Opération Lüttich

7 – 13 août 1944

Image : Plan de l'opération Lüttich

Plan de l’opération Lüttich

Origines et objectifs de l’opération Lüttich

Le lancement de l’opération Cobra, mené par les Américains au sud du Cotentin le 25 juillet 1944, ouvre une vaste brèche dans les lignes allemandes en direction de Saint-Lô. Ces derniers, incapables de se replier sur une ligne de défense et de contenir fermement la progression américaine, subissent de plein fouet le rouleau compresseur allié, fort de son infanterie, sa cavalerie, son artillerie et de son aviation. Les forces allemandes sont durement touchées par ces assauts répétés et de nombreux chars et véhicules blindés sont détruits : le 1er août 1944, les Américains sont déjà à Avranches. Ils s’emparent du pont de Pontaubault qui permet à toute la 3e armée commandée par le général Patton de s’infiltrer en Bretagne.

Si les Américains cherchent à élargir l’étroit corridor leur permettant d’accéder à la Bretagne et à l’ensemble des autres régions de la France (le 7e corps du général Collins s’empare de Mortain le 3 août, à seulement vingt-quatre kilomètres à l’est d’Avranches), c’est parce qu’ils sont conscients que là se trouve leur point faible, fortement exposé à une éventuelle contre-attaque allemande. Pour les en empêcher, ils lancent quelques jours auparavant l’opération Bluecoat (30 juillet) afin de fixer les éventuelles réserves allemandes face au nord.

Mais les Allemands n’ont pas placé l’ensemble de leurs unités pour contrer Bluecoat. Le 2 août, Hitler ordonne au général von Kluge de couper les armées américaines en deux en attaquant entre Mortain et Avranches. A ce moment de la bataille de Normandie, les généraux allemands sont dans l’ensemble persuadés que leurs forces doivent d’abord se réorganiser de l’autre côté de la Seine avant de lancer une quelconque offensive. Deux jours plus tard, après la chute de Mortain, Hitler renouvelle son ordre. Afin de mener cette périlleuse mission à bien, von Kluge doit utiliser un maximum de chars pour percer les lignes américaines, et donc les unités engagées sont dans l’obligation de détacher un certain nombre de leurs blindés pour renforcer les forces d’assaut. Les officiers allemands, prévenus de l’imminence d’une attaque, sont particulièrement pessimistes sur les chances de réussite.

Von Kluge met au point avec le général Paul Hausser, commandant la 7e armée, les détails de l’opération. Hitler demande à ce que huit divisions blindées soient engagées dans l’offensive, mais von Kluge ne parvient à en réunir que quatre (fortes de 300 chars seulement au total) : les 2e et 116e S.S. Panzerdivisionen ainsi que la 1ère et 2e Panzer divisions. Ces chars sont soutenus par de l’infanterie (deux divisions et cinq brigades interarmes) et de l’artillerie. L’objectif de l’opération baptisée Lüttich est d’atteindre la côte en passant par l’est de Mortain où se trouve la 30e division d’infanterie américaine commandée par le général Leland Hobbs.

Dès le 4 août, les Américains interceptent les communications allemandes liées à Lüttich et grâce au système Ultra ils déchiffrent les messages annonçant l’opération allemande. Les Américains ne modifient pas leur plan pour autant mais mettent en alerte la 9e Air Force ainsi que les forces aériennes britanniques qui sont en mesure d’intervenir. Hitler demande à ce que ses forces soient en mesure d’attaquer entre le 8 et le 10 août afin de permettre à un maximum d’éléments de venir renforcer les forces d’assaut.

Déroulement de l’opération Lüttich

Von Kluge souhaite quant à lui attaquer le plus tôt possible car ses adversaires se renforcent d’heure en heure et il décide d’attaquer dès le 7 août. Le pessimisme ambiant au sein des forces allemandes est tel que le général Gerhard von Schwerin, commandant la 116e division Panzer, n’a même pas répercuté à ses subordonnés les ordres reçus de von Kluge. Ses chars sont immobilisés et ne rejoignent pas la ligne de débouché. Les autres unités se mettent en place et l’assaut débute peu après minuit, le 7 août. L’offensive n’est pas précédée par un habituel barrage d’artillerie afin de conserver l’effet de surprise, qui est réel : les Américains n’ont pas transmis l’information d’une attaque imminente suffisamment tôt à la 30e division d’infanterie américaine.

La 2e Panzer division commandée par Lüttwitz au nord du dispositif allemand perce le front et bouscule le 117e régiment d’infanterie américain. Elle atteint Le Mesnil-Tôve puis Le Mesnil-Adelée à six heures du matin, soit une progression de près de quinze kilomètres pendant la nuit. Mais son flanc droit est exposé en raison de l’immobilité inexpliquée de la 116e Panzer division, qui n’a pas fait mouvement. Au sud, la 1ère S.S. Panzer division « Leibstandarte-Adolf Hitler » fait face à la farouche résistance du 117e régiment d’infanterie qui doit quitter Saint-Barthélemy à une heure du matin mais parvient à bloquer les Allemands aux abords de la cote 285. Mortain est assiégé dans le secteur sud de l’opération Lüttich par la 2e S.S. Panzerdivision « Das Reich » et les éléments avancés allemands progressent jusqu’à Saint-Hilaire-du-Harcouët, Romagny, Fontenay et Milly, encerclant les soldats du 120e régiment d’infanterie sur la cote  317 à l’est de Mortain.

Opération Lüttich

Un char Panther en déplacement dans le bocage.
Bundesarchiv

Le retour de l’aviation alliée

L’aviation alliée ne peut pas intervenir dès l’aube à cause d’un important brouillard mais vers midi, celui-ci se dissipe. Ainsi, la chasse américaine s’envole attaquer les colonnes de Panzer. Les Allemands ne vont pas plus loin que les positions tenues à l’aube du 7 août : ils sont impitoyablement bombardés et mitraillés par l’aviation alliée. Les forces terrestres américaines réagissent à leur tour en déployant des éléments de la 4e division d’infanterie ainsi que le Combat Command B de la 3e division blindée venus en renfort de la 30e D.I. Le décollage des chasseurs-bombardiers américains, renforcés par la 2nd Tactical Air Force britannique, marque la fin de l’opération Lüttich, car avant même que les chars Tigre établissent le contact avec la 3e division blindée, l’aviation a entièrement stoppé la progression allemande et près de soixante chars sont détruits.

Les avions de la Luftwaffe, qui devaient assurer le contrôle de l’espace aérien dans ce secteur pendant toute la durée de l’offensive Lüttich, sont détruits directement au décollage par l’aviation alliée, avant même de pouvoir intervenir. Malgré tout, en début d’après-midi, les Allemands reçoivent l’ordre de renouveler l’offensive en direction de l’ouest, mais ils ne sont plus en mesure de progresser.

Von Kluge reçoit un message d’Hitler lui indiquant que son Führer est extrêmement déçu de ce résultat et qu’il ne comprend pas pourquoi l’opération Lüttich n’a pas débuté au moins une journée plus tard comme il le lui avait conseillé. Mais les renforts allemands qui sont arrivés le 7 août en début d’après-midi sont mis de côté pour une nouvelle attaque qui doit débuter le lendemain au même endroit : Hitler donne une nouvelle chance à von Kluge et lui impose de relancer l’offensive en direction d’Avranches.

Le coup de massue de l’opération Totalize

Le 8 août, les Anglo-Canadiens débutent l’opération Totalize au sud de Caen visant à percer les lignes allemandes en direction de Falaise. Hitler ordonne dans un premier temps de multiplier les efforts pour atteindre la cote, qui n’est plus très loin : il demande au général Heinrich Eberbach, commandant le Panzergruppe West, de mettre sur pied un nouvel état-major en charge exclusivement de l’offensive Lüttich, et de relancer l’offensive. Mais Eberbach n’a pas le temps de préparer une nouvelle attaque : de nouveaux renforts doivent être envoyés au plus vite dans la région de Falaise pour contrer l’opération Totalize.

Les Américains reprennent l’initiative et ouvrent de multiples brèches dans les lignes allemandes : dans la précipitation, les ordres d’installation en défense ferme face à l’ouest ne sont pas tous parvenus aux combattants. Certaines unités se replient vers l’est tandis que d’autres valorisent le terrain en attendant les contre-attaques américaines. Pendant plusieurs jours, les Alliés combattent dans cette région une armée allemande à double vitesse, soit en offensive soit en défensive, handicapée par de gros problèmes de communication. Ce n’est que le 13 août 1944 que les Allemands cessent toute offensive en direction de l’ouest.

Bilan de l’opération Lüttich

Le bilan humain et matériel de cette opération est très lourd, du côté allemand comme du côté américain. Cette offensive, qui a duré moins d’une semaine, n’a tourné à l’avantage des assaillants que pendant les douze premières heures de l’attaque. Les pertes infligées aux Allemands sont si élevées lors de la première journée qu’ils sont incapables de relancer l’opération par la suite : sur les 300 chars déployés, près de 150 sont détruits par les Alliés du 7 au 8 août. Si les regroupements de chars handicapent les forces terrestres américaines et sont susceptibles de traverser leur dispositif comme nous l’avons vu dans le cadre de l’opération Lüttich, la supériorité aérienne alliée met un terme une fois de plus aux offensives blindées adverses.

Les généraux Allemands présents sur le terrain en Normandie connaissent, en ce début de mois d’août 1944, des doutes particulièrement forts vis-à-vis des stratégies d’Hitler. Ils sont quasiment tous persuadés qu’un repli stratégique de l’autre côté de la Seine est nécessaire et ne s’engagent plus pleinement dans les contre-offensives ponctuelles comme le montre le comportement du général von Schwerin pendant Lüttich.

Cette offensive permet aux Alliés d’encercler progressivement les forces adverses car la 3e armée américaine s’empare du Mans le 9 août et le général Bradley ne tarde pas à remarquer qu’une nasse est en train de se former autour de la 7e armée allemande : les prochains jours de la bataille de Normandie sont consacrés à la fermeture de cette nasse dans la région de Falaise (opération Tractable, 14 août 1944).

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Auteur : Marc Laurenceau – Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur – Contact Webmaster