Emiéville (Calvados)
Les villes de Normandie pendant les combats de 1944
Les épaves du char Tigre II du Schwere Panzer-Abteilung 503 et du char Sherman du lieutenant Gorman.
Photo : DR
Libération : 17 août 1944
Unités engagées :
2nd Battalion Irish Guards, 5th Guards Armoured Brigade, Guards Armoured Division
Luftwaffen-Jäger Regiment 32, 16. Feld-Division (L)
I/Panzergrenadier-Regiment 25, 12. Panzer-Division
II/Panzer-Regiment 22, 21. Panzer-Division
Historique :
Le 6 juin 1944, la commune d’Emiéville dans le Calvados est occupée par des éléments appartenant au deuxième bataillon du Panzergrenadier-Regiment 125 (21. Panzer-Division) commandé par l’Hauptmann Kuron. Ces unités sont renforcées par le 1er bataillon du Panzer-Regiment 22 (Major Wilhelm von Gottberg). A compter du 14 juillet 1944, le manoir d’Emiéville accueille le poste de commandement du Schwere Panzer-Abteilung 503 aux ordres de l’Hauptmann Rolf Fromme. C’est la première unité blindée allemande équipée de chars Tigre II à être engagée en Normandie. Le 1er escadron s’installe au sud du village et le 2e escadron prend position dans les bois au nord-est d’Emiéville.
Le 18 juillet, les Alliés lancent l’opération Goodwood qui vise à s’emparer de Caen : l’offensive débute avec un bombardement massif qui détruit la grande majorité des positions allemandes. La commune d’Emiéville est située dans le secteur codé « H » par l’aviation alliée. L’attaque aérienne est l’une des plus importantes des combats en Europe de l’ouest. Les blindés allemands sont sévèrement touchés par les bombes qui parviennent à retourner certains chars du Panzer-Regiment 22. Les chars du 2nd Battalion Irish Guards (5th Guards Armoured Brigade) débutent l’offensive en direction d’Emiéville tandis que le deuxième bataillon du Panzergrenadier-Regiment 25 se réorganise en formant une nouvelle ligne de défense à hauteur de ce village. L’un des plus importants combats de chars de la bataille de Normandie est en train de se dérouler dans le secteur avec l’engagement par les Allemands de chars Tigre I et de Tigre II du Schwere Panzer-Abteilung 503.
Le lieutenant John Gorman, appartenant au 2e escadron du 2nd Battalion Irish Guards, progresse à l’est de Cagny en suivant une ligne de pylônes électriques avec son peloton de chars Sherman. L’équipage de son blindé baptisé « Ballyragget » se compose d’un pilote (Baron), un co-pilote (Melville), un pointeur-tireur (Albert Scholes) et un opérateur radio (Agnew). Gorman atteint ensuite la route Cagny-Emiéville d’où il peut apercevoir à une distance d’environ 200 mètres quatre blindés adverses stationnés, les équipages débarqués : un char Tigre I, un Tigre II et deux Panzer IV, appartenant au Schwere Panzer-Abteilung 503. C’est la première fois qu’il aperçoit le fameux Tigre II, surnommé Tigre Royal. Après une rapide discussion avec son équipage pour décider de la tactique à prendre, il ordonne l’assaut afin d’appliquer des feux à très courte portée et pour prendre ses adversaires de vitesse. Son pointeur-tireur Scholes tire un obus explosif sur le Tigre II à une distance de cinquante mètres environ afin de détruire ses systèmes de visées, car les obus perforants de 75 mm sont sans effet contre l’épais blindage du char allemand. Deux obus supplémentaires sont tirés mais le Tigre Royal n’est pas détruit. Soudain Scholes annonce que le canon est enrayé, le Sherman ne peut plus ouvrir le feu alors qu’il vient d’engager le combat contre un char bien plus puissant. Gorman ordonne alors à son pilote : « Driver, ram! » (« pilote, attaque bélier ! »).
L’équipage du char Tigre II, comprenant la manœuvre et réalisant qu’il est trop tard pour faire tourner sa tourelle en direction du Sherman, tente une marche arrière, soit pour le percuter, soit pour l’éviter. Le « Ballyragget » qui s’est engagé à pleine vitesse parvient à heurter le châssis arrière gauche du char allemand. Le choc est si brutal que l’équipage du char allemand évacue immédiatement. Le char de Gorman est également endommagé et ne répond plus à l’ensemble des commandes.
Les autres blindés allemands prennent alors leur visée sur le Sherman du lieutenant Gorman : ce dernier ordonne alors l’évacuation de son char. Ils se dirigent à toute vitesse vers un champ de maïs. De sa propre initiative, l’un des subordonnés de Gorman, le sergent Harbinson, ouvre le feu sur les trois chars allemands afin de détourner leur attention. Le Tigre I ajuste son tir et touche le Sherman du sergent Harbinson, occasionnant la mort instantanée du pilote, Lance-Corporal Watson, et de l’opérateur-radio, Davis. Les autres membres d’équipages sont blessés : les soldats Walsh et Melville parviennent à s’extraire du Sherman et Walsh trouve la force de sauver son sergent et de le transporter jusqu’aux lignes britanniques. L’équipage du Tigre II s’est enfuit, profitant de la distraction qu’a occasionné la destruction du char du sergent Harbinson. Le lieutenant Une fois à couvert, Gorman fait le point de son équipage, mais Agnew ne répond pas à l’appel. Il n’arrive que quelques secondes plus tard : dernier à sortir du char, il n’a pas suivi la bonne direction et s’est dirigé vers un groupe de soldat couchés dans un fossé. Il tombe nez-à-nez avec l’équipage du char allemand et fait immédiatement demi-tour !
Le lieutenant décide ensuite de trouver un char Sherman Firefly pour détruire les chars adverses dont il connait désormais la position : il ordonne à ses hommes de rester sur place en attendant son retour. Peu après son départ en direction de Cagny, l’équipage est pris sous le feu d’un tir d’artillerie : des éclats d’obus blessent Scholes et Melville. Gorman parvient à récupérer un Firefly qui est immobilisé : il est en état de fonctionner mais le sergent Workmann, chef de char, vient d’être décapité par un tir adverse, ce qui a occasionné une projection de sang dans toute la caisse, notamment sur le système de visée. Le lieutenant prend le commandement de l’équipage et progresse lentement vers la zone des combats, appuyé par le char du Lieutenant Anthony Dorman. S’arrêtant sur une position de tir idéale, son tireur pointe le Tigre I et ouvre le feu à cinq reprises, sans parvenir à l’atteindre : le système de visée, couvert de sang, est difficile à utiliser. Les sixième et septième essais sont les bons, le char allemand est neutralisé. Gorman lui ordonne ensuite de viser le Tigre II : touché, il s’enflamme et le char Sherman « Ballyragget » prend aussitôt feu par sympathie. Les deux Panzer IV quittent la zone des combats. Gorman et ses hommes sont pris sous un nouveau tir d’artillerie : à son tour blessé, lui et ses hommes se replient en direction d’un poste médical avancé. Le sergent Harbinson décède le 28 juillet des suites de ses blessures. Pour ses actes de bravoure, le lieutenant Gorman est décoré de la Military Cross.
Mais cette action isolée ne permet pas pour autant aux Irlandais de traverser la ligne de défense allemande : ils sont violemment repoussés et ne parviennent pas à s’emparer d’Emiéville.
Les combats se poursuivent le lendemain, 19 juillet. Les Allemands de la 21. Panzer-Division sont renforcés sur leur aile gauche par le 1er bataillon du Panzergrenadier-Regiment 25, 12. Panzer-Division. Le 20 juillet, ils passent à la contre-offensive et mettent un terme à l’opération Goodwood, stoppant net l’élan allié dans le secteur. Mais les Britanniques n’abandonnent pas pour autant les terrains payés au prix fort et ils parviennent à stopper à leur tour la contre-attaque adverse. Une fois de plus, le front se stabilise.
Tandis que les divisions blindées allemandes basculent progressivement vers le sud d’Emiéville, le secteur est ensuite défendu par la 346. Infanterie-Division du Generalleutnant Erich Diestel. Il faut attendre le lancement de l’opération Paddle le 17 août 1944 pour que les Alliés s’emparent enfin du village d’Emiéville.
Cartes d’Emiéville :
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