Le raid de Dieppe : opération Jubilee

Les origines du débarquement de Normandie

Raid de Dieppe 1942

Raid de Dieppe – 19 août 1942. Cadavres, épaves de chars et chalands de débarquement en flammes témoignent du violent assaut allié dans la région de Dieppe.
Photo : Bundesarchiv.

Aux origines de l’opération Jubilee : l’opération Rutter

L’opération Barbarossa, déclenchée par les Allemands le 22 juin 1941 contre les armées de Staline, marque le début d’une résistance acharnée des forces soviétiques sur leur propre sol. Les Allemands ont engagé la plupart de leurs divisions à l’est, n’ayant plus d’ennemi direct à l’ouest.

Toutefois, conscients de la probabilité d’un débarquement allié à l’ouest de l’Europe depuis l’Angleterre, les Allemands décident, afin de concentrer un maximum de leurs forces contre les troupes de l’Union Soviétique, de protéger la façade maritime ouest par une série de fortifications fixes, dont le devoir est de stopper tout assaut amphibie ennemi : c’est la naissance du mur de l’Atlantique.

En conséquence, les Alliés préparent une opération militaire de grande envergure qui vise à soulager le front soviétique en ouvrant un second front à l’Ouest. La conception des opérations combinées, qui nécessitent une coordination fine entre forces terrestres, maritimes et aériennes, sont encore à l’état de balbutiement au début de l’année 1942. Ainsi, les Alliés doivent tester directement sur le terrain leurs théories tactiques et tester ces fameuses défenses allemandes qui font face à l’Angleterre, tant vantées par la propagande allemande. L’une des premières opérations combinées organisées se déroulent non loin de Dieppe, en février 1942 : l’opération Biting, aussi connue sous le nom de raid de Bruneval.

Forts des ces enseignements successifs et en attendant l’arrivée des renforts américains, les Britanniques décident de gravir un échelon supplémentaire dans leur préparation militaire. C’est le Le vice-amiral anglais Louis Mountbatten, nommé chef des opérations combinées, qui prend la direction de la planification. Cette fois, il s’agit d’organiser un raid comprenant plusieurs milliers d’hommes et permettant de tester de nouveaux chars et de nouveaux avions de chasse. Ainsi, 5000 Canadiens, 1100 Britanniques, 56 Américains et 15 Français (France Libre) sont mis en alerte durant l’été 1942.

Les Britanniques mettent au point ce nouveau raid dans le secteur de Dieppe, entre Berneval et Varengeville-sur-Mer : sans chercher à conquérir puis tenir une tête de pont, cette opération baptisée Rutter vise apporter des renseignements très importants aux forces alliées en préparation d’un débarquement de plus grande importance dans les mois qui suivent, toujours au nord-ouest de l’Europe, alors également en cours de préparation (opération Overlord). Prévue le 8 juillet 1942, l’opération Rutter est finalement reportée en raison des mauvaises conditions météorologiques.

Les objectifs et le plan de l’opération Jubilee

Le nouveau raid, programmé pour le 19 août 1942, reçoit le nom de code « Jubilee ». Les objectifs des troupes alliées sont les suivants : les soldats doivent débarquer à l’aube, détruire des positions d’artillerie importantes, un radar, un aérodrome, des bâtiments de guerre dans le port de Dieppe ainsi que le quartier général allemand qui a été localisé. Une fois ces actions réalisées, les troupes débarquées, renforcées par différentes unités d’infanterie, doivent ensuite réembarquer avec d’éventuels prisonniers allemands.

Le 18 août 1942 en soirée, près de 250 bâtiments de guerre britanniques se dirigent vers les côtes du nord de la France, en direction de Dieppe. Le soutien aérien est assuré par la présence de 58 escadrilles qui protègent le convoi. Les forces terrestres sont placées sous le commandement du général canadien John Hamilton Roberts.

Image : Sur la plage de Dieppe, les épaves des navires et des chars témoignent de la férocité des combats Sur la plage de Dieppe, les épaves des navires et des chars témoignent de la férocité des combats. Photo : Bundesarchiv.

Cinq secteurs de débarquement répartis sur 17 kilomètres ont été désignés, tous situés dans les environs de la ville de Dieppe.

A l’ouest, le Commando N°4 doit débarquer sur deux plages codées « Orange 1 » et « Orange 2 » face à Vesterival et de Varengeville-sur-Mer où sont installés des positions d’artilleries allemandes importantes qu’il lui faut détruire : c’est l’opération Cauldron. A quelques kilomètres à l’ouest de Dieppe, le South Saskatchewan Regiment et le Cameron Highlanders du Canada doivent débarquer face à Pourville sur la plage codée « Green« , neutraliser des points fortifiés puis progresser en direction de l’aérodrome et du quartier général allemand localisé à Arques-la-Bataille.

Le Royal Hamilton Light Infantry, l’Essex Scottish, les Fusiliers Mont-Royal, le Royal Marine et le 14e régiment de cavalerie de l’armée canadienne (28 chars Churchill) attaquent face à Dieppe. Ils débarquent sur les secteurs de plages dénommés « White » à l’Ouest et « Red » à l’Est. Le Royal Hamilton Light Infantry doit notamment neutraliser deux points d’appui allemands, aux emplacement du château et du casino. Sur leur flanc gauche, le Régiment Royal du Canada débarque face à Puys sur le secteur de plage nom de code « Blue » et doit neutraliser les batteries allemandes surnommées « Bismarck » et « Rommel ».

Enfin, plus à l’est, les soldats britanniques appartenant au Commando N°3, doivent débarquer peu avant l’aube sur les secteurs de plage « Yellow 1 » et « Yellow 2 » (opération Flodden) en face des localités de Berneval-le-Grand et de Petit-Berneval, où sont également installés des positions d’artilleries allemandes importantes à détruire.

Déroulement de l’opération Jubilee

Le 19 août avant l’aube, des bâtiments de guerre allemands en provenance de Boulogne et croisant au large de Dieppe rencontrent une partie de l’armada alliée transportant le Commando N°3 : le combat s’engage et plusieurs chalands de débarquements sont détruits. Les forces terrestres allemandes sont aussitôt placées en état d’alerte : l’effet de surprise est perdu pour les Alliés.

Entre 4 heures 30 et 5 heures du matin, les troupes alliées débarquent sur les plages de Seine-Maritime en Normandie et sont accueillies par des tirs nourris et meurtriers. Les soldats allemands, appartenant à la 302e division d’infanterie, profitent de leurs positions idéales pour la défense : en effet, les positions allemandes sont situées au sommet de hautes falaises et les galets qui parsèment la plage ralentissent la progression de l’infanterie et des chars alliés.

Les commandos britanniques N°3 et N°4 attaquent sur les flancs Ouest et Est du secteur d’invasion conformément aux ordres. Si la mission du commando N°4 se déroulent globalement de manière propice, le commando N°3 subit des pertes avant même de débarquer face à l’action de Kriegsmarine. Malgré tout, les batteries d’artilleries allemandes sont neutralisées. Les commandos accèdent au sommet des falaises en empruntant des ravins naturels ou aménagés par l’homme et accomplissent dans la mesure du possible leurs objectifs. A 7 heures 30, les hommes du commando N°3 ont accompli leur mission et réembarquent sous le feu, avec des prisonniers allemands.

Image : Sur la plage de Dieppe, les victimes et les chars Alliés sont pris en photo par la propagande Nazie Sur la plage de Dieppe, les victimes et les chars Alliés sont pris en photo par la propagande nazie. Photo : Bundesarchiv.

Mais en face de Dieppe et Puys, la situation des troupes débarquées est nettement plus inquiétante : malgré quelques percées des soldats canadiens à l’intérieur de la ville, la plupart des effectifs ne parviennent pas à dépasser l’obstacle de la plage et la suite des événements s’accélère. En raison d’un retard du débarquement par rapport aux horaires prévus, les Allemands ont eu le temps de se mettre en position dans les nids de mitrailleuses et font pleuvoir une pluie d’acier sur les plages. Les embarcations sensés débarquer les Canadiens sur le secteur « Green » ont dérivé de plusieurs centaines de mètres vers l’Ouest, de l’autre côté de la rivière Scie, ajoutant un obstacle naturel à leur mission déjà suffisamment complexe.

Malgré des rapports de pertes élevées dans les rangs des régiments canadiens, le général Hamilton donne l’ordre à 7 heures 30 d’engager la deuxième vague d’assaut. Ses informations sur la situation réelle sont parcellaires : dans l’incapacité d’observer directement les opérations au sol et estimant à tort que les Canadiens s’engagent en masse dans les communes du littoral, il pense que la situation est sous contrôle. Mais compte-tenu des nouvelles informations relatives aux pertes élevées, les Alliés décident de mettre un terme au raid et de réembarquer immédiatement toutes les unités valides, tandis que les chars – ceux qui n’ont pas encore été détruits – sont abandonnés sur place. Il est 9 heures 30.

Les opérations de réembarquement se font dans un désordre absolu, à la merci des défenses allemands. Pris sous les tirs croisés des armes d’infanterie et de l’artillerie allemande, les Canadiens tombent les uns après les autres. Certains chalands de débarquement sont touchés de plein fouet par les obus, tuant l’intégralité de leurs occupants. Dans les airs, la bataille aérienne fait également rage et les forces des deux camps s’imbriquent, empêchant l’artillerie antiaérienne alliée d’entrer en action : à 10 heures, environ 150 chasseurs-bombardiers allemands arrivent en renfort et attaquent directement les forces navales alliées.

L’opération Jubilee est terminée, les pertes sont catastrophiques pour les alliés, mais désormais le mur de l’Atlantique est testé et le retour d’expérience des opérations combinées peut débuter.

Bilan et enseignements de l’opération Jubilee

D’un point de vue humain, l’opération Jubilee est une véritable catastrophe. Sur les 6 086 soldats alliés engagés, 4 397 sont portés disparus, faits prisonniers ou ont été blessés. 1 197 d’entre eux son tués. Les Canadiens ont le plus souffert de cette attaque : 907 d’entre eux sont morts.

Les Alliés établissent rapidement des nombreux rapports qui permettent de comprendre pourquoi ce raid s’est aussi mal réalisé. Les enseignements sont les suivants :

  • le manque de soutien aérien a fait défaut aux forces débarquées, malgré 2617 sorties de chasseurs et bombardiers. 750 appareils alliés ont été engagés, dont les P-51 Mustang américains et les nouveaux modèles de Spitfire britanniques, se ravitaillant parfois plusieurs fois en Angleterre pour être ensuite réengagés. Pris dans de violents combats aériens et gênés par la défense antiaérienne allemande, ils ne maîtrisent pas les airs. Un bombardement préalable aurait certainement handicapé de manière considérable les troupes allemandes.
  • L’appui blindé était inefficace. En effet, les premiers modèles de chars Churchill engagés dans ce raid sont insuffisamment armés : leur canon de 40 mm ne permet pas d’appuyer convenablement l’infanterie. En outre, leur mobilité est limitée : les chenilles n’adhèrent pas aux nombreux galets et les chars patinent mollement sur la plage, devenant des cibles faciles pour les canons antichar allemands.
  • Les difficultés de communication : les différentes compagnies engagées au sol ne sont pas parvenus à maintenir des échanges radio de qualité, aussi bien entre elles qu’avec les états-majors embarqués à bord des bâtiments de guerre alliés. En conséquences, les unités terrestres ne sont pas parvenues à coordonner leurs déplacements avec leurs voisins directs ainsi qu’avec l’appui aérien et naval.
  • L’appui naval s’est avéré insuffisant lors de l’opération. Le calibre des huit destroyers (sept britanniques de type Hunt 1 et un polonais) engagés lors de ce raid n’était pas capable d’apporter un appui convenable aux troupes débarquées. Incapables d’observer convenablement le rivage en raison des rideaux de fumigènes installés pour protéger les chalands de débarquement, les bâtiments de guerre représentaient des cibles de choix pour l’aviation allemande. 34 navires de guerre alliés ont été perdus lors de ce raid. Le destroyer HMS Berckley est touché par une bombe allemande et sombre : considéré comme perdu, il est finalement torpillé pour être définitivement inutilisable.

De leur côté, les Allemands confirment le bien fondé de la défense derrière le mur de l’Atlantique. Ce raid les incite à poursuivre le développement des constructions bétonnées tout le long des côtes de la Manche. Ils utilisent massivement l’échec allié pour leur propre propagande, photographiant massivement les corps étendus sur les plages de Dieppe.

Image : Corps et épaves sur la plage de Dieppe après le déroulement de l'Opération Jubilee Corps et épaves sur la plage de Dieppe après le déroulement de l’opération Jubilee. Photo : Bundesarchiv.

L’opération Jubilee apporte de très nombreuses informations extrêmement importantes aux dirigeants alliés qui ont désormais testé la réactivité des forces allemandes derrière le mur de l’Atlantique. Ces données, payées au prix du sang, ont été très utiles aux Alliés dans le cadre des futures opérations combinées telles que les débarquement en Sicile, en Italie et au final en Normandie..

 

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