Jeux vidéos du débarquement de Normandie
Réflexion sur le développement de jeux vidéos du débarquement de Normandie
Pendant un peu plus d’une décennie, à compter de l’an 2000, une série de jeux vidéos dédiés au conflit de la Seconde Guerre mondiale ont été mis au point, parallèlement à la vague de films de guerre qui a débuté en 1998 avec « Il faut sauver le soldat Ryan« . Le succès de tels jeux, à cheval sur les générations X et Y, a été immédiat et sans appel. Rapidement, ces programmes informatiques se sont imposés en tête des meilleures ventes et ont conservé leurs places pendant plusieurs mois. Comment expliquer ce phénomène ? Quel est l’intérêt de ces jeux vidéos ? Quelle est leur relation avec les événements historiques ?
Premiers pas et course à l’armement
Si les jeux vidéos sur la Seconde Guerre mondiale se comptent aujourd’hui par centaine, ce n’est qu’au début de l’année 2000 que, pour la première fois, un jeu retrace l’histoire du débarquement de Normandie. En effet, le jeu de stratégie « Close Combat : Invasion : Normandy – Utah Beach to Cherbourg » propose à ses clients d’aborder de manière tactique la guerre des haies, l’emploi des différents armements de l’époque et les effets des combats sur le moral des soldats. L’histoire est respectée dans les grandes lignes, le but étant plus de proposer un cadre aux joueurs qu’une réelle immersion dans l’opération Overlord. Le 14 février 2002 est mis sur le marché un jeu désormais mythique : Medal of Honor : débarquement allié. Le joueur peut suivre un scénario retraçant le débarquement sur les plages de Normandie, précisément sur Omaha Beach. Par la suite, quelques missions supplémentaires font évoluer le joueur au cœur même de la Normandie au cours de l’été 1944, en pleine guerre de positions. Ce programme informatique repose sur de réelles recherches historiques et son succès inspire de nombreux développeurs. Ces derniers décident ainsi de poursuivre les travaux dans cette voie.
Le 6 juin 2003, pour célébrer le 59ème anniversaire du débarquement de Normandie, le jeu Day of Defeat est disponible. Il s’agit d’un mod (une version) du célèbre « Counterstrike » (à l’époque le jeu le plus répandu sur la planète) ; les joueurs s’affrontent sur internet ou en réseau et choisissent leur camp : terroriste ou anti-terroriste. Le mod Day of Defeat met en place une nouvelle interface : la Seconde Guerre mondiale, et les joueurs choisissent cette fois entre le camp allié et celui de l’Axe. Ils s’affrontent ensuite sur des cartes, dont certaines rappellent les événements de la Bataille de Normandie : par exemple la plage d’Omaha Beach et des villes normandes (notamment Caen). Day of Defeat permet également aux joueurs plus expérimentés de créer leur propres « terrains de jeu » et on peut ainsi trouver sur internet des cartes dénommées « Pointe du Hoc », « Pont de Bénouville » ou encore « Utah Beach ».
Les jeux vidéos sur la Seconde Guerre mondiale se multiplient très rapidement, proposant des scénarios variés sur la plupart des fronts. Mais de manière régulière, la Bataille de Normandie apparaît comme un événement de choix, apprécié par les jeunes joueurs. Grâce aux nouvelles technologies de développement et à la demande des utilisateurs, ces jeux deviennent de plus en plus réalistes, que ce soit d’un point de vue historique ou même au niveau de la simulation du combat, comme si les créateurs ne souhaitent plus simplement proposer de « jouer au débarquement », mais véritablement de « revivre le débarquement ». Dans ce cadre, il faut citer le jeu vidéo « Call of Duty », qui retrace la prise du pont de Pegasus Bridge ou encore l’assaut de la batterie de Brécourt au sud d’Utah Beach. La plupart des principaux événements historiques sont recréés : la mission « Pegasus Bridge » de « Call of Duty » insert le personnage dans un des trois planeurs qui se sont posés à proximité du pont de Bénouville aux premières heures du 6 juin 1944. Il doit prendre d’assaut et capturer les points de défense allemands, ainsi que protéger tous les accès au pont, jusqu’à ce que les troupes débarquées arrivent en renfort. Un combat épique et impressionnant, appuyé à certains moments par des musiques qui rappellent bandes-originales de film. Mais quelle est la valeur historique d’un tel jeu vidéo ?
Le réalisme vis-à-vis de l’Histoire
En mars 2005, le jeu Brothers in Arms est disponible à la vente. Il repousse toutes les limites des jeux historiques, en plaçant d’entrée – de jeu – l’utilisateur dans une interface inspirée par la série Band of Brothers, conférant au programme une touche cinématographique évidente. Le scénario est inspiré presque entièrement de l’histoire vraie d’une compagnie de la 101ème division aéroportée américaine, parachutée au-dessus du Cotentin dans la nuit du 5 au 6 juin 1944. Ce jeu vous permet de faire évoluer une section de vingt soldats de cette compagnie tout au long de la campagne normande, en effectuant des missions réellement effectuées par les jeunes parachutistes américains. Dans Brothers in Arms, l’environnement historique est poussé à un réalisme novateur pour l’époque.
Le grand point fort de ces jeux historiques est de proposer une vision cinématographique réaliste des événements. Les créateurs veulent désormais coller au plus près de l’Histoire, et s’inspirent directement de faits réels en interrogeant des vétérans ou en consultant les archives ainsi que des experts militaires. De plus, les techniques modernes d’imagerie satellite permettent aux développeurs de reproduire à l’identique sur ordinateur un espace géographique. Ce mode de travail est également à mettre en parallèle avec la création en image de synthèse de rues, champs ou maisons par rapport à un support photographique d’époque : la mission « Pegasus Bridge » du jeu Call of Duty en est le fruit le plus mûr : les détails du pont sont particulièrement proches de la réalité historique.
Si les premiers jeux vidéos du débarquement de Normandie (notamment Medal of Honor : débarquement allié) sont des adaptations informatiques simplifiées de cet événement historique, les progrès en matière de programmation vidéo permettent aux développeurs d’insérer plus de détails dans leurs scénarios ou sur leurs personnages. Le succès planétaire du film Il faut sauver le soldat Ryan est sans aucun doute dû au réalisme historique des scènes de combat, particulièrement novateur à la sortie du film dans les salles obscures. Désormais, la nouvelle génération semble rechercher dans le divertissement vidéo une forme de documentaire vivant, dans lequel il est possible de prendre part à un événement fondamental de la Seconde Guerre mondiale.
Les créateurs ont bien cerné ce besoin, et inondent leurs jeux de précisions historiques qui donnent à leurs produits un sentiment de documentaire. S’il est clair qu’un jeu vidéo n’a rien à voir avec la réalité, beaucoup de jeunes cherchent dans ces « simulations de guerre » le moyen de tenter de revivre ce que leurs aînés ont vécu pendant ces sombres périodes de guerre. Une simulation du débarquement en quelque sorte, de la même manière que l’armée américaine met gratuitement à la disposition de ses soldats un jeu vidéo de simulation de combat, America’s Army, qui doit permettre de maintenir à jour des réflexes appris à l’entraînement.
Il est clair qu’un jeu vidéo historique ne peut servir de documentaire au même titre qu’un livre d’Histoire. Il faut plutôt voir dans ce type de création la mise en image de différents témoignages et articles historiques. Le fait de plonger dans un univers passionnant pour beaucoup de jeunes et de moins jeunes, comme celui de la Seconde Guerre mondiale, peut permettre d’encourager les utilisateurs à enrichir leur connaissance sur ces événements.
De plus en plus de personnes se réunissent en « clans » et s’affrontent sur internet dans la bonne humeur à travers ces jeux vidéos. Sur leurs sites internet, les clans mettent des liens vers certains sites historiques, comme celui-ci, ce qui montre bien leur désir de se divertir tout en apprenant. C’est pour cette raison que les développeurs de jeux vidéos placent dans les boîtiers des derniers jeux vidéos disponibles un livret ou un DVD historique réalisé avec le soutien d’historiens ou de vétérans. De cette manière, il peuvent en outre marquer profondément la séparation entre la fiction du jeu et la réalité.
Si les progrès technologiques des programmes informatiques permettront bientôt de revivre intégralement le Jour J à la télévision par images de synthèse plus vraies que nature, il semble nécessaire de marquer dès aujourd’hui une séparation entre la fiction et la réalité, au risque de se servir de la fiction comme élément de la réalité.
Marc Laurenceau