La maison Gondrée fut-elle véritablement la première maison libérée du Jour J ?

Les fausses légendes du Jour J

La maison Gondrée est-elle vraiment la première maison libérée du Jour J ?

En arrière-plan derrière le pont de Bénouville, la maison Gondrée (volets blancs  fermés) représente l’une des fausses légendes du Jour J la plus répandue.
Photo : IWM.

Fausse légende du Jour J : « la maison Gondrée est la première maison libérée du Jour J » 

Rarement légende n’a été aussi tenace. Tout au long de l’année, les visiteurs se pressent pour découvrir l’auto-proclamée « première maison libérée du Jour J » à Bénouville, située à proximité immédiate du fameux Pegasus Bridge, un pont basculant capturé par les soldats aérotransportés de la 6th Airborne Division aux premières heures du 6 juin 1944.
Pourtant, aucun historien spécialiste de la bataille de Normandie n’est en mesure de l’attester. Au contraire : factuellement, tout indique que cette maison est bien restée inaccessibles aux combattants alliés plusieurs heures après le début de l’assaut.

La notion « première maison libérée » ou « première commune libérée » ne possède pas un intérêt historique élevé. Cette revendication ne provient en aucune manière des Alliés mais émane exclusivement des Français, proclamée quelques heures, jours ou parfois mois après les faits.

Mais alors que s’est-il passé le 6 juin 1944 à Bénouville ? Le pont « Pegase » sur le canal de Caen était l’objectif, dans les toutes premières minutes du Jour J, de 90 combattants aérotransportés par planeurs et appartenant au 2nd Oxford and Bucks Light Infantry, à la 249th Field Company Royal Engineers (Airborne) et au 7th Parachute Battalion (5th Parachute Brigade). La finalité de cette action réalisée de nuit (sous le commandement du Major John Howard) était de protéger le flanc oriental de la futur tête de pont alliée en Normandie en contrôlant ce point de passage obligé afin d’éviter toute contre-attaque adverse à partir de ce secteur. Les 90 hommes sont répartis en trois sections embarquées à bord d’autant de planeurs Horsa devant se poser à proximité immédiate de l’ouvrage d’art. Simultanément, trois autres planeurs doivent être engagés pour s’emparer d’un autre pont, sur l’Orne.

D’après le plan d’assaut du Major Howard, la No. 25 Platoon du lieutenant Herbert Denham Brotheridge devait atterrir en premier pour nettoyer les abris des deux rives du canal tout en s’emparant des positions les plus éloignées de la rive ouest du canal de Caen. La No. 24 Platoon du lieutenant David Wood étant quant à elle chargée de nettoyer les tranchées du Wn 13 bordant les deux rives du canal avant d’établir la liaison avec les autres combattants britanniques engagés pour s’emparer du pont sur l’Orne. La No. 14 Platoon aux ordres du lieutenant Richard Smith devait renforcer la No. 25 Platoon à l’ouest de la tête de pont et tenir face aux éventuelles contre-attaques ennemies. Ainsi, c’est en théorie la No. 25 Platoon qui était susceptible, en théorie, d’atteindre les premières habitations françaises du secteur, toutes celles à l’est du pont ayant été rasées par l’occupant avant le Jour J.

Le planeur Horsa numéro 91, piloté par le Staff Sergeant James Wallwork et le Staff Sergeant John Ainsworth, est le premier à se poser : il est 0h16. À son bord se trouvent le Major Howard et son radio, le Corporal Edward Tappenden, ainsi que 21 soldats de la No. 25 Platoon et cinq sapeurs. Après un rapide temps de réorganisation, le lieutenant Brotheridge lance son assaut, hurlant « en avant la 25e ! »: il est 0h18. Les premiers coups de feu éclatent.

Pegasus Bridge, gare de tramway Maison Gondrée et Café Picot.

Photo aérienne permettant de localiser le Pegasus Bridge, la gare de tramway, la maison Gondrée et le café Picot.
Photo : DR

En quelques secondes, le soldat William Gray a traversé le pont et aborde son objectif : le petit bâtiment de la gare de tramway de Bénouville qui se trouve au bord du canal, au coin nord du carrefour. Il lance une grenade à l’intérieur, attend l’explosion puis tire une rafale avec son fusil-mitrailleur. Cette gare, qui pourrait être le premier bâtiment de France continentale à être libéré par les Alliés, est vide. Gray quitte les lieux et se dirige ensuite vers l’emplacement d’un canon antiaérien situé à l’ouest du pont.

Le bâtiment de la maison Gondrée conserve ses volets et sa porte d’entrée fermés et ses occupants se précipitent vers la cave pour se mettre légitimement à l’abri.

Pourtant, au même moment, d’autres habitants de Bénouville s’aventurent à l’extérieur de leur maison, s’imaginant que les manœuvres militaires dont ils avaient été informés quelques jours plus tôt sont en plein déroulement devant chez eux. En effet, un entraînement avait été planifié par un régiment de la 21. Panzerdivision dans la nuit du 5 au 6 juin. Si la plupart des habitants croient entendre le bruit de munitions d’exercice, ce n’est pas le cas de Louis Picot, propriétaire d’un café, qui comprend tout de suite l’importance des événements en cours. Encore en robe de chambre, il sort de sa maison pour observer les combats, faisant de grands signes aux hommes du lieutenant Brotheridge et s’écriant « Vive les Anglais ! », mais il est mortellement touché par une rafale. Les soldats aérotransportés se ruent ensuite pour fouiller les maisons dans lesquelles ils peuvent entrer : ils inspectent tout d’abord celle de la famille Picot avant de s’engager dans « La Chaumière ». À l’intérieur se trouve la famille Niepceron dont le père est le pontier de l’ouvrage basculant.

À 0h26, dix minutes seulement après l’atterrissage du premier planeur et huit minutes après le début de l’assaut de la No. 25 Platoon, le calme est revenu, ne laissant plus la place qu’à de rares coups de feu. La famille Gondrée est toujours réfugiée dans la cave, toutes ouvertures fermées.

À 0h52, le Brigadier Nigel Poett commandant la 5th Parachute Brigade atteint le pont de Ranville après avoir été parachuté au nord du village de Ranville puis se dirige vers le pont de Bénouville, débutant la relève sur position des hommes du Major Howard.

Aux premières lueurs du jour (entre 5 et 6 heures du matin), les Britanniques font du porte à porte afin d’inspecter les bâtiments de Bénouville et s’assurer de l’absence d’ennemis au cœur de leur dispositif. Ils toquent à la porte de la maison située à proximité immédiate du canal : Georges Gondrée, propriétaire des lieux jusque-là restés fermés, ouvre avec une certaine inquiétude aux deux soldats. Ces derniers inspectent rapidement l’habitation et découvrent la famille cachée dans la cave depuis le début des combats.
Le bâtiment est transformé en antenne médicale quelques heures plus tard, placée sous les ordres du Captain Urquhart et accueille de nombreux blessés graves.

Bilan des combats de Bénouville le 6 juin 1944.
Au terme de mes différentes recherches sur la base des rapports militaires complétés par l’étude de témoignages d’acteurs directs des faits, aucun élément ne me permet d’affirmer que la maison Gondrée est bien la première maison libérée des combats de Bénouville le 6 juin 1944.

Bien au contraire, plusieurs autres bâtiments de Bénouville ont été de toute évidence « visités » par les soldats britanniques (à commencer par la gare de tramway, aujourd’hui disparue) avant que la porte de la famille Gondrée ne s’ouvre à l’aube du Jour J. Et si l’on prend en compte l’ensemble des combats livrés en Normandie par les parachutistes américains et britanniques entre 1h et 5h du matin, la probabilité que la maison Gondrée soit réellement la première habitation libérée de France (continentale, précisons-le, la Corse ayant déjà été libérée) est encore plus faible.

Pourtant, malgré ces évidences, la légende de l’auto-proclamée maison Gondrée continue d’exister.

Carte postale illustrant la gare de tramway de Bénouville.

Carte postale illustrant la gare de tramway de Bénouville (aujourd’hui disparue), probablement l’une des premières maisons libérées de France continentale le 6 juin 1944.
Photo : DR

Marc Laurenceau

Sources et bibliographie :
2nd Battalion Oxford and Buckinghamshire Light Infantry War Diary, 1944.
HUGEDE Norbert, Le commando du pont Pégase, éditions France-Empire, 1985.
BARBER Neil, The Pegasus and Orne Bridges, Pen & Sword Military, 2009.
LAURENCEAU Marc, Historial du Jour J et de la bataille de Normandie, 6 juin – 25 août, OREP, 2024.

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