. Cependant, si la plupart des objectifs prévus sont atteints à la tombée de la nuit, Rauray et ses hauteurs demeurent toujours aux mains des Allemands : le saillant que les Canadiens (aussi appelé le « couloir des Ecossais ») ont percé à l’ouest de Caen est menacé sur ses deux flancs.
La localité de Cheux, directement au sud-ouest de Saint-Manvieu-Norrey, est libérée par le 2ème Glasgow Highlander appartenant à la 15ème division d’infanterie écossaise, tandis que le premier pont sur l’Odon est pris par les forces alliées.
Le général Rommel, qui comprend l’importance stratégique du village de Cheux, situé à un carrefour de plusieurs autres villages, ordonne à diverses troupes S.S. de quitter la région de Saint-Lô pour porter secours aux soldats de la Hitlerjugend, submergés par l’infanterie écossaise. Mais la supériorité aérienne alliée est telle qu’aucun mouvement des forces allemandes n’est possible en journée, sous peine d’être impitoyablement bombardé. Malgré tout, une douzaine de chars Tigre parviennent à rejoindre la ligne de front sous le couvert de la nuit.
Le 27 juin, la 15ème division d’infanterie écossaise, épaulée par des chars Churchill de la 31ème brigade blindée britannique passe également à l’attaque. La localité de Saint-Manvieu-Norrey, situé à proximité de Carpiquet et son précieux aéroport, est libérée par la 44ème Lowland Brigade écossaise après de furieux combats qui se terminent parfois au corps à corps.
Les combats de la cote 112
Le 8ème corps britannique doit à tout prix s’emparer de la cote 112, une hauteur qui domine une large partie de la région de l’Odon. Mais cette position stratégique est fermement défendue par les Allemands qui refusent d’abandonner ce point clé. Les premiers assauts britanniques se soldent par des échecs et les navires alliés interviennent pour soutenir les troupes du 8ème corps en bombardant la cote 112. Les Ecossais reprennent leur marche sous les tirs adverses et tentent de percer les défenses allemandes. Les chars Tigre, installés en défensive dans le secteur, ralentissent considérablement et interdisent parfois la progression anglo-canadienne.
Les localités de Mondrainville et Tourville sont atteintes ainsi que le pont sur l’Odon à Tourmauville à partir duquel des éléments avancés de la 15ème division d’infanterie écossaise établissent une tête de pont sur la rive droite. A la tombée de la nuit, les hommes du Cameronians commandés par le lieutenant-colonel Villiers sont sévèrement accrochés à l’entrée du village de Grainville et se replient à la faveur de la nuit.
Pendant ce temps, les renforts sont acheminés le long du fameux « couloir des Ecossais » large de 2,3 kilomètres en moyenne. Au soir du 27 juin, les Ecossais ont percé le front allemand sur près de 10 kilomètres de profondeur, une performance impressionnante mais qui n’atteint pas les espérances de Montgomery. Installé dans son quartier général à Blay, il s’inquiète des rapports catastrophiques des pertes britanniques depuis le début de l’opération Epsom. Dans la nuit du 27 au 28 juin, les Allemands sont renforcés 2 500 hommes appartenant au 2ème S.S. Panzerdivision et commandé par Weidinger et directement mis sous le commandement de la Panzer Lehr.
Le 28 juin, un tireur isolé de la « Hitlerjugend » est emmené par des soldats de la 49e D.I. britannique. Photo : IWM |
Le 28 juin, les généraux Rommel et von Rundstedt sont en Allemagne, ayant été convoqués par Hitler pour discuter de la situation actuelle en Normandie. Leur remplaçant, le général Dollman, voit se resserrer l’étau autour de la cote 112. Il lance ses dernières forces dans l’attaque. En effet, la 11ème division blindée se dirige vers la cote 112 en libérant les carrefours importants le long de la rivière Orne pendant que la 49ème division d’infanterie s’empare du bois de Tessel.
Le 2ème bataillon des Argylls et Sutherlands Highlanders de la 15ème division d’infanterie écossaise libère le village de Gavrus sur la rive droite de la rivière Odon et s’emparent de ses deux ponts, tandis que le 23ème Hussars libère la localité de Baron-sur-Odon, directement au nord-ouest de Gavrus, qui se situe sur la route vers la cote 112, qui est atteinte par la 8ème Rifle Brigade et les chars du 3ème RTR en début d’après-midi.
Le 44ème RTR et le 2ème KRCC poursuit sa progression jusqu’au village d’Evrecy mais il doit se replier, suite à la contre-attaque des 9ème et 10ème SS Panzer Division qui se concentre sur le flanc ouest britannique.
Pendant ce temps, les services de renseignement alliés utilisant les clés de décodage d’Ultra alertent les unités sur le front qu’une vaste contre-attaque allemande va avoir lieu le lendemain depuis la région de Noyers-Bocage. En effet, les forces débarquées bénéficient de la machine « Ultra » qui permet de décoder les messages ennemis et de plus, les Britanniques possèdent depuis 1940 les codes de la machine à coder les messages secrets allemands concernant les trafics, dénommée « Enigma ».
Les renforts allemands contre-attaquent
Le 29 juin, les Ecossais de la 15ème division d’infanterie sécurisent la zone des environs de Gavrus, mais à partir de midi la Panzer Lehr oppose une très forte résistance et attaque le 2ème bataillon des Argylls dans ce village. De durs combats s’engagent à l’arme lourde et les Ecossais ne doivent leur salut à l’intervention systématique des forces aériennes alliées qui profitent du beau temps et de leur totale supériorité dans les airs. L’artillerie britannique joue également un rôle essentiel tout au long de l’offensive. Les chars allemands sont anéantis par les avions américains et britanniques, qui harcèlent sans cesse les mouvements adverses.
La 11ème division blindée britannique, qui se replie depuis la veille au soir, quitte la position stratégique de la cote 112. Le général Dempsey craint une contre-attaque massive des forces Hitlerjugend et préfère replier les chars de la 11ème division blindée sur la rive gauche de l’Odon. Seuls les hommes du 4th King’s Shropshire Light Infantry défendent la position. Les Allemands profitent de l’occasion pour reprendre la cote 112, et de durs combats s’y engagent à nouveau, parfois même au corps à corps.
Les cadavres des belligérants jonchent les rives de l’Odon et les champs de batailles des environs de la cote 112. Le spectacle est atroce, les pertes sont terrifiantes. Plusieurs milliers de soldats britanniques (plus de 4 000 au soir du 29 juin) ont été mis hors d’état de combattre depuis le début de l’opération Epsom débutée le 26 juin. Le général Montgomery s’inquiète de la tournure de cette opération et pense alors à un possible arrêt d’Epsom dans les jours qui suivent. Le chaos est indescriptible et les ravitaillements en vivres et en munitions pour les Anglo-Canadiens peinent à arriver en première ligne.
La 21ème Panzerdivision attaque quant à elle le flanc est de leurs adversaires et de nombreux soldats de la 159ème brigade britannique sont encerclés dans les environs du village de Mouen, au nord de Baron-sur-Odon et sur la rive droite de la rivière Odon.
La fin de l’opération Epsom
Mais la contre-attaque organisée par le général Dollman (qui meurt dans la nuit du 28 au 29 juin 1944) et visant à récupérer la cote 112 tourne au massacre pour les soldats allemands qui doivent se replier, suite à la lourde défaite imposée par les hommes de la 11ème division blindée britannique, qui se replient eux-mêmes immédiatement sur la rive gauche de l’Odon.
Si les contre-attaques allemandes se brisent contre les défenses anglo-canadiennes, il n’est plus question pour les troupes alliées de percer le front. Les renforts allemands des divisions Hohenstaufen et Fründsberg ont fortement ralenti la progression des forces débarquées et les pertes sont extraordinairement élevées.
Le général Montgomery ordonne l’arrêt de l’opération Epsom. Les forces britanniques campent leurs positions et n’avancent plus. Ils doivent repousser les contre-attaques allemandes, notamment dans les environs du village de Baron-sur-Odon. L’aviation alliée neutralise les colonnes allemandes encore en mouvement et l’artillerie britannique interdit les accès par des tirs de barrage devant les positions défensives écossaises et anglaises.
Bilan de l’opération Epsom
Les forces engagées ont montré une ténacité à toute épreuve dans des combats souvent violents et toujours acharnés. Les jeunes écossais de la 15ème division, qui ont vu lors d’Epsom leur baptême du feu, ont vaillamment affronté les vétérans des troupes fanatisées S.S.
Les plaines sud de Caen ne sont toujours pas atteintes et les renforts allemands se cristallisent autour de la capitale du Calvados qui n’est pas prête de tomber. C’est un revers pour le général Montgomery qui vient de perdre du temps et beaucoup d’hommes et de matériels.
En effet, le journal de marche du 8ème corps britannique indique que les trois divisions engagées comptent plus de 4 000 hommes tués, blessés, disparus ou faits prisonniers entre le 26 juin et le 30 juin 1944. Les pertes allemandes sont également importantes, mais l’opération Epsom reste un échec sur le plan stratégique, car si les troupes canadiennes et britanniques ont progressé de 10 kilomètres en cinq jours et contrôlent un territoire supplémentaire de 15 km², le front n’est toujours pas véritablement percé et la situation reste extrêmement fragile : les positions sont prises, puis abandonnées et à nouveau prises à l’image des cotes 112 et 113 qui, au soir du 30 juin, sont à nouveau aux mains des Allemands.
L’opération Epsom transforme les combats autour de la ville de Caen en une guerre de positions durant laquelle les Alliés cherchent à mettre au point la bonne opération permettant de percer le front une bonne fois pour toutes.