Que croyaient les Allemands la veille du débarquement ?

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Marc Laurenceau
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Que croyaient les Allemands la veille du débarquement ?

Message non lu par Marc Laurenceau »

Le 14 février 1944, un événement capital est survenu dans l’organisation allemande: l’Abwehr est passé sous le contrôle de l’Amt VI du Reich Sicherheits Hauptamt (RSHA), l’Office supérieur de la sécurité du Reich, c’est-à-dire le service de renseignements et de contre-espionnage du parti nazi. L’amiral Canaris est remis à la disposition de la Kriegsmarine. Il sera arrêté en juillet pour complicité dans le complot visant à se débarrasser de Hitler. Cette fusion, qui ne s’est pas faite sans grincement de dents, contribue, sans doute, à jeter un certain trouble dans les services de renseignements allemands déjà profondément trompés par les mystifications du plan Bodyguard. Les informations qui leur parviennent sont tellement contradictoires que les chefs militaires allemands sont perplexes. Le général Blumentritt, chef d’état-major de von Rundstedt, commandant en chef à l’ouest, déclarera : «Nous recevions très peu de nouvelles dignes de foi et des rapports assez vagues sur les zones de rassemblement des forces britanniques et américaines dans le sud de l’Angleterre. Nous avions un petit nombre d’agents allemands sur place qui nous adressaient des rapports par radio sur ce qu’ils voyaient, mais ils ne découvrirent pas grand-chose d’autre, et aucune de nos informations ne nous donna d’indication précise quant au lieu de débarquement.»

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L'Amiral Wilhelm Canaris

Et Blumentritt ignore que ces agents en Grande-Bretagne étaient sous contrôle du Comité XX. La Kriegsmarine reçoit, entre le 1er mai et le 6 juin 1944, cent soixante-treize bulletins de renseignements portant sur «l’invasion» alliée. Les informations indiquent successivement:

— Débarquement allié entre la Somme et la Belgique entre le 10 et le 21 mai;

— Aucun débarquement avant juillet et août;

— Débarquement allié à la mi-mai;

— Renseignement du 16 mai : débarquement pour le 20 à Cherbourg;

— Débarquement allié les 19 et 20 mai, après un lâcher de parachutistes sur le nord de la France;

— Débarquement allié, d’abord au Danemark, avant le 15 juin;

— Débarquement allié ajourné à cause de la puissance accrue des fortifications et défenses côtières allemandes;

— Débarquement entre le 21 mai et le 20 juin;

— Débarquement cet été de la façon suivante : une diversion à l’aile gauche sur le Danemark, une autre à l’aile droite en Belgique, l’action principale étant centrée sur Hambourg;

— Débarquement reporté à l’automne à cause de l’insuffisance des forces aériennes alliées;

— Débarquement dans la nuit du 22 au 23 mai, à marée basse ;

— Pas de débarquement à bref délai.

On comprend l’embarras des services allemands devant une telle variété d’informations, censées émaner d’excellents agents… qui ne sont autres que ceux du Comité XX.

La Kriegsmarine, accusée par l’OKW de n’avoir rien détecté des préparatifs alliés, s’est livrée à une analyse serrée des cent soixante-treize informations importantes reçues. Elle a conclu, dans un rapport très secret, tiré seulement à sept exemplaires, que :

— cent deux étaient totalement fausses, soit cinquante neuf pour cent;

— sept étaient trop vagues pour être utilisées, soit 4% ;

— vingt-six étaient possibles, mais non vérifiables, soit 15%;

— vingt-quatre étaient partiellement exactes, mais n’ont pu être vérifiées… qu’après le Débarquement, soit 14%.

— quatorze étaient exactes… mais on ne l’a su qu’après le Débarquement, soit 8%.

Une seule a donné le lieu exact du Débarquement… mais elle est arrivée le 6 juin. Tous ces renseignements provenaient du Comité XX. Le dernier, celui qui est exact, a été envoyé par un des agents de ce comité afin que sa crédibilité ne puisse être mise en cause par les Allemands et qu’il puisse encore servir l’induction en erreur après le 6 juin. Le 23 mars 1945, le commandant suprême de la Kriegsmarine, dans un rapport adressé à l’OKW, déclarera : «On est obligé d’admettre qu’un nombre croissant d’informateurs sont des agents doubles qui fournissent des renseignements fabriqués par l’ennemi.» Et ce rapport ajoutera: «Le secret et le facteur surprise furent strictement sauvegardés par l’ennemi pendant les préparatifs et le débarquement.»

Ce rapport est la reconnaissance de l’efficacité de l’induction en erreur, qui a réussi à camoufler ou à faire perdre de vue des réalités que l’on ne pouvait cacher, tout au moins en ce qui concerne la date approchée du Débarquement : accroissement des bombardements aériens et des parachutages à la Résistance, rigueur plus grande de la chasse alliée au-dessus des côtes sud de l’Angleterre ne laissant passer aucun avion, mesures en Grande-Bretagne contre les déplacements des diplomates étrangers et coupure de leurs communications avec leurs capitales, accélération des échanges radio… La marine allemande savait que l’embouchure de la Seine n’avait pas été minée par les Alliés, contrairement aux autres côtes. Mais ces réalités ont été noyées au milieu de tant de rapports faux et de leurres que les services allemands n’ont pu distinguer le vrai du faux. Les stratagèmes de Bodyguard et des opérations Fortitude Nord et Sud ont aveuglé les services allemands et ont fixé leur attention sur le Pas-de-Calais.

Au 23 mai 1944, l’ordre de bataille allemand comprend :

— en URSS, cent trente-neuf divisions diverses et vingt-cinq blindées;

— en Italie et dans les Balkans, quarante-trois divisions et neuf Panzer;

— en Europe de l’Ouest (Pays-Bas, Danemark, Norvège, Belgique et France) soixante-seize divisions diverses et le 1er corps Panzer. Au 5 juin, la veille du débarquement, il y a cinquante neuf divisions allemandes présentes en France, dont sept seulement en Normandie (quatre de position), une Panzer, deux de campagne, six en Belgique et dix-huit au-delà de la Seine, face au pas de Calais.

Les Allemands, trompés par les stratagèmes de la déception, surestiment largement les effectifs alliés présents en Grande-Bretagne. Le 30 mai 1944, le GS and CS intercepte le compte rendu à Tokyo d’une entrevue entre l’ambassadeur du Japon à Berlin, Oshima, et Hitler, à Berchtesgaden. Selon ce rapport, Hitler est convaincu que les Alliés disposent de quatre-vingt à quatre-vingt-dix divisions en Grande-Bretagne et que, même si on ne pouvait exclure des diversions en Norvège et en Normandie, l’attaque principale serait dirigée contre le Pas-de-Calais.

L’avis d’Hitler sur le nombre de divisions est basé sur les analyses des services allemands qui admettent ce chiffre de quatre-vingt-dix divisions alliées. Il y en a, en réalité, quarante- sept. C’est un beau succès de l’induction en erreur ! Les maréchaux allemands, von Rundstedt, commandant en chef à l’ouest, et Rommel, chef du groupe d’armées (VIIe et XVe), sont perplexes. Von Rundstedt reste persuadé que le débarquement allié se fera à l’endroit le plus resserré de la Manche, dans le pas de Calais. Il ne varie pas. Rommel pense de même, mais, «dans le cas où», il fait accélérer les travaux de défense sur les plages de toute la Normandie. À la fin du mois de mai 1944, il confie au chef d’état-major de la division 352: «L’invasion aura lieu en août, pas avant.» Et il ne touche en rien aux effectifs de la XVe armée, qu’il laisse intacte devant le pas de Calais.

Hitler, de temps en temps, a des doutes. Un moment, son obsession est Cherbourg. Il est certain que les Alliés veulent ce port. Mais sa conviction profonde ne varie pas : «Le débarquement principal se fera dans le Pas-de-Calais… Tout autre débarquement ne sera qu’une diversion.» À Tourcoing, le 1er juin 1944, à vingt et une heure, au QG de la XVe armée allemande, les opérateurs du service des écoutes entendent la BBC diffuser un message personnel : «Les sanglots longs des violons de l’automne…» La XVe armée est mise en état d’alerte… À juste raison, parce que ce message, fourni aux Allemands en 1943, s’applique au réseau Ventriloque implanté au nord de la Seine et est un ordre préparatoire de sabotage et d’action… un réseau inexistant… La XVe armée sait aussi que la seconde partie du message signifiera que le débarquement aura lieu dans les quarante-huit heures… s’il n’est pas annulé au dernier moment, comme cela est déjà arrivé plusieurs fois. Et si Ventriloque est alerté, c’est évidemment que le débarquement s’opérera dans la zone de la XVe armée.

Au soir du 5 juin, la XVe armée est toujours largement au nord de la Seine. Il n’y a toujours qu’une division Panzer en Normandie. Le message de von Rundstedt à l’OKW du 5 juin au soir indique que «les préparatifs alliés pour l’assaut sont bien avancés. En examinant les sites bombardés, on doit penser que l’attaque aura lieu entre l’Escaut et la Normandie, voire jusqu’à la Bretagne. Les bombardements des défenses côtières entre Dunkerque et Dieppe sur les ponts de la Seine et de l’Oise, sur les routes entre Rouen et Paris indiquent que le débarquement sera large. Il n’y a pas d’indications d’imminence. »

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Marc Laurenceau
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Hannibal79
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Re: Que croyaient les Allemands la veille du débarquement ?

Message non lu par Hannibal79 »

Sujet passionnant ,merci pour toutes ces informations. :super:
Rommel 29
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Re: Que croyaient les Allemands la veille du débarquement ?

Message non lu par Rommel 29 »

Merci Marc pour ce récapitulatif...En fait,dans le haut-commandement Allemand,personne ne se doutait d'un débarquement en Normandie ? Von Rundstedt était persuadé d'un débarquement dans le Pas-de-calais, Rommel semblait moins catégorique, Hitler pensait à la Normandie mais penchait plus sur le Pas-de-calais également. Des généraux en Normandie,de mémoire, seul Marcks l'avait prédit...
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Manuferey
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Re: Que croyaient les Allemands la veille du débarquement ?

Message non lu par Manuferey »

Quand on regarde une carte de la France face à l’Angleterre, il ne faut pas être grand stratège pour voir que la Normandie (de Cherbourg à la frontière avec la Picardie) est une des zones possibles de débarquement ; d’ailleurs, les Anglais avaient pris l’habitude d’y débarquer pendant la Guerre de Cent Ans. Par ailleurs, Cherbourg (que Rommel avait capturé en juin 40) et le Havre étaient des grands ports bien tentants. Enfin, il y avait eu le raid de Dieppe en 1942 alors que les Allemands dont Hitler s’attendaient déjà à un débarquement en Normandie.

Au printemps 1944, les stratèges allemands dont Rommel pensaient fort possible une attaque aéroportée à la base du Cotentin (La Haye-du-Puits-Carentan), capable de couper la péninsule et d’isoler Cherbourg, suivie d’un débarquement plus prêt de Cherbourg. Mais cela restait pour eux un débarquement secondaire pour capturer Cherbourg. Ils restaient convaincus que tout débarquement principal devrait se produire dans le Pas-de-Calais, beaucoup plus proche de l’Allemagne.

Pour s’opposer d’ailleurs à cette attaque aéroportée possible, Rommel déplaça mi-mai 1944 plusieurs nouvelles unités dans le Cotentin (91 Luftlande Division, FJR. 6) et réarrangea la disposition des unités existantes (243 ID sur la côte ouest et 709 ID sur la côte est). Cela obligea les Alliés à modifier leurs plans : la 82nd AD qui devait sauter autour de la Haye du-Puits sautera finalement plus à l’est et donc plus proche de la 101st AD et d’Uth Beach. Rommel fit aussi planter des milliers de pieux dans les champs propices aux atterrissages de planeurs.

Les Allemands avaient étudié les nombreux débarquements alliés de 1942 et 1943 et pouvaient voir que les Alliés débarquaient à plusieurs endroits en même temps, séparés parfois de plusieurs centaines de kilomètres les uns des autres: en AFN en novembre 42, en Sicile puis dans le sud de l’Italie en 1943. Donc un débarquement principal dans le Nord-Pas-de-Calais et un débarquement secondaire dans le Cotentin dans le même temps étaient tout à fait envisageables pour les Allemands. D’ailleurs les Alliés avaient envisagé au départ des débarquements simultanés en Normandie et en Provence en 1944 mais le débarquement en Provence dut être décalé en août faute de péniches de débarquement en nombre suffisant. Un débarquement en Provence en juin 44 aurait permis de fixer des forces allemandes dans le sud de la France et éviter ainsi que plusieurs divisions allemandes ne montent vers la Normandie en juin et juillet.

Dans tous les cas, l’armée de terre allemande comptait sur la Kriegsmarine pour lui indiquer les plages favorables à un débarquement. Pendant très longtemps, la KM considérait tout débarquement sur les côtes du Calvados trop difficile mais en savait possible sur la côte est du Cotentin. De plus, il n’y a pas de grand port sur les côtes du Calvados et un ennemi débarquant entre la Vire et la Dives serait très loin d’un grand port comme Cherbourg ou Le Havre et donc ne pourrait assurer un approvisionnement suffisant pendant une longue période. C’était sans compter bien sûr sur les ports artificiels.

De son côté, Marcks se préparait à un débarquement en Normandie parce que c’était son secteur (84 A.K.) et donc sa responsabilité. Il existe d’ailleurs plusieurs archives allemandes de 1943 et début 1944 qui montrent des cartes d’exercices (Kriegspiel) contre un débarquement allié ayant pour objectif la prise de Cherbourg.

Emmanuel
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