17 août 2022. Plus de deux ans après l’annonce faite en janvier 2020 d’un nouveau projet commercial inspiré par le thème de la bataille de Normandie et finalement intitulé « Hommage aux Héros », une concertation publique s’ouvre d’août à octobre 2022 afin de mieux cerner les contours de ce parc thématique. L’occasion pour l’ensemble des défenseurs et des détracteurs de ce projet de contribuer au débat.
Arromanches-les-Bains. Photo : Alexander Stielau
Les origines du malaise : une présentation chaotique
A l’occasion des traditionnels vœux à la presse en janvier 2020, Hervé Morin, président de la région Normandie, annonce un projet de spectacle grandiose sur le thème du Débarquement, réalisé par un metteur en scène de renom, avec pour objectif d’être présenté à l’occasion du 80e anniversaire du « D-Day », en 2024. Selon ses propres termes, « il nous manquait un événement qui permettait chaque année de retenir une journée ou deux de plus ces visiteurs si nombreux qui viennent sur les plages du Débarquement ». Le sous-entendu est alors évident : le touriste ne dépense pas assez en Normandie et il est urgent de trouver une solution. Il n’en fallait pas davantage pour déclencher une levée de boucliers contre ce projet mystérieux : cette présentation maladroite, exposant davantage la finalité mercantile que son contenu historique, s’est aussitôt heurtée à de nombreuses questions restées longtemps sans réponse.
Le tourisme de mémoire en Normandie est pourtant un terrain mouvant qui nécessite une prudence toute particulière : outre les traditionnelles « guerres de clocher » à travers lesquelles se livrent parfois passionnés, historiens, associations ou encore élus locaux, s’appropriant l’histoire pour servir des desseins bien éloignés des principes et des idéaux déclamés lors des commémorations, le tourisme de mémoire a connu des échecs cuisants par le passé, à l’instar de la tentative d’union en 2013 d’une partie des offices de tourisme de Basse-Normandie dans le cadre du projet avorté « Secteur mythique des plages du débarquement ».
Peu après la déclaration du président de la région Normandie, plusieurs groupes s’opposant au projet ont vu le jour. Surnommant ce futur site « D-Day Land » ou encore « Disneyland 44« , ils ont rapidement obtenu l’appui d’élus, de journalistes, d’historiens, mais également et surtout de vétérans et leurs familles. L’exemple le plus frappant étant celui des deux derniers vétérans français du commando Kieffer encore vivants à cette époque, Hubert Faure et Léon Gautier, qui s’insurgent en juillet 2020 contre cette initiative, dénonçant : « Comment peut-on faire un ‘DisneyLand’ sur la mort de gens qui ont donné leur vie pour la France ? »
Quelques semaines plus tard, le 5 septembre, l’écrivain Gilles Perrault installé à Saint-Marie-du-Mont dénonce à son tour ce projet dans Le Monde, décrivant « une mascarade historique à visée commerciale (…) faisant appel à 150 comédiens et circassiens, avec la reconstitution d’un village » qui « assurera la vente de produits locaux et de produits dérivés ». Le 9 septembre, nouveau coup de théâtre contre le projet : 154 descendants du commando Kieffer signent une tribune « la transmission de la mémoire (…) ne peut, en aucun cas, se faire sur un mode spectaculaire, festif et commercial ».
La polémique est vive et gagne l’étranger. Le 27 mai 2022, des familles de vétérans américains, canadiens et britanniques rédigent un communiqué condamnant le fait que les soldats tués soient « réduits au rôle de figurants d’un spectacle ». Pour ces signataires, « la transmission de la mémoire n’est ici qu’un prétexte au développement d’un business bien éloigné des drames encore très présents dans nos histoires personnelles et familiales« .
Vue d’artiste du futur projet (Hommage aux Héros)
Un projet dont le contour se dessine progressivement
Le spectacle peine initialement à trouver des soutiens, la faute à une communication avare en détails qui donne l’impression que le projet a été présenté avant d’avoir été entièrement ficelé. C’est à travers cette faille que les détracteurs se sont légitimement glissés.
Au fil des mois, des annonces ont été faites pour en préciser le contenu ainsi que les objectifs historiques. Ce nouveau centre se présente alors comme étant ouvert six mois par an, pouvant accueillir 6 000 personnes par jour, et se trouvant dans le secteur de Saint-Hilaire-Petitville (Carentan-les-Marais), à proximité immédiate de l’actuel Normandy Victory Museum. Le spectacle, installé dans un théâtre de 1 000 places qui se déplace sur plus de 400 mètres, devrait être signé Serge Denoncourt et Stéphane Roy, à l’origine de « Je vais t’aimer » basé sur des chansons de Michel Sardou en 2021. Le spectateur assiste à une trentaine de « tableaux vivants » permettant d’embarquer à New York, de se retrouver dans les camps d’entraînement anglais, de débarquer avant d’être au cœur des combats. L’entrée serait tarifée 28,50 euros par personne.
L’appui de personnalités diverses vient progressivement conforter cet « Hommage aux Héros« , une appellation sensée couper court à celle du « D-Day Land » qui lui colle à la peau. L’organisation « Hommage aux Héros« , s’entoure ainsi du vétéran américain Charles Norman Shay, qui voit dans ce spectacle l’occasion de raconter à un large public l’histoire de la bataille de Normandie, ainsi que de Tristan Lecoq, inspecteur général de l’Éducation nationale. Jean Quellien, universitaire de référence sur la bataille de Normandie, a également confirmé qu’il appartenait au conseil scientifique chargé de s’assurer de la conformité historique des sujets abordés.
Localisation du futur site sélectionné (Hommage aux Héros)
Il s’agit d’une opportunité économique forte pour le territoire de Carentan-les-Marais, susceptible de créer entre 200 et 250 emplois, avec un investissement de près de 110 millions d’Euros provenant de fonds privés. Les retombées économiques sont potentiellement très élevées pour la ville de Carentan ainsi que le département, comme l’anticipe et l’espère Philippe Gosselin, député de la Manche.
Au final, trois comités sont rassemblés au sein de l’association « Hommage aux Héros » (loi 1901) : ils s’intéressent respectivement à l’éthique et la Mémoire, l’approche scientifique et pédagogique, ainsi qu’aux enjeux économiques et locaux.
Vue d’artiste du futur projet (Hommage aux Héros)
Concertation publique
La concertation publique est une réponse à la saisie le 22 mars 2022 de la Commission nationale du débat public (CNDP) par le maître d’ouvrage du site. Le rôle de la CNDP est de veiller au respect du droit à l’information et à la participation du public dans l’élaboration des projets ayant un impact sur l’environnement. Cette concertation fait également suite à la lettre ouverte à la ministre de la Transition écologique, transmise le 15 octobre 2021 par les détracteurs du spectacle. Ces derniers considèrent qu’une « trentaine d’hectares de terres agricoles devraient être requalifiée en zone à urbaniser, ce qui entre en totale contradiction avec la loi Climat et avec le contrat de relance et de transition écologique (…) entre l’État et la Communauté de Communes de la Baie du Cotentin ».
Le maître d’ouvrage assure d’ailleurs que l’étude sur les impacts environnements a été réalisée avec le plus grand sérieux, se traduisant notamment par des orientations de conception « frugales« , notamment sur les plans énergétiques et techniques.
Le CNDP a désigné Laurent Demolins, ancien commandant le groupement de gendarmerie du Calvados entre 1998 et 2001, pour s’assurer que des réponses appropriées aux questions posées par le public soient apportées par le maître d’ouvrage. Des questions peuvent être également directement adressées par le public au garant sur le contenu et les modalités de la procédure de concertation préalable elle-même.
À l’issue de la concertation préalable et dans un délai d’un mois, le garant dressera un bilan qui sera rendu public. Il synthétisera les avis, remarques, les questions posées et les réponses apportées par le porteur de projet lors de la concertation et fera des préconisations pour la suite de la concertation jusqu’à l’ouverture de l’enquête publique.
Comment participer à la concertation ?
- En déposant une contribution en cliquant sur ce lien, ou par mail à concertation@hommageauxheros.fr
- En déposant une contribution sur les registres publics mis à disposition :
- en mairie de Carentan-les-Marais (Boulevard de Verdun, 50500 Carentan les Marais),
- à l’Office de tourisme de la Baie du Cotentin (24 place de la République, 50500 Carentan-les-Marais),
- à la Préfecture de la Manche (place de la Préfecture, 50002 Saint-Lô).
Plusieurs réunions publiques sont organisées :
- au théâtre de Carentan les 19 août, 13 septembre et 6 octobre (18h30).
- A la salle des fêtes d’Arromanches-les-bains, le 6 septembre (18h30).
- A la Cité de la Mer à Cherbourg-en-Cotentin, le 22 septembre (18h30).
Des questions éthiques en suspend
Ce futur site mémoriel rencontre désormais plusieurs problèmes éthiques de taille, à commencer par le désaccord de vétérans de la bataille de Normandie et leur famille. La question de maintenir la réalisation de ce spectacle malgré leur opposition est d’autant plus délicate que l’ensemble des derniers acteurs et témoins directs de cet événement historique n’est pas unanime sur la question. Certains des détracteurs sont néanmoins engagés depuis plusieurs dizaines d’années dans la promotion du tourisme de mémoire, à l’instar de Léon Gautier, assurant de nombreuses visites et permanences au musée du Commando No.4 à Ouistreham. Si son avis sur le sujet a bien été sollicité par le comité d’éthique (sans qu’il en fasse partie, contrairement à ce qui avait été avancé par le Comité du Débarquement en 2020), il n’a cependant pas été retenu étant donné qu’il ne soutenait pas le projet.
Que penser également des derniers vestiges physiques de la bataille de Normandie, à l’instar du port artificiel d’Arromanches ou des bunkers de la pointe du Hoc, dont certains éléments sont condamnés à la disparition d’ici à l’horizon 2050 face aux aléas climatiques si rien n’est entrepris pour les sauver ? Plusieurs dizaines de millions d’Euros, provenant aussi bien de fonds privés que publics, sont nécessaires pour empêcher ou à minima ralentir ce phénomène qui touche justement deux des sites les plus visités par le tourisme de mémoire en Normandie. Comment justifier éthiquement que l’on préfère investir ces fonds dans un nouveau site mémoriel que dans la préservation de témoins directs de la bataille de Normandie ?
Cette initiative démontre également l’évolution du regard des nouvelles générations face au traitement de l’histoire. Le cadre et les techniques de ce spectacle, qui tranchent avec les moyens de nombreux musées de la bataille de Normandie, visent à attirer les nouvelles générations avec un dynamisme et une immersion qui se fait encore rare. Certains espaces mémoriels ont néanmoins franchi le pas à l’instar du D-Day Experience ou de l’Airborne Museum, qui s’appuient avec brio sur les nouvelles technologies pour présenter les faits du 6 juin 1944.
En conclusion
S’il ne faut pas craindre la nouveauté mais au contraire espérer qu’elle puisse contribuer à attirer les nouvelles générations vers l’histoire, il faut également se féliciter que l’histoire du débarquement et des combats de 1944 en Normandie continue d’attirer des investisseurs et de nouveaux projets. Que dirions-nous si le tourisme de mémoire en Normandie avait disparu ?
Toutefois, il est impératif de résoudre les problèmes éthiques posés par ce futur musée avant qu’il ne prenne forme. Il est également nécessaire et urgent de s’inquiéter de la disparition progressive de plusieurs musées qui ont récemment fermé leurs portes, tel le Normandy Tank Museum (qui a vendu aux enchères l’essentiel de sa collection en 2016, dénonçant une iniquité fiscale et l’absence de soutien local) ou encore le musée des Rangers de Grandcamp-Maisy. Ces lieux de mémoire, où sont rassemblées des collections uniques livrant des témoignages exceptionnels, doivent être davantage soutenus par l’Etat et les collectivités locales afin de maintenir et soutenir l’évolution de la transmission de la mémoire.
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