La traversée de la Manche par l’Armada alliée

Opération Neptune – Débarquement de Normandie

Au large des côtes anglaises, la flotte d’invasion attend l’ordre de mouvement vers la Normandie. Photo : US National Archives

Au large des côtes anglaises, la flotte d’invasion attend l’ordre de mouvement vers la Normandie.
Photo : US National Archives

Les préparatifs de la traversée de la Manche par les Alliés

Les officiers de marine alliés reçoivent, le 10 avril 1944, la confirmation d’un débarquement au nord de la France et plus précisément sur les côtes de Basse-Normandie. L’opération de transport des hommes et du matériel à travers la Manche, nom de code Neptune, est supervisée par le commandant en chef de la flotte alliée : l’amiral Bertram Ramsay.

La traversée de la Manche est un élément clé de l’opération Overlord. C’est l’effet majeur des Alliés qui, en assurant leur arrivée au large des côtes normandes sans encombres, s’ôtent une importante épine du pied. Car les possibilités d’embûches sont très nombreuses : mauvaises coordinations entres les flottilles, erreur de navigation d’un ou de plusieurs convois, découverte de champs de mines, attaque de sous-marins U-Boote ou de vedettes lance-torpilles E-Boote allemands, intervention massive de la Luftwaffe, avaries sur un nombre important de navires clés de l’armada, montée en puissance de la tempête qui a lieu dans la Manche en ce début de mois de juin 1944… Les mesures de coordinations sont donc particulièrement nombreuses pour prendre en compte un maximum de cas non conformes et les incidents que les navires et les bâtiments de guerre peuvent éventuellement rencontrer.

L’amiral Kirk commande le secteur américain (Task Force West) : Force U (pour Utah) positionnée à Plymouth, et Force O (pour Omaha) positionnée à Portland. Quant au secteur anglo-franco-canadien (Task Force East), c’est l’amiral Vian qui les dirige : Force S (pour Sword) positionnée à Portsmouth, Force G (pour Gold) positionnée à Southampton, et la Force J (pour Juno) positionnée à l’île de Wight.

L’ensemble des bâtiments de guerre participant à l’opération Neptune quittent leur port d’attache à des horaires différents en fonction de leur localisation géographie en Grande-Bretagne et doivent faire route vers les côtes au sud de l’Angleterre. Une large zone de rassemblement est prévue, nom de code « Z », qui est surnommée « Piccadilly Circus » (en référence à cet axe très fréquenté du centre de Londres qui connait de nombreux bouchons). Le point « Z » est situé à 30 kilomètres au sud-est de l’île de Wight, et c’est le point d’éclatement de l’armada alliée qui se scinde en cinq convois prenant la direction de leur plage de débarquement respective. Ils empruntent alors cinq chenaux ouverts préalablement par les dragueurs de mines.

Les Britanniques ont choisi de baliser deux de leurs trois secteurs de responsabilité (Juno Beach à l’ouest et Sword Beach à l’est) par l’intervention de dix marins embarqués à bord de deux sous-marins de poche. Cette mission de balisage est baptisée l’opération Gambit. Les Américains n’ont pas souhaité organiser de missions équivalentes dans leur secteur de responsabilité.

La tempête dans la Manche

Une impressionnante tempête se forme dans la Manche, dès le samedi 3 juin 1944. Les météorologistes alliés s’inquiètent tout particulièrement des conséquences éventuelles que cet événement climatique pourrait avoir sur le bon déroulement de l’opération Neptune. Initialement prévu pour le 5 juin 1944, le convoi doit se former la veille, dimanche 4 juin, et traverser la Manche pendant la nuit. Le général Eisenhower décide, en raison d’une amélioration du temps prévue par la météo, le 4 juin à 04h15 : « Overlord aura lieu demain, 5 juin« .

Et c’est à l’aube du 4 juin que les premiers éléments de la flotte d’invasion se mettent en route en direction de Picadilly Circus. Mais ils sont rappelés quelques heures plus tard, le temps étant devenu encore un peu plus exécrable. Les hommes doivent attendre 24 heures supplémentaires ; pour les troupes d’assaut qui étaient déjà dans leurs embarcations depuis 5 jours, ce n’est plus pour elles qu’un petit délai supplémentaire.

Image : Le 4 juin, l'ordre du retour aux bases est donné par les avions alliés avec des signaux lumineux Le 4 juin, l’ordre du retour aux bases est donné par les avions alliés avec des signaux lumineux. Photo : IWM

Mais une escadre ne reçoit pas le message est poursuit sa route sans faire demi-tour. Les navires concernés appliquent la progression conformément au plan, ce qui pose un problème critique à l’état-major allié : si ces éléments sont repérés par les radars allemands, c’est toute l’opération Neptune (et donc Overlord) qui est remise en question. Des avions sont mis en alerte puis envoyés en urgence pour signaler l’ordre de retour par moyens lumineux. Le convoi change finalement de cap et rentre à son point initial.

Prenant toutes ses responsabilités dans cette affaire, Eisenhower décide que le débarquement de Normandie commencera le surlendemain. Les météorologistes ont en effet prévu une accalmie de quelques heures qui est profitable aux Alliés. Le lendemain, à l’aube du 5 juin 1944, la flotte d’invasion reprend la direction de la Normandie et cette fois pour de bon.

Déroulement de la traversée de la Manche

Lors de cette traversée tant attendue, les premiers bâtiments englobent l’immense armada d’un rideau de fumée qui doit la protéger des sous-marins et des vedettes E-Boot allemandes. Des avions sont également chargés de larguer de la fumée en protection des convois : l’une des escadrilles engagées est la 342th Squadron Lorraine 1/20, composée d’équipages des FAFL (Forces aériennes de la France Libre) et forte de 6 bombardiers Douglas Boston. Elle effectue sa mission de la Pointe de Barfleur jusqu’aux îles de Saint-Marcouf.

Image : Les dragueurs Alliés détruisent en Manche une mine située à proximité du passage des convois Les dragueurs alliés détruisent en Manche une mine située à proximité du passage des convois. Photo: US National Archives

Pendant la traversée, les ordres donnés aux officiers commandant les navires de guerre sont clairs : ils doivent ouvrir le feu sur tous les avions survolant à basse altitude la flotte, qu’ils soient amis ou ennemis. Les pilotes alliés sont prévenus, ils ne doivent pas descendre en deçà d’une certaine altitude.
Pour protéger les différents bâtiments de l’armada alliée de toute attaque aérienne à basse altitude, la plupart des navires sont équipés d’un ballon captif volant à plusieurs dizaines de mètres au-dessus de leur structure. Ce ballon est relié au navire par un câble en acier. Ce n’est pas le ballon qui empêche les attaques aériennes mais plutôt le câble d’acier qui risque de couper les ailes des avions.

Sur les flancs de l’armada alliée, vingt-quatre destroyers, des patrouilles de lutte anti-sous-marine ainsi que des garde-côtes sont chargés d’assurer la protection des convois. De plus, une escadre forte de deux cuirassés, huit croiseurs et vingt destroyers se place en couverture en mer du Nord pour s’opposer à une éventuelle intervention de la Kriegsmarine depuis cette région maritime. Dans le but d’induire en erreur la marine allemande, une escadre alliée composée de petites embarcations émettant de fausses communications radio quitte l’Angleterre le 5 juin en soirée en direction des côtes au nord de la France. Les opérateurs de surveillance allemands remarquent de larges échos sur leurs radars le 6 juin à une heure du matin et donnent l’alarme : pour l’Allemagne, le débarquement a bien lieu, il se déroule face au Pas-de-Calais.

Image : Sur cette photographie il est possible de distinguer les ballons captifs visant à protéger les navires Alliés Sur cette photographie il est possible de distinguer les ballons captifs visant à protéger les navires alliés. Photo : US National Archives

Rien ne doit retarder l’armada alliée : si un navire connait une avarie et n’est plus en mesure de poursuivre la progression, il doit laisser la voie libre aux autres bâtiments sans s’écarter à outrance de la route dégagée par les dragueurs de mines. Des équipes sont ensuite chargées de remorquer les navires bloqués.

L’approche des côtes normandes

Les premiers éléments de l’armada alliée arrivent en vue des côtes peu après minuit, le 6 juin. Les navires jettent ensuite l’ancre à dix milles nautiques des plages et certains sont repérés par les guetteurs allemands, notamment à Omaha Beach qui distinguent des d’importantes masses sombres à l’horizon. Ces soldats (en particulier sur le point d’appui Wn 62 à Colleville-sur-Mer) envoient même à compter d’une heure du matin des fusées éclairantes blanches pour demander une identification de la part des navires qui, bien entendu, ne répondent pas.

Image : Un bombardier moyen Américain B-26 survole l'armada Alliée Un bombardier moyen américain B-26 survole l’armada alliée. Photo : US National Archives

Au large du Havre, quatre E-Boote en patrouille surgissent du nuage de brouillard artificiel et tombent nez-à-nez avec la flotte alliée et le convoi de la Force S (Sword) : immédiatement, ils envoient leurs torpillent, effectuent rapidement un demi-tour puis disparaissent à travers le nuage de protection. L’un des deux navires de guerre norvégiens engagés dans l’opération Neptune, le Svenner, est touché et sombre. Les survivants sont récupérés par les navires environnants. C’est l’un des incidents majeurs de la traversée.

Des éléments de la Force U sont chargés de soutenir le débarquement de plusieurs équipes de soldats américains sur les îles de Saint-Marcouf, deux îlots de quelques dizaines de mètres carrés situés à quelques kilomètres seulement de la plage d’Utah Beach. Les Alliés sont persuadés que les Allemands ont placé sur les ruines d’un ancien bastion construit par Napoléon III un poste d’observation avancé ou un poste de contrôle des mines sous-marines placées dans la baie de Seine (des soldats allemands avaient été repérés par l’aviation sur la plus grande île en mai 1944). A 04h30, 132 soldats des 4th et 24th Cavalry Squadrons  y débarquent.

Les autres fantassins alliés prennent un rapide petit-déjeuner puis embarquent à bord des chalands de débarquement, en attendant l’ordre de mouvement vers les plages. Puis, à 05h10, c’est le début du tir de l’artillerie navale, qui se poursuit jusqu’à 05h50, trente minutes avant le début des opérations de débarquement.

La traversée de la Manche, très bien planifiée, s’est déroulée avec succès malgré la perte de plusieurs embarcations, avec des conséquences minimes sur l’ensemble des opérations. Cette réussite offre un effet de surprise total ainsi que l’assurance de débuter « Overlord » dans les meilleures conditions.

 

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Auteur : Marc Laurenceau – Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur – Contact Webmaster