Témoignage de Maurice Chauvet
Caporal, 1er Bataillon Fusilier Marin, N°4 Commando
Maurice Chauvet à son domicile à Paris en 2001. Photo : D-Day Overlord
Maurice Chauvet était l’un des 177 Français du Commando Kieffer, qui débarque le 6 juin 1944 à Sword Beach. Il appartenait alors à la section de renseignement et il devait effectuer la liaison entre L’état-major et les troupes. (Pour en savoir plus sur le 1er Bataillon Fusilier Marin, cliquez ici) Blessé, il est évacué en Angleterre cinq jours plus tard. A Londres, le Quartier Général des Opérations Combinées le mandate pour réaliser un reportage sur son expérience personnelle et ses souvenirs du Jour J.
Après la guerre, Maurice Chauvet a été l’un des conseillers militaires du film Le Jour le Plus Long et a décidé, constatant que les réalisateurs prenaient trop de libertés vis-à-vis de l’Histoire du Débarquement, de quitter l’équipe du film lors du tournage. Pour Maurice, l’Histoire ne doit pas être mal réécrite et faire respecter la vérité des faits fut son dernier combat.
Maurice Chauvet est le créateur de l’insigne des commandos français qui est aujourd’hui porté sur les bérets des Fusiliers Marins Commandos de la Marine Nationale française – cliquez ici pour voir l’insigne.
Maurice Chauvet se rendait chaque année en Normandie afin de commémorer la mémoire de ses amis, une mémoire qu’il voulait véritable et sans modification dans le futur. Pour lui, le devoir de mémoire représentait le devoir de la véritable Histoire. Il est décédé le 21 mai 2010 à l’Hôtel des Invalides.
Cet article que le site D-Day Overlord vous propose a été publié le 14 juillet 1944 dans le premier numéro de la revue « Ensemble », un magazine destiné à être distribué aux Français tout juste libérés par les forces alliées.
Maurice Chauvet a écrit des ouvrages sur cette période : cliquez ici pour consulter ses livres.
« Nous avons vécu un moment qui sera certainement en bonne place dans l’histoire, mais nous ne nous en sommes aperçus qu’après. Nous, ce sont les commandos français du capitaine Kieffer, lui-même intégré à la brigade de Lord Lovat. Nous avons débarqué à Ouistreham faisant ainsi l’extrême gauche de tout le débarquement.
A notre camp, un mois avant l’ouverture du second front, nous avions étudié des photos aériennes et des plans détaillés en relief de l’endroit où nous devions débarquer. Nous ne savions rien de son emplacement sinon qu’il était sur la côte française. Très vite nous avons connu le terrain par cœur, et ce plan très incomplet, que nous savons depuis être un plan d’Ouistreham, n’était destiné qu’à rappeler la position des points particulièrement importants.
J’ai ajouté les noms au plan, ainsi que des chiffres pour situer les photos qui suivent et vous permettre de comprendre l’action. Les défenses allemandes ne sont pas indiquées, nous les connaissons si bien. Elles consistaient en blockhaus et pille-box le long du boulevard Aristide Briand, avec un point fort au casino (x). Entre le casino et l’avant-port, une fosse anti-char et sur cette pointe des lance-flammes. La mission des deux troupes françaises consistait à nettoyer les pilles-box à partir de B, de boulevard Aristide Briand sur le plan jusqu’au point fort du Casino, soit une douzaine d’ouvrages répartis sur cinq cent mètres environ.
Voici les trois L.C.I.S (embarcations d’infanterie) dont deux étaient occupées par les troupes françaises. Partis à 21H d’Angleterre, nous avons passé une nuit très dure entassés dans les trois cales, avec tout le matériel. Le temps était gris. A perte de vue, la mer était couverte de bateaux. Au loin dans la brume, la côte française. Les coups sourds du bombardement de la R.A.F., sur la gauche des flammes rouge cerise et de la fumée, sans doute des lance-flammes. Des obus de la défense allemande coulèrent quelques barges. C’est l’heure H moins 20 environ. Le colonel du commando nous a fait bonjour de la main en passant le long du bord ; il a pris place dans une très petite barge d’assaut plus rapide que la nôtre avec à l’avant le drapeau blanc à croix rouge de la Marine de Guerre anglaise.
Je ne sais pas comment se sont passées les dernières minutes, les barges ont touché le sol, et les deux coupées ont été poussées, quatre matelots sont blessés sur le pont, des balles de mitrailleuses sifflent de tous côtés, venant de la gauche. Les garçons debout sur la deuxième barge sont Français. La barge a perdu ses deux passerelles coupées par un obus de 75 et je passe sur celle d’à côté, la 528. Il est 7H50. Je vois encore les trois piliers en faisceaux, enfoncés dans le sable, avec une mine accrochée dessus, qui ont effleuré la barge : restes des défenses allemandes, assez abîmées par le bombardement.
Le commando au premier plan est un camarade anglais. Il porte une échelle. Il a sans doute été blessé, quelques secondes plus tard en mettant pied sur le sol. J’ai entendu dire qu’il était mort.
La planche du débarquement de la barge du second plan est en train de tomber ; une douzaine d’hommes seulement l’ont empruntée, dont les deux officiers de la première troupe française, ils ont tous été blessés en mettant le pied à terre, par une seule bombe de mortier tombée au milieu d’eux. Si la coupée n’était pas tombée, j’aurais été avec eux.
Des Royal Engineers, avec leur casque cerclé de blanc, étaient avec nous, et j’ai perçu un tank à cinquante mètres à droite, en débarquant, qui est sans doute celui qui est arrêté sur la droite de la photo. Après 25 ou 30 mètres dans l’eau jusqu’à la ceinture, il nous fallait traverser le plus vite possible le sable et les flaques d’eau pour atteindre le sable sec. Toute cette partie était balayée par un feu de mitrailleuse venant de gauche. Certains des hommes qu’on aperçoit couchés, se sont jetés à terre par un réflexe parce qu’une balle les a effleurés ; d’autres sont déjà blessés ou morts. Pour moi, aussitôt touché le sol, je me suis mis en marche le plus vite possible, avec de l’eau jusqu’à la ceinture, mais je ne me souviens pas d’avoir eu l’impression d’être mouillé. Il y avait déjà beaucoup de blessés, et tout le monde se rendait vers son emplacement de ralliement.
C’est à ce moment que j’ai aperçu le Capitaine Kieffer, commandant le détachement français, blessé à la cuisse ; un de nos infirmiers lui faisait un pansement d’urgence, et nous sommes repartis ensemble. Au passage, j’ai vu les gars de notre commando couchés là. A l’endroit où le sable commençait à être recouvert de végétation, il y avait un réseau de barbelés. Une brèche de 2 mètres y avait été faite. Il fallait se mettre en file pour passer. Je suis resté quelques secondes là à attendre mon tour. Un camarade m’a dépassé à ce moment, et me dit deux ou trois noms de ceux qui venaient d’être blessés.
Debout dans un champ de mines, face aux mitrailleuses, c’est ainsi que le cinéaste a pris cette photo. Il lui a fallu un fier courage. La ligne de fond à gauche donne sur la mer, et à droite on devine les postes des petits baraquements. Au fond à entre les deux pignons de la maison, on devine le château, où étaient installées les mitrailleuses lourdes qui nous génèrent au débarquement. Au moment précis où cette photo fut prise les balles se croisaient en tous sens. La portion de terrain que les commandos traversent, au sortir de la brèche est minée. Juste au-dessus du sac du commando de droite, on aperçoit une tache noire, formée de quatre ou cinq hommes d’une troupe qui se regroupe. Chaque troupe de notre commando avait un bâtiment de rendez-vous, et ne devait repartir qu’après ce premier regroupement. Certaines troupes y laissèrent leurs sacs, avant de partir vers la route qui conduit à Ouistreham, en file indienne à travers les dunes.
Le château est enlevé. En passant les barbelés qui défendent la route, je croise le lieutenant Mazéas, de la première troupe, qui regagne la plage, une balle lui a labouré tout l’avant-bras. Le château tire toujours du toit et je traverse le parc en employant au mieux les couverts. A l’entrée du parc le premier allemand mort, à côté de son trou individuel.
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