Opération Tonga

Opérations aéroportées du débarquement de Normandie

Une Jeep et sa remorque débarquent d'un Horsa sur la Landing Zone "N" près de Ranville. Photo : IWM

Une Jeep et sa remorque débarquent d’un Horsa sur la Landing Zone « N » près de Ranville. Photo : IWM

Le cadre général de l’opération Tonga

Afin de sécuriser leur flanc gauche pendant le débarquement de Normandie contre une éventuelle contre-attaque allemande, les Alliés décident d’engager sur la rive est de l’Orne une division aéroportée chargée de tenir le terrain en attendant l’offensive amphibie. La 6th Airborne Division britannique est sélectionnée pour remplir cette mission qui ne se limite pas simplement à un rôle de bouclier pour protéger les flancs de l’opération Overlord : une fois la ville de Caen sous contrôle allié, cette unité aéroportée doit relancer l’offensive en direction de la Seine.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

La Reine Elizabeth rend visite aux parachutistes le 19 mai 1944. En photo : le Corporal Jones du 22nd Independent Parachute Co. Photo : IWM

La 6e division aéroportée se compose, au 1er juin 1944, des 3e et 5e brigades parachutistes (respectivement aux ordres du Brigadier James Hill et du Brigadier Nigel Poett), de la 6th Airlanding Brigade sur planeurs aux ordres du Brigadier Honourable Hugh Kindersley, de la 6th Airborne Armoured Reconnaissance Regiment aux ordres du lieutenant-colonel Godfrey Stewart et de plusieurs unités d’appui et de soutien (génie, transmissions, santé, matériel et train). L’unité est forte de plus de 5 250 hommes.

L’unité est transportée par les groupements 38 et 46 de la Royal Air Force (R.A.F.), spécialement détachés pour l’opération Overlord. Etant donné que ces deux forces ne disposent pas de vecteurs en nombre suffisant pour transporter l’intégralité de la 6th Airborne sur ses différents points de chute, la mission est décomposée en deux vagues : la première (baptisée opération Tonga) dédiée aux missions principales, obligatoirement remplies avant le début du débarquement sur les plages, la deuxième (opération Mallard) dédiée aux missions secondaires. Environ 20 heures séparent les deux opérations, ce qui permet aux pilotes de la R.A.F. d’effectuer un aller-retour dans de bonnes conditions.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Des planeurs Horsa le 5 juin 1944 en Angleterre. Photo : IWM

La 6e division aéroportée est transportée par avions Dakota C-47, Albermarle ou encore Stirling. Ces appareils permettent d’effectuer des parachutages mais également de tracter des planeurs : les Britanniques utilisent pour les opérations Tonga et Mallard des appareils Horsa et Hamilcar, ces derniers étant capables de transporter des chars légers Tetrarch.

Les troupes aérotransportées se préparent depuis le mois de juin 1942 et pendant près de deux ans, elles s’instruisent et perfectionnent leur savoir-faire aéroporté sur des objectifs d’entrainement qui soit ressemblent à ce qui les attend en Normandie, soit sont reconstitués à l’échelle réelle à partir de photographies aériennes. Un exercice grandeur nature de jour s’est déroulé dans le secteur de l’aérodrome de Welford le 2 mars 1944 avec l’engagement de 97 planeurs (seuls trois d’entre eux ont manqué leur zone de poser), puis un autre le 23 avril rassemblant 185 planeurs à Brize Norton, Harwell et Southrop. L’entrainement est arrêté le 1er juin 1944, les personnels se tenant prêts pour l’action réelle.

Les objectifs de l’opération Tonga

Les missions, étant donné que l’opération Tonga représente la première des deux vagues d’assaut de la 6e division aéroportée, consistent en différents coups de mains visant à surprendre l’adversaire et à prendre le contrôle de plusieurs points clés sur le terrain.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Des cadres de la 22nd Independant Parachute Company écoutent le briefing de leur mission. Photo : IWM

Trois objectifs sont définis :
– Premièrement, les deux ponts sur l’Orne (Bénouville) et le canal de Caen (Ranville) qui représentent la porte d’entrée et de sortie du flanc gauche allié doivent être sous contrôle et rester intacts. Cette mission (opération Coup de Main, également appelée Coup de Main Party) incombe à la compagnie D du 2nd Ox & Bucks du Major Howard, ainsi qu’au 7e régiment de la 5e brigade. La prise du pont de Bénouville est définie comme étant la mission Euston I tandis que celle du pont de Ranville est la mission Euston II.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Les parachutistes camouflent leur visage et leurs mains avant d’embarquer. Photo : IWM

– Deuxièmement, la batterie de Merville, menace potentielle pour la plage de débarquement Sword, doit être réduite au silence. Cette mission est confiée à un détachement du 9e régiment sous les ordres du lieutenant-colonel Otway, appartenant à la 3e brigade.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

A bord d’un Horsa le 5 juin 1944 en Angleterre avant le départ. Photo : IWM

– Troisièmement, cinq ponts situés à l’est de l’Orne doivent être détruits pour désorganiser les Allemands et empêcher une importante contre-attaque depuis cette région, tout en tenant le terrain afin de préparer des contre-offensives localisées. Cette mission revient au 1er régiment parachutiste canadien et aux 8e et 9e régiments anglais de la 3e brigade.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

« La Manche vous a stoppé, elle ne nous stoppera pas » sur un planeur Horsa le 5 juin 1944 en Angleterre. Photo : IWM

A cet effet, cinq zones sont définies pour le poser des planeurs – Landing Zone (LZ) – et le parachutage des unités aéroportées – Drop Zone (DZ) : la DZ « K » au nord de Sannerville, la LZ « N » située dans la région de Ranville, la DZ « V » à l’ouest de Varaville, la LZ « X » au sud-est du pont de Bénouville et la LZ « Y » au nord-ouest du pont de Ranville.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Des parachutistes s’apprêtent à embarquer dans un Stirling Mk 4. Photo : IWM

Les éclaireurs et la compagnie D du Major Howard doivent commencer à se déployer à compter de 00h20 le Jour J (opération Euston I et Euston II) tandis que les autres éléments de la division sont attendus sur leur zone de largage et de poser à compter de 00h50. Toutes les missions doivent être remplies avant le début du lever du soleil, c’est-à-dire avant 05h58 en ce mardi 6 juin 1944.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Un planeur Horsa décolle pour la Normandie en fin de soirée le 5 juin 1944. Photo : IWM

Déroulement de l’opération Tonga

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Le général Gale s’adresse à ses hommes avant le départ pour la Normandie. Photo : IWM

Le 5 juin, quelques heures avant d’embarquer dans les avions et les planeurs, le général Gale s’adresse aux hommes de sa division et les encourage une dernière fois avant le début de l’opération. Dans les heures qui suivent, les parachutistes reçoivent une nouvelle tenue de saut sans manche et débutent leur préparation : perception des munitions, camouflage des mains et du visage, contrôle des parachutes, derniers rappels et ultimes consignes pour les actions à mener. Les premiers appareils décollent aux alentours de 22h50 (les derniers vers 23h30) et se dirigent vers la Normandie.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Le général Gale s’adresse à ses hommes sur l’aérodrome d’Harwell avant l’embarquement. Photo : IWM

Les conditions météorologiques sont favorables mais la luminosité laisse à désirer : des nuages cachent temporairement la Lune et les pilotes rencontrent de sérieuses difficultés à se diriger vers des objectifs qu’ils n’ont vu au mieux qu’en observant des photographies de reconnaissance. Le Major Howard et sa compagnie D survole l’Orne à compter de minuit le 6 juin 1944. Le premier des trois planeurs Horsa se pose à 00h16 à moins de 50 mètres du pont de Bénouville, le Pegasus Bridge.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Le planeur n°1 le Jour J à proximité du pont Pegasus à Bénouville. Photo : IWM

Les deux suivants suivent respectivement à 00h17 et 00h18. Sur les trois planeurs prévus pour la mission Euston II (pont de Ranville, aussi connu sous le nom d’Horsa Bridge), seuls deux parviennent à proximité de leur objectif : le pilote du troisième a confondu les deux ponts sur l’Orne avec ceux de Périers-en-Auge et s’est posé 10 kilomètres au nord-est. Malgré tout, le lieutenant Dennis Fox s’empare du Horsa Bridge et le Major Howard peut envoyer son fameux compte-rendu codé signifiant la réussite de sa mission : « Ham and Jam« . Il doit désormais attendre l’arrivée des troupes débarquées le lendemain peu après midi.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Le planeur n°2 au premier plan devant le n°1 le Jour J à proximité du pont Pegasus à Bénouville. Photo : IWM

Les éclaireurs (pathfinders en anglais) sautent ensuite sur les DZ « K », « N » et « V » à compter de 00h20. Ils installent les balises Eureka et les lampes Aldis pour jalonner le reste de la division. Si le parachutage se déroule bien pour les éclaireurs des DZ « K » et « V », deux équipes seulement parviennent à la position initialement prévue sur la DZ « N ». A 00h50, les 110 bombardiers Albermarle et Stirling du 38th Group et les 146 C-47 Dakota du 46th Group sont en mesure de larguer les parachutistes et les planeurs. 2 Stirling de la 5e brigade sont abattus par la Flak allemande.

Une fois au sol, les régimentde parachutistes perdent de longues minutes et parfois de longues heures à se regrouper. Les Allemands réagissent en sonnant l’alerte et en envoyant des patrouilles le long de l’Orne et dans le secteur de Ranville où d’importants parachutages sont signalés. A 02h00, le capitaine Wagemann (officier de permanence) met la 21. Panzer-Division en alerte niveau 2 (capacité d’intervention en moins d’une heure et demie) : cinq minutes plus tard, la 1. Panzerjaeger Kompanie du 716e régiment d’infanterie quitte Biéville pour patrouiller le long du canal de l’Orne en direction des ponts de Bénouville et Ranville, tandis que des obus de mortier sont tirés depuis Ranville vers la DZ « N ».

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Des parachutistes anglais à bord d’un C-47 Dakota en route pour la Normandie. Photo : IWM

Le 13e régiment (5e brigade) du lieutenant-colonel Peter Luard s’empare de Ranville tandis que la compagnie A du 521st Parachute Squadron RE du Major Cramphorn débute le nettoyage de la DZ « N » : les Allemands y ont installé les « asperges de Rommel », des poteaux en bois particulièrement dangereux pour les planeurs. Les travaux ne se terminent que quelques minutes avant l’arrivée des premiers planeurs à 03h35.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Vue aérienne de la batterie de Merville et des conséquences des bombardements. Photo : IWM

Les éléments du 9e régiment (3e brigade) aux ordres de lieutenant-colonel Terence Otway se rassemblent au point de rendez-vous après leur parachutage qui s’est effectué aux alentours de 03h00 : sur les 700 parachutistes prévus, seuls 150 sont présents, sans le matériel lourd nécessaire. Les autres sont perdus dans les marais, le vent les ayant poussés plus loin vers l’ouest lors du saut. Otway, avec 90 minutes de retard sur l’horaire prévu et ne disposant que d’une heure seulement avant le début du tir de destruction de l’HMS Arethusa, programmé en cas d’échec de la mission, lance l’assaut de la batterie de Merville à 04h30. Quinze minutes plus tard, après un combat particulièrement violent, il tire une fusée jaune pour signaler à l’Arethusa que la mission est un succès. A 05h00, les canons (de 100 mm et non de 150 comme initialement prévu) sont neutralisés. 70 de ses hommes sont hors d’état de combattre après l’assaut : Otway rompt le contact et s’installe en défensive autour du château d’Amfreville (qui n’existe plus aujourd’hui), ayant subi de nombreuses pertes.

Pendant ce temps, le général Gale, aérotransporté par planeur, a atterri sur la DZ « N » et installe son poste de commandement au Château de Heaume au Bas de Ranville.

Les soldats de la 6th Airborne chargés de la destruction des ponts progressent vers leurs objectifs une fois un maximum de leurs éléments rassemblés. Le premier pont à être attaqué est celui de Robehomme, détruit à 06h00 par les parachutistes du 1st Canadian Battalion commandés par le lieutenant Jack Inman. Puis vient le tour du pont routier de Bures-sur-Dives détruit par la deuxième section du 3rd Parachute Squadron RE. Le pont de Varaville est détruit à 08h30 par les hommes du sergent Davies de la compagnie C du 1st Canadian Parachute Battalion avec l’aide des sapeurs du 3rd Parachute Squadron RE et le pont ferroviaire de Bures-sur-Dives est atteint à 09h15, détruit par les hommes du lieutenant Shave de la troisième section du 3rd Parachute Squadron RE.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Le Pegasus Bridge, l’un des ponts les plus précieux de la bataille de Normandie. Photo : IWM

Le cinquième pont, celui de Troarn, est détruit à 15h00 par les sapeurs du capitaine Jukes après avoir été endommagé pendant la nuit par l’audacieuse action du Major Tim Roseveare. Ce dernier, commandant le 3rd Parachute Squadron RE, apprend le 6 juin vers 04h00 que le village de Troarn est tenu par des éléments de la 21. Panzerdivision, lourdement armés. Il met alors au point un raid audacieux avec l’aide d’une Jeep et de sa remorque dans lesquelles il embarque 900 kilos d’explosifs, 45 détonateurs, un lieutenant et sept sapeurs. Traversant à pleine vitesse la rue principale de Troarn sous un feu nourri qui peut déclencher les détonateurs à n’importe quel moment, ils atteignent le pont et se mettent immédiatement au travail. Cinq minutes plus tard, ils font sauter les charges qui creusent un large trou au milieu du pont mais sans le détruire entièrement. Au moment de se replier et dans la précipitation, le sapeur Peachey tombe de la remorque et est fait prisonnier par les Allemands.

Au lever du jour, la 6th Airborne entend le bombardement aérien et naval des plages du débarquement et attend avec impatience l’arrivée des commandos. Toute la nuit et pendant la matinée, les Allemands testent le dispositif des Anglais autour des ponts de Bénouville et de Ranville, attaquant les points de résistance au mortier. Les hommes du Major Howard ont peu de matériel lourd et les blessés sont de plus en plus nombreux. Peu après 10h00, alors que plusieurs parachutistes britanniques s’étant perdus dans le secteur ont rallié la position d’Howard, deux canonnières allemandes V.P. Boot fuyant le débarquement à Ouistreham pour rejoindre Caen se présentent face au pont : presque sans hésitation, les Anglais ouvrent le feu avec toutes les munitions disponibles : l’un des deux bâtiments de guerre, touché par un tir de P.I.A.T., s’échoue sur la rive quelques centaines de mètres plus loin et son équipage est fait prisonnier, tandis que l’autre parvient à rebrousser chemin jusqu’à Ouistreham. Mais les Anglais ne sont pas aux bouts de leurs peines : les Allemands décident de détruire le pont de Bénouville par une attaque aérienne. Un Junker 88 parvient à larguer sa bombe avec précision et celle-ci ricoche sur le pont sans exploser et tombe dans le canal.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

Le Commando n°4 traverse le Pegasus Bridge. Dessin de M. Chauvet, collection privée.

Les soldats français du commando Kieffer, débarqués à 07h30 sur Sword Beach, aux côtés des soldats Anglais du Commando N°4 commandé par Lord Lovat – ce dernier accompagné du célèbre joueur de cornemuse Bill Millin – effectuent la jonction à 13 heures 32 minutes avec les hommes d’Howard en ayant 2 minutes 30 secondes de retard sur l’horaire prévu, ce dont Lovat prend la peine de s’excuser.

Pour les autres régiments de la 6th Airborne, la situation est critique et les pertes sont particulièrement lourdes. La progression rapide des troupes débarquées de la 3e division d’infanterie britannique depuis Sword Beach redonne le moral aux soldats aérotransportés.

Bilan l’opération Tonga

De manière générale, la qualité du travail des pilotes lors des largages de la nuit et du transport des planeurs permet à la 6e division aéroportée de réaliser des actions précises et rapides tout en surprenant totalement les Allemands. Tous les objectifs essentiels au succès de la réussite de la mission sont atteints dans les temps grâce au travail de préparation et au courage des soldats britanniques engagés dans la bataille.

L’unité connait de très nombreuses pertes pendant la nuit et dans la matinée du 6 juin qui menacent temporairement la pérennité de son action sur le flanc gauche de l’invasion alliée. L’opération Mallard qui débute le Jour J à 21h00 permet de renforcer considérablement les positions britanniques à l’est de l’Orne dont la situation reste, au soir du 6 juin, particulièrement précaire face à la puissance de feu de la 21. Panzerdivision.

Image : Opération Tonga - Parachutages britanniques en Normandie

L’arrivée des planeurs Hamilcar sur la LZ « N » dans le cadre de l’opération Mallard. Photo : IWM

La logique globale des actions aéroportées menées simultanément sur une aussi importante superficie échappe à l’état-major allemand qui doit également faire avec l’absence temporaire de cadres sur le front. C’est l’une des conséquences inattendues de la dispersion des unités alliées à l’est de l’Orne : ne comprenant pas les intentions réelles des Britanniques, les Allemands perdent du temps à tester le dispositif des unités aéroportées pour en comprendre le contour et les missions. Les adversaires des Britanniques réagissent trop tard (vers 10h00 le Jour J) et leurs actions manquent de coordinations pour menacer réellement l’intégralité de l’action alliée sur son flanc gauche.

 

Retour au menu Opérations aéroportées anglo-canadiennes en Normandie

 

Auteur : Marc Laurenceau – Reproduction soumise à l’autorisation de l’auteur – Contact Webmaster